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La question empoisonne depuis plus d’un quart de siècle la diplomatie française et hante les nuits des militaires envoyés sur le terrain à l’époque : la France a-t-elle été complice du génocide commis au Rwanda en 1994 ? A-t-elle, sous couvert de l’opération humanitaire Turquoise, pris une part de responsabilité dans la mort de plus de 800 000 personnes, tutsis et hutus modérés, hommes, femmes et enfants horriblement massacrés des mois durant ?
La réponse ne fait hélas plus guère de doutes. Et les premières preuves écrites déterrées par le chercheur François Graner, qui a obtenu après une longue bataille juridique d’avoir accès aux archives, viennent confirmer ce que l’on soupçonnait depuis longtemps.
Oui, Paris savait en temps réel qu’un bain de sang se préparait. Oui, Paris a malgré tout procuré des armes aux futurs génocidaires. Oui, Paris a protégé puis exfiltré les commanditaires de ces tueries. Oui, au printemps 1994, Paris a choisi de perdre la face pour sauver le pouvoir en place.
Pour ne pas avoir voulu écorner son statut de « grande » puissance protectrice auprès de ses autres affidés continentaux, la France a perdu son honneur dans la région des Grands lacs. Elle s’est défigurée.
La France dont on parle, c’est celle de François Mitterrand qui était aussi celle d’Édouard Balladur. Une France déjà en deuil de la Françafrique et qui ne voulait pas l’admettre. Obsédée donc par l’idée de conserver sa zone d’influence coloniale menacée par les appétits anglophones. Et prête à tout pour ça, y compris fermer les yeux sur les pires horreurs.
L’État français n’a ni initié ni perpétré cette tragédie, mais il en a été le complice, au sens le plus exact du terme. Il a été celui qui « favorise l’accomplissement d’une chose ». Et cette chose était un génocide. L’heure n’est sans doute pas encore venue d’assumer cette part d’histoire tachée de sang, mais c’est déjà celle de la regarder en face. Il n’y a plus d’autre endroit où se tourner.