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Cette semaine, le président Sarkozy se rend à Kigali. Grâce à l'activisme de Bernard Kouchner, la France et le Rwanda ont renoué des relations diplomatiques sans régler leurs différends de fond.
Le gouvernement rwandais et plus encore les survivants souhaitent d'abord une reconnaissance de la responsabilité française dans le génocide. En 1990, après l'offensive du Front patriotique rwandais (FPR), la Belgique arrête son soutien militaire au régime du président Habyarimana et la France prend le relais. Elle s'engage chaque jour davantage : effectifs de l'armée rwandaise multipliés par cinq, fourniture d'armements, entraînement et même engagement direct de soldats français contre le FPR. Sans la France, le régime se serait effondré. Confronté à une offensive à la fois militaire du FPR et politique d'une opposition interne très active, il choisit la fuite en avant dans le génocide. Pendant la préparation de celui-ci et malgré les accords d'Arusha, le soutien de Paris au régime ne faiblit pas. Sans la France y aurait-il eu un génocide ?
La France ne parvient pas à gérer ce passé encombrant. En 1999, une mission d'information de l'Assemblée nationale a reconnu des défaillances mais s'est heurtée au secret-défense et aux demi-vérités des responsables de l'époque (Balladur, Védrine, Léotard). François Mitterrand n'a jamais voulu s'expliquer sur le Rwanda. Les plaintes déposées, parfois depuis près de quinze ans, contre seize présumés "génocidaires" réfugiés dans l'Hexagone restent étrangement bloquées. A l'inverse, dans le cadre d'une instruction du juge Bruguière, une proche du président Kagame, Rose Kabuye, a été arrêtée en Allemagne et transférée en France avant d'être relâchée. Ironie de l'histoire, ce sont les autorités françaises qui semblent aujourd'hui craindre un éventuel procès que Kigali appelle de ses voeux : ce procès pourrait rapidement devenir celui du rôle de la France au Rwanda !
D'autres pays, moins impliqués, ont reconnu leurs erreurs. En 2000, Guy Verhofstadt, le premier ministre belge, a déclaré à Kigali : "La communauté internationale tout entière porte une immense responsabilité. Un dramatique cortège de négligences, d'insouciance, d'incompétences, d'hésitations et d'erreurs a créé les conditions d'une tragédie sans nom. J'assume ici devant vous la responsabilité de mon pays, des autorités politiques et militaires belges. Nous devons d'abord assumer nos responsabilités et reconnaître nos fautes (…) Au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon."
De même, en 1998, Bill Clinton évoquait une responsabilité américaine : "Nous n'avons pas agi assez vite après le début des massacres. Nous n'aurions pas du permettre que les camps de réfugiés deviennent des sanctuaires pour les tueurs. Nous n'avons pas immédiatement appelé ces crimes par leur nom correct : un génocide".
L'implication de la France dans le génocide est un fait avéré. Seul le degré de cette implication reste à déterminer par une enquête sérieuse. Et pourquoi pas par une commission mixte franco-rwandaise ?
Quel secret-défense peut-on opposer quinze ans après des faits de génocide ?
Confronté au rôle des autorités françaises dans le génocide des juifs, Jacques Chirac a su trouver les mots justes dans son discours du Vel D'Hiv. Le président Sarkozy saura-t-il reconnaître la responsabilité – partagée – de la France dans le massacre de centaines de milliers de personnes – hommes, femmes et enfants – qui devaient disparaître pour le seul fait d'être nés Tutsi ? La réconciliation sincère entre la France et le Rwanda est à ce prix.
Alain Destexhe, sénateur belge, est à l'origine de la commission d'enquête, dont il est également secrétaire, du Sénat belge sur le génocide au Rwanda. Il a été secrétaire général de MSF en 1994. Il est l'auteur de Rwanda : essai sur le génocide, paru aux éditions Complexe en 1994.