Citation
Monsieur Jean-Luc Mélenchon,
Je m’adresse à vous, à vos amis et soutiens, en tant que simple citoyen. Je m’apprête à voter pour vous et votre programme qui me convient dans ses grandes lignes. Une question cependant m’interpelle et ce n’est pas un « détail » de l’Histoire comme pourrait laisser supposer le tabou qui l’entoure, puisqu’il s’agit de la complicité de notre pays – ou du moins de ses dirigeants du début des années 1990 – dans un des plus grands génocides du siècle dernier, celui des Tutsi du Rwanda.
Vous nous assurez que vous êtes un homme de paix. Vous promettez dans votre programme que vous en finirez avec la « Françafrique ». Mais quelle garantie avons-nous que vous respecterez bien vos engagements électoraux ? Monsieur François Mitterrand, dont vous revendiquez encore la plus totale fidélité dans le film documentaire que vous a consacré dernièrement Gérard Miller, avait lui aussi promis de sortir du système françafricain qui a mené notre pays à commettre de nombreux crimes néo-coloniaux et de soutenir des dictateurs à notre botte contre leurs propres peuples. Et pourtant, dès 1982, il fit « démissionner » Jean-Pierre Cot, ministre délégué chargé de la Coopération et du Développement, qui voulait vraiment réaliser cette promesse et sortir de cette politique dite « du pré carré » des pays africains. Puis Mitterrand, sous couvert de patriotisme et de défense de la francophonie, reprit à son compte la politique criminelle de la Françafrique. Curieusement, Thomas Sankara, dirigeant du Burkina Faso, et qui voulait s’engager dans une politique de résistance face au néo-colonialisme français en Afrique, est assassiné en 1987. De nombreux doutes pèsent sur le rôle qu’aurait pu jouer Mitterrand dans cette ténébreuse affaire. Pire, Mitterrand et son gouvernement de cohabitation se sont rendu complices du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, en soutenant le gouvernement et les forces génocidaires qui étaient « nos alliés », avant, pendant et après le génocide. Un certain nombre de citoyens français réclament que toute la vérité soit faite sur l’étendue de cette complicité. Or je ne vous ai jamais entendu vous exprimer clairement sur la nécessité de faire toute la lumière sur cette affaire. En outre, quelques-uns de vos amis du Parti de Gauche développent parfois la scandaleuse théorie du double génocide qui dédouane la France de son alliance coupable avec ceux qui commettaient le seul véritable génocide. Dès lors, quelle garantie avons-nous que vous tiendrez votre promesse de sortir de la « Françafrique » si vous ne prenez pas clairement position sur ce dramatique sujet, en dénonçant la complicité des dirigeants français de l’époque et en vous engageant solennellement à faire déclassifier toutes les archives qui permettraient de faire éclater toute la vérité ? Quelle garantie avons-nous que votre patriotisme, votre combat contre l’impérialisme américain, et votre volonté de défendre la francophonie à la mitterrandienne, ne vous entraînent pas à votre tour dans des politiques qui pourraient encore, sous-couvert de défendre « nos » intérêts, ou plutôt ceux des multinationales françaises, couvrir nos propres crimes et donc mener au pire ? L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Vous critiquez à bon escient la politique d’intervention guerrière en Afrique de François Hollande qui, on le sait, sous prétexte de lutte anti-terroriste, n'a de véritable objet que de sécuriser les approvisionnements en pétrole et uranium de nos industries énergétiques dépassées et criminogènes. Or, ce même Hollande avait aussi promis de déclassifier les archives sur la question du Rwanda. Il ne l’a pas fait. Quelle garantie aurons-nous que vous le ferez vraiment, si « allié » à Benoît Hamon, vous devenez prisonnier des gardiens du temple mitterrandien qui, à l’instar de Bernard Caseneuve alors rapporteur de la Mission d’information sur le génocide des Tutsi du Rwanda, ont tout fait pour dissimuler la vérité de notre complicité avec les génocidaires ?
Vous affirmez vouloir provoquer la réunion d’une Assemblée constituante afin d’aller vers une nouvelle VIème République plus démocratique. Pensez-vous réellement qu’on puisse s’y engager en continuant à masquer une complicité de génocide qui a fait un million de victimes ? Nous avons un génocide sur la conscience. Nous ne pourrons redevenir digne de nous-même, de notre Histoire révolutionnaire, que lorsque la vérité, toute la vérité, sera dite et reconnue publiquement par nos dirigeants. Chirac le fit en son temps, au sujet de la responsabilité de l’État français dans la Shoah. Saurez-vous sortir les décideurs français de cette « banalité du mal » qui régit leur politique françafricaine ? Pouvez-vous vous engager à assumer ce rôle historique qui vous honorera ?
Pour notre part, nous sommes un certain nombre à vous le demander en échange de notre soutien politique dans cette campagne électorale. En ce sens, nous nous inscrivons déjà dans l’esprit de la VIème République qui ne saurait vraiment exister sans un véritable contrôle citoyen sur les élus.
Jacques Schaff,
citoyen « non encarté » de la future VIème République