Notamment, une fois de plus, que diverses alertes avaient été transmises à Paris sur le danger de génocide des Tutsis alors que la France soutenait le régime du président Juvénal Habyarimana, de plus en plus poussé à l’extrémisme ethnique par les “ultras” hutus.
Et, une fois encore, que les services de renseignements français (DGSE) faisaient, eux, leur travail, conseillant notamment à Paris, le 2 mai 1994, alors que le génocide avait commencé depuis un mois, de diffuser “une condamnation sans appel des agissements de la garde présidentielle et plus particulièrement du colonel Bagosora, directeur de cabinet du ministre de la Défense, considéré comme l’instigateur principal” du génocide. Ni le gouvernement, ni le Président français n’avaient consenti à prononcer cette condamnation.
La CDR poussée par les Français
Le travail de François Graner révèle en outre un fait inédit: ce sont les “observateurs” français aux négociations de paix d’Arusha (avant le génocide), qui ont insisté, en janvier 1993, pour faire entrer dans le “gouvernement de transition élargi” prévu par ces accords, le parti le plus extrémiste du Hutu Power, la Coalition pour la défense de la République (CDR) – la “république” étant identifiée par le régime à la domination des Hutus sur le pays.
Il ouvre aussi une nouvelle fenêtre sur la désinformation utilisée par les partisans français de l’intervention en faveur des extrémistes hutus, pour convaincre le président Mitterrand de poursuivre dans la même voie. Ainsi, le 18 juillet 1994, alors que le Front patriotique rwandais (FPR, dominé par les Tutsis) est en train de remporter la victoire sur le gouvernement et l’armée génocidaires – dont la France organise la fuite vers le Zaïre avec deux millions de personnes ayant souvent participé au génocide – le conseiller Bruno Delaye et le général Christian Quesnot, chef d’état-major particulier du chef de l’Etat, envoient une note à ce dernier. Elle assure que “l’objectif du FPR reste de vider le pays de sa population afin de procéder à une redistribution des terres au profit des Tutsis, dont les paysans hutus deviendraient les fermiers”. Cette vision caricaturale d’un Rwanda féodal ne s’est évidemment pas concrétisée.
Mitterrand aurait pu le savoir s’il avait pris en compte la note de la DGSE, datée du même jour, rapportant: “Dans les territoires qu’il contrôle, le Front patriotique rwandais s’emploie à mettre en place une administration efficace, épaulée par des militaires parfaitement disciplinés”.