Fiche du document numéro 27852

Num
27852
Date
1er janvier 1998
Amj
Taille
22406
Titre
Le Français qui gêne Laurent-Désiré Kabila. Détenu à Kinshasa, Jean-Marie Bergesio habitait une région où ont eu lieu des massacres
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Dans un bureau reconverti en cellule, il entame aujourd'hui son cent treizième jour de détention arbitraire. Arrêté le 10 septembre à Kinshasa et, depuis, enfermé au siège de l'Agence nationale de renseignement (ANR), la police politique du nouveau régime dans l'ex-Zaïre, Jean-Marie Bergesio, 49 ans, ne sait toujours pas, officiellement, ce qui lui est reproché. L'avion qui l'a emporté de Kisangani, la troisième ville du pays qu'il habite depuis quinze ans, a été fouillé de fond en comble à la recherche «de photos et de films vidéo des charniers». Exploitant d'une concession forestière près de Kisangani, le Français serait bien placé pour trouver des preuves des massacres qui y ont été commis en avril dernier. C'est en effet avec ses deux pelleteuses mécaniques, réquisitionnées de force, que des troupes de Laurent-Désiré Kabila ont enterré, quatre jours durant, les cadavres de réfugiés rwandais hutus. D'ailleurs, l'associé septuagénaire de Jean-Marie Bergesio, le Belge Antoine Declerc, a également été arrêté, et partage, depuis le 14 septembre, la cellule de fortune avec lui.

«Je l'ai eu au téléphone, brièvement, samedi dernier», indique son épouse, Chantal Bergesio. Depuis quatre mois, avec leurs deux fils, Jérôme et Michel, âgés de 7 et 5 ans, elle est installée dans le sud du Portugal, où, tous les jours, elle attend «un signe de vie» de son mari. Pour Noël, elle a espéré sa libération mais, de nouveau, elle a été déçue. «Il m'a raconté que d'autres enfants sont venus rendre visite à leurs papas, des codétenus, rapporte-t-elle de leur dernière conversation. Pour lui, il n'y a pas de nouvelles. Sauf que, maintenant, il paye pour sa nourriture.» C'est également en payant que Jean-Marie Bergesio peut, parfois, emprunter le téléphone portable d'un visiteur. Il a ainsi appris, en novembre, le décès de sa première épouse dans un hôpital à Turin. Il a demandé à sa soeur, qui y vit, de s'occuper du plus jeune de leurs enfants, mineur. A présent, il s'inquiète du visa de Chantal, qui expire le 9 janvier. Passé ce délai, sa femme, de nationalité zaïroise, risque d'être expulsée.

«Nous avons entrepris des démarches répétées, y compris au plus haut niveau», auprès de Laurent-Désiré Kabila, indique-t-on au Quai d'Orsay, où, cependant, «on ne connaît toujours pas le motif de cette détention». Régulièrement, plusieurs fois par semaine, le consul près de l'ambassade de France à Kinshasa rend visite à Jean-Marie Bergesio. «Mais il ne fait rien, se plaint Chantal Bergesio. Par exemple, pour mon visa, il m'a simplement demandé de voir les autorités portugaises et de faire au mieux.» A Turin, Claude Bergesio, la soeur, se déclare tout aussi «indignée» du manque de soutien des autorités françaises. «Le dossier est traité au niveau des services en charge des Français à l'étranger et passe de main en main, dit-elle. C'est toujours moi qui appelle et, chaque fois, j'ai un autre interlocuteur.» Lequel, tantôt la prie de «faire preuve de patience», tantôt lui lance en guise d'explication: «On est en Afrique, et vous savez comment ils sont, ces Africains.»

La France, au plus mal avec le nouveau régime dans l'ex-Zaïre, n'ose-t-elle pas vigoureusement défendre son ressortissant incarcéré pour se racheter de l'appui jusqu'au-boutiste qu'elle a accordé à l'ancien dictateur Mobutu? Le fait est qu'en mars, lorsque Paris a tenté d'enrayer l'avancée des troupes de Laurent-Désiré Kabila en montant une opération humanitaire à Kisangani, l'aide de Jean-Marie Bergesio était la bienvenue. A l'époque, le téléphone satellitaire du Quai d'Orsay était installé chez lui, l'entrepreneur français devait être nommé consul honoraire et son épouse était censée obtenir «dans les six mois» un passeport français. Mais, à la veille de la chute de Kisangani, le 15 mars, Jean-Marie Bergesio est parti avec les derniers humanitaires. Quoique ancien mercenaire, chef du 8e commando en 1964, du temps où Bob Denard traquait des rebelles anti-Mobutu à la tête du 6e «codo», seul Antoine Declerc était resté. Il se trouvait sur place quand, entre le 19 et le 24 avril, des «unités spéciales rwandaises» ont massacré près de la moitié des 85 000 Hutus rwandais, réfugiés dans un chapelet de camps au sud de Kisangani.

Interrogé hier, le Quai d'Orsay s'est déclaré «mobilisé» autour d'un «sujet de grande préoccupation», indiquant en particulier que «tout est en train d'être fait pour arranger la situation de l'épouse de M. Bergesio». Par ailleurs, au niveau européen, où «la prise d'otage de deux Européens» est considérée comme «un précédent inadmissible qui pourrait empêcher d'autres témoins de se confier à la mission d'enquête de l'ONU» sur les tueries de réfugiés hutus, on indiquait qu'une «démarche communautaire est actuellement en cours».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024