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Depuis des années, avec ténacité et patience, Alain et Dafroza Gauthier traquent les présumés génocidaires rwandais réfugiés sur le territoire français. Entretien avec Alain Gauthier, président du collectif des parties civiles pour le Rwanda.
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David Gakunzi : Pourquoi votre engagement au service de la justice et contre les présumés génocidaires rwandais ?
Alain Gauthier : Nous avons été personnellement frappés par ce génocide : la famille de Dafroza a été en partie exterminée en 1994. Je dois aussi préciser que cet engagement peut paraître un peu tardif. En effet, il nous a fallu, dans un premier temps, « digérer » ce qui venait de nous arriver. Ce n’est qu’en 2001, après le premier procès d’Assise de Bruxelles que mon épouse et moi, qui avons participé à une partie des débats, avons véritablement pris la décision de nous lancer à notre tour dans ce combat. Pourquoi ce qui était possible en Belgique ne le serait-il pas en France ? Nous avons alors pris la décision de créer le CPCR, Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda. Il faut souligner que cette structure associative est essentielle dans ce combat pour la justice. Trop souvent, les medias nous mettent en avant alors que sans le CPCR nous n’aurions jamais pu déposer la moindre plainte. Il est vrai que nous nous sommes beaucoup investis personnellement mais il ne faut jamais oublier cela.
Notre engagement a été aussi justifié par le fait que des plaintes avaient été déposées par d’autres associations ou des plaignants individuels mais que rien ne bougeait en France. Ayons l’humilité de reconnaître que, même si nous avons beaucoup travaillé, les résultats tardent à venir ! Les petites avancées de ces derniers mois sont trop récentes pour en tirer des conclusions. Mais les choses semblent cependant aller dans la bonne direction. Les récentes déclarations de Mme Alliot-Marie et de Bernard Kouchner sur la création d’un « pôle spécialisé pour génocides et crimes contre l’humanité » en France nous confortent dans la détermination qui est la nôtre.
David Gakunzi : Quels sont les dossiers en cours ?
Alain Gauthier : Début 2010, la justice française avait été saisie à dix-sept reprises mais l’affaire Ntawukuriryayo ayant été reprise par le TPIR, il reste seize plaintes sur le bureau des juges d’instruction parisiens. Parmi les dossiers les plus anciens, il faut noter ceux de l’abbé Munyeshaka et de Sosthène Munyemana, médecin de Butare actuellement affecté à l’Hôpital de Villeneuve sur Lot. Un autre médecin, Eugène Rwamucyo, lui aussi en poste à Butare en 1994, vient de défrayer la chronique dans le Nord de la France. D’autres plaintes visent entre autres Mme Kanzinga, veuve du président Habyarimana, une des plus célèbres sans-papiers et pour laquelle le Conseil d’Etat vient de confirmer le refus d’asile.
Une autre affaire très choquante est celle concernant Callixte Mabaruhimana, secrétaire exécutif des FDLR, les forces génocidaires qui pillent et violent au Congo. Il est incompréhensible que le gouvernement français continue à héberger ce présumé génocidaire en le laissant régulièrement publier de Paris des communiqués de presse en soutien de son organisation criminelle.
Le seul présumé génocidaire incarcéré est Pascal Simbikangwa, arrêté à Mayotte et récemment transféré à Paris où son dossier est instruit. La dernière plainte vise un médecin en activité à Rouen, Charles Twagira, à qui sont reprochés des actes de génocide dans l’ancienne préfecture de Kibuye. Pour les autres affaires, voir le site du CPCR : www.collectifpartiescivilesrwanda.fr
David Gakunzi : La justice française est-elle habilitée à juger ces présumés génocidaires ?
Alain Gauthier : Dans l’arsenal judiciaire français, il existe la loi de compétence universelle qui permet de juger « des étrangers qui ont commis des crimes à l’étranger sur des étrangers », à condition qu’ils soient sur le sol français au moment du dépôt de la plainte. Et c’est au nom de cette compétence universelle que les plaintes ont été déposées. Maintenant, les faits nous montrent que, jusqu’à maintenant, la justice a traîné les pieds. Il y avait jusqu’à ce jour, un manque de volonté politique. Les déclarations récentes de Michèle Alliot-Marie et de Bernard Kouchner laissent entrevoir une nouvelle avancée. Mais restons vigilants. Il ne suffit pas de faire des déclarations d’intention. Quels moyens la justice française mettra-t-elle au service de ces nouveaux enquêteurs ? Les juges d’instruction elles-mêmes ont récemment exprimé leurs doutes. A nous donc d’être vigilants pour que les promesses soient tenues. Vous pouvez compter sur notre détermination : la justice doit être rendue, c’est le sens de notre combat.