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La publication, vendredi 26 mars, du rapport de la commission Duclert sur le rôle de la France avant et au moment du génocide de quelque 800 000 Tutsi n’a pas suscité de commentaires officiels en Belgique, le pays qui a colonisé le Rwanda de 1919 à 1962. Un pays qui, lui aussi, s’interroge toujours sur sa responsabilité dans ce drame : le gouvernement de l’époque avait décidé de retirer ses troupes de la mission d’assistance de l’ONU (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda ; Minuar) après l’assassinat de dix parachutistes chargés de la protection de la première ministre, Agathe Uwilingiyimana.
Une décision prise sous le coup de l’émotion, jugée tragique par ses conséquences, et qui a durablement marqué les relations entre Bruxelles et Kigali. Le maintien de la présence militaire belge au moment où s’édifiaient les premiers barrages après l’assassinat du président hutu, Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, aurait, selon beaucoup de témoignages, peut-être permis d’éviter le pire. Mais les militaires belges, qui formaient l’essentiel d’un contingent onusien déjà trop réduit, étaient soupçonnés, à l’époque, d’être responsables du crash de l’avion présidentiel, atteint par deux missiles.
« Une relation adulte »
La Belgique a, en tout cas, voulu se débarrasser plus vite que la France du poids du passé rwandais. Au point d’être citée en exemple par le président Paul Kagamé qui s’exprimait, en 2010, devant un parterre de diplomates. « Voilà ce que la France devrait faire », lâchait-il, dans une allusion à l’attitude des autorités belges.
L’ex-premier ministre Guy Verhofstadt avait été marqué par les travaux d’une commission parlementaire qu’il avait dirigée, en 1997, et qui avait conclu à une série de manquements dans la gestion de cette crise, dont l’insuffisance du renseignement, un manque de coordination entre les ministères et l’indifférence à l’égard des avertissements reçus de certains informateurs.
En avril 2000, M. Verhofstadt se rendait au Rwanda et prononçait un discours sans équivoque, accablant pour ses prédécesseurs. « Au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon, disait-il. Un cortège de négligences, d’insouciances, d’incompétences et d’erreurs a créé les conditions d’une tragédie sans nom. J’assume ici la responsabilité au nom de mon pays. » Trois ans plus tard, c’est le ministre des affaires étrangères, Louis Michel, qui déclarait à Kigali : « Il nous faut assumer jusqu’au bout notre gêne. » Le ministre prônait aussi « une relation adulte » avec toute la région des Grands Lacs.
« Dans la jungle des tensions mémorielles et des dénis de toutes parts, l’antidote, c’est le travail des historiens », souligne Valérie Rosoux, professeure à l’Université catholique de Louvain
Comment, dès lors, expliquer le silence à propos du rapport remis à Emmanuel Macron ? « D’abord par la prudence habituelle de notre diplomatie, ensuite par un certain remords quant à nos propres décisions de l’époque, mais aussi parce que le respect est grand pour le travail courageux mené à Paris », confie un expert des dossiers africains au ministère des affaires étrangères.
« Je suis impressionnée par la démarche et la qualité du résultat de la commission Duclert. Dans la jungle des tensions mémorielles et des dénis de toutes parts, l’antidote, c’est le travail des historiens, la prise au sérieux de tous les acteurs, la compréhension de toutes les séquences, l’analyse de toutes les responsabilités », souligne pour sa part Valérie Rosoux, professeure à l’Université catholique de Louvain et directrice de recherche au Fonds national de la recherche scientifique.
Exorcisme collectif
Les autorités belges n’ont, pas plus que les françaises, formulé clairement leur analyse quant aux responsabilités précises dans le déclenchement du génocide. Et plusieurs procès intentés à Bruxelles contre des Rwandais impliqués dans les meurtres de Tutsi n’auront rien livré à cet égard. Le plus retentissant a eu lieu en juin 2001, avec la reconnaissance de la culpabilité de quatre proches de l’ancien régime. Les jugements d’un ancien major de l’armée, de commerçants, d’un dirigeant de la banque centrale rwandaise, de religieuses, ont marqué autant d’étapes de ce qui s’apparentait aussi à une sorte d’exorcisme collectif. « L’impact sur les familles des victimes a été très fort, le rôle pédagogique à l’égard de la population belge aussi, estime Mme Rosoux. Cela ne guérit pas, mais c’est important. »
De quoi faire oublier la mini-crise de 2004 entre la Belgique et le Rwanda quand un ancien compagnon d’armes de M. Kagamé, ancien témoin-clé d’une enquête menée à l’époque, en France, par le juge Jean-Louis Bruguière, déclarait sur une chaîne belge que M. Kagamé avait « un plan de longue date » : faire tuer son prédécesseur pour « provoquer le chaos ». Une visite officielle du président rwandais à Bruxelles n’en avait pas été perturbée, son ministre des affaires étrangères déclarant de son côté : « C’est la France qui a entraîné l’armée génocidaire et les milices qui ont commis le génocide. »
Depuis lors, la relation entre Kigali et Bruxelles est restée bonne, mais semble toujours fragile, « comme entre Alger et Paris, Tel-Aviv et Berlin », estime Mme Rosoux. Notamment parce que la Belgique reste une terre d’asile pour de nombreux Rwandais, parmi lesquels des opposants à M. Kagamé.
Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, correspondant)