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ULUSLARARASI AFRO-AVRASYA ARAŞTIRMALARI DERGİSİ
INTERNATIONAL JOURNAL OF AFRO-EURASIAN RESEARCH (IJAR)
E-ISSN 2602-215X
VOLUME 6- ISSUE 11- JANUARY 2021 / CİLT 6 – SAYI 11 – OCAK 2021
Ayşe Sıla Çehreli
ayse.cehreli@marmara.edu.tr
ORCID: 0000-0002-7460-8241
Kitap Eleştirisi
Book Review
Geliş Tarihi
Received: 17.11.2020
Kabul Tarihi
Accepted: 25.12.2020
« NEFRETİN ÖVGÜSÜ ». RUANDA TUTSİ
SOYKIRIMINA KARŞI YENİ SOYKIRIM İNKARCILIĞI
« L’Éloge de la Haine ». Le nouveau négationnisme du
génocide contre les Tutsis au Rwanda
ÖZ Söz konusu makale, Kanın Övgüsü. (FPR-Front patriotique rwandais) Ruanda Yurtsever
Cephesinin Suçları başlıklı kitabı incelemeyi hedeflemektedir. Bağımsız bir gazeteci olan Judi Rever
tarafından kaleme alınan çalışma, Ruanda Geçici Uluslararası Ceza Mahkemesi’nin gizli belgeleri ve
FPR hareketinin bazı eski üyeleriyle yapılmış görüşmelere dayanmaktadır. FPR, uluslararası toplum
tarafından, Temmuz 1994’te Ruanda’daki Tutsi soykırımını sona erdiren bir bağımsızlık hareketi
olarak kabul edilmektedir. Gazeteci çalışmasında ise FPR’in bu ‘’ resmi tarihini ‘’eleştirdiğini iddia
etmektedir. Aynı zamanda, FPR’i Tutsi soykırımını kışkırtmak ve sivil Hutular’a karşı ikinci bir
soykırım yapmakla suçlamaktadır. Buna karşın, Judi Rever’ın kullandığı çoğunlukla anonim
kaynaklar, yapmış olduğu sorunlu analiz, çağdaş Ruanda tarihinin daha çok inkarcı bir yeniden
yazılışını ortaya koymaktadır.
Anahtar Kelimeler: Ruanda, Soykırım, Ruanda Yurtsever Cephesi, Soykırım inkarcılığı,
Afrika
RÉSUMÉ Le présent article vise à analyser l'ouvrage intitulé L'éloge du sang. Les crimes
du Front patriotique rwandais (FPR). Rédigé par Judi Rever, une journaliste canadienne
indépendante, le travail en question repose sur les documents confidentiels du Tribunal pénal
international pour le Rwanda et sur un certain nombre d'entretiens réalisés avec les anciens
membres du FPR. La journaliste canadienne affirme mettre en cause ''l'histoire officielle du FPR''.
Celui-ci est pourtant accepté par la communauté internationale comme un mouvement de
libération qui a mis fin en juillet 1994 au génocide contre les Tutsis au Rwanda. En même temps,
elle accuse le FPR d'avoir provoqué ce génocide et d'avoir commis un autre génocide contre les civils
hutus. Cependant, les sources largement anonymes utilisées par la journaliste, tout comme son
analyse problématique, exposent plutôt une tentative avortée de ré-écriture négationniste de
l'histoire contemporaine du Rwanda.
Mots clés : Rwanda, Génocide, Front patriotique rwandais, Négationnisme, Afrique
ABSTRACT The purpose of this article is to analyze the book entitled In Praise of Blood.
The Crimes of the Rwandan Patriotic Front (RPF). Written by Judi Rever, a freelance Canadian
journalist, the book in question is based on confidential documents from the International Criminal
Tribunal for Rwanda and on a number of interviews conducted by the author with former RPF
members. The Canadian journalist claims to question "the official history of the RPF". However, the
RPF is accepted by the international community as a liberation movement, which in July 1994 put
an end to the genocide against the Tutsis in Rwanda. At the same time, Judi Rever accuses the RPF
of having provoked this genocide and of having committed another one against Hutu civilians. Due
to the large number of anonymous sources used by the journalist and her problematic analysis, the
book rather exposes a failed attempt of a negationist rewriting of Rwanda’s contemporary history.
Keywords : Rwanda, Genocide, Rwandan Patriotic Front, Genocide Denial, Africa
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E-ISSN 2602-215X
VOLUME 6- ISSUE 11- JANUARY 2021/ CİLT 6 – SAYI 11 – OCAK 2021
ÇEHRELİ A. S. (2021). « L’éloge de la haine ». Le nouveau négationnisme du génocide contre les Tutsis au Rwanda. 2
IJAR. 6(11),1-13.
« Du point de vue intellectuel, Péan s’inscrit clairement dans un registre révisionniste. Il nous dit, en résumé
: " Voilà, vous n’avez rien compris à ce qui s’est passé, tout ce qu’on vous a raconté, ce ne sont que des
mensonges et moi Péan, du haut de ma réputation, et, en plus, avec des témoignages de Rwandais, je viens
vous démontrer que toute l’histoire est à revoir " . »
José Kagabo (Belhaddad, 2008)
Le Front patriotique rwandais (FPR1) a une histoire complexe, encore peu abordée dans les travaux
internationaux existant sur le Rwanda contemporain. Connue dans ses grandes lignes, elle devrait être
écrite de façon beaucoup plus précise. Avec son ouvrage intitulé Rwanda. L’éloge du sang. Les crimes du
Front patriotique rwandais2, Judi Rever a montré, à la fois par le choix de ses sources largement anonymes
et son analyse problématique, qu’elle ne fera pas partie des auteurs qui écriront cette histoire.
Le FPR a été fondé en 1987 en Ouganda par des réfugiés tutsis qui, à partir de 1959, ont été contraints à
l’exil à la suite de plusieurs vagues de violence et de massacres. Perpétrées essentiellement sous la
Première République (1961-1973) de Grégoire Kayibanda, ces campagnes ont été relayées, sous la
Deuxième République (1973-1994) de Juvénal Habyarimana, par une politique plutôt répressivediscriminatoire
contre les Tutsis.
Le FPR, mouvement révolutionnaire, puise donc ses origines dans une expérience de près de trente années
de vie de réfugiés à la fois dans les pays limitrophes du Rwanda, mais aussi en Europe et en Amérique du
Nord. Il s’est notamment inspiré du réveil culturel de ces communautés de réfugiés au début des années
80 (Prunier, 1999 : 84-87) : une prise de conscience favorisée par des chants, danses et pièces de théâtre
traditionnels se référant à un passé pré-colonial (Kimonyo, 2017 : 100-104). Le concept de Hutu et de Tutsi
n’y renvoyait qu’à des catégories sociales sous une même identité rwandaise. D’où le caractère inclusif du
mouvement du FPR ayant – dès la première heure - compté parmi ses rangs des opposants hutus au régime
de Habyarimana3.
La situation était, cependant, différente au Rwanda de l’époque qui reposait sur le mythe fondateur d’une
« Révolution sociale » (novembre 1959-octobre 1961). Cet événement clé avait été déclenché par le
PARMEHUTU (Parti de l’émancipation hutue) sous l’oeil bienveillant de l’Administration tutélaire belge et
des missionnaires catholiques. La « Révolution sociale » aurait mis un terme au pouvoir oppressif d’une «
noblesse tutsie minoritaire », assimilée souvent à une forme de « féodalité », afin de permettre aux Hutus,
le « peuple majoritaire », de se charger du gouvernement et de la gestion des ressources du pays.
1 Cet article est issu d’un projet de livre en cours de rédaction : « Les faits sont têtus ». Le FPR dans l’écriture négationniste du
génocide contre les Tutsis au Rwanda, à paraître en 2021.
2 Ouvrage paru, en septembre 2020, chez les Éditions Max Milo. Pour la version originale anglaise cf. REVER Judi, In Praise of
Blood. The Crimes of the Rwandan Patriotic Front, Toronto, Random House Canada, 2018. Il existe, également, une traduction
néerlandaise de l’ouvrage qui a été publiée, la même année, par les éditions Amsterdam University Press.
3 La première partie (pp.19-126) de l’ouvrage de Jean-Paul Kimonyo présente, de la façon la plus complète, les origines et la
naissance du FPR. Pour une étude plus récente, voir le travail en cours de GATETE Nyiringabo Ruhumuliza intitulé The Rwandan
Patriotic Front : From State Building to Democratic Stability.
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ÇEHRELİ A. S. (2021). « L’éloge de la haine ». Le nouveau négationnisme du génocide contre les Tutsis au Rwanda. 3
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« Au Rwanda et au Burundi, les partis du menu peuple, majoritairement hutu, craignaient que les partis élitistes tutsi, une fois
l’indépendance acquise avant l’émancipation sociale et politique du peuple, ne replongent ce menu peuple dans l’obscurantisme
d’antan, d’avant l’arrivée de l’homme blanc» (Mbonyumutwa, 2009 : 37),
écrivit, notamment, Shingiro Mbonyumutwa4 dans son livre présentant une toute autre version de
l’histoire du Rwanda contemporain.
Le FPR se base aussi sur l’évaluation critique de l’expérience de l’UNAR (l’Union nationale rwandaise), puis
des combattants « Inyenzis5 » des années 1961-66. Il se distingue, néanmoins, tant d’un certain élitisme
traditionnel que de la monarchie, pour rassembler, dans le mouvement, tous les Rwandais vivant dans le
pays même ou en exil. Fondée en 1979 à Nairobi par des réfugiés tutsis, la RANU (Rwandese Alliance for
National Unity) présente une autre source d’expérience plus récente pour le FPR. Privilégiant l’unité
nationale, cette organisation a choisi la voie du plaidoyer politique sur la scène internationale en vue de
combattre les injustices au Rwanda. Bénéficiant, enfin, d’une expérience de combat au sein de la NRA
(National Resistance Army) de Yoweri Museveni, le FPR a associé aux négociations diplomatiques l’option
du retour armé au pays. C’est un choix conditionné, essentiellement, par le refus du gouvernement de
Habyarimana de régler le problème des réfugiés rwandais dans son ensemble6. Le choix du retour armé
devrait être aussi considéré comme un moyen de pression qui a permis au FPR de prendre part aux
négociations diplomatiques durant la transition difficile du Rwanda vers le multipartisme. Le « règlement
définitif du problème des réfugiés » constitue aussi avec « l’édification d’une véritable démocratie » dans
le pays, les deux points sur huit les plus importants du programme politique du FPR de cette époque7.
Dans son livre, Judi Rever choisit de se centrer exclusivement sur les « crimes du FPR », sans placer son
enquête dans le contexte de l’histoire générale de ce mouvement. En d’autres termes, il s’agit plutôt d’une
sorte de réquisitoire qui ne contient pas beaucoup d’informations sur le FPR : les données limitées, qu’elle
puise dans quelques sources problématiques, sont loin d’apporter des informations fiables sur le sujet et
nous y reviendrons en détail, ci-dessous.
Le ton accusatoire qui domine l’ensemble du texte formule des arguments assez répétitifs, invitant la
société internationale à retirer son soutien à Paul Kagame et à le traduire devant la justice internationale
avec d’autres membres du FPR (pp. 332-3338). C’est un appel que l’auteur réitère souvent durant ses
4 Shingiro Mbonyumutwa fut ministre du Plan et des Ressources naturelles dans le premier gouvernement de Juvénal
Habyarimana (1973-1975), ensuite membre du bureau politique du MDR (Mouvement démocratique républicain) de 1991 à
1994.
5 Groupes de combattants, issus des premiers réfugiés ayant dû quitter le Rwanda au cours de la « Révolution sociale ». Le mot
kinyarwanda Inyenzi, signifiant cancrelat, leur avait été attribué par le PARMEHUTU dans l’objectif de les humilier. Les
combattants ont, en revanche, re-baptiser leur mouvement « IN-YE-NZI », l’abréviation de « INgangurarugo yiYEmeje kuba
ingeNZI ». Ce terme a été forgé par Aloys Ngurumbe. Il désigne un membre vaillant de l’Ingangurarugo, une unité armée sous le
mwami (roi) Kigeli Rwabugili vers la fin du XIXe siècle. (THOMPSON, 2007 : 84.)
6 Voir la Position du Comité central du MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement) face au problème
des réfugiés rwandais du 26 juillet 1986, document cité par Jean-Paul KIMONYO. (Kimonyo, 2017 : 19)
7 Cf. La version française du Programme politique du FPR, nouvelle édition, mars 1991, 21 p. Document incluant un avant-propos
rédigé par le colonel Alexis Kanyarengwe qui, à cette époque précise, fut le président du FPR.
[https://francegenocidetutsi.org/ProgrammeFPRmars1991.html.en ; site consulté, pour la dernière fois, en octobre 2020.]
8 Toutes les références, situées entre parenthèses dans le texte, sont issues de la traduction française du livre numérique
(Version Google Play Books). REVER Judi, Rwanda. L’éloge du sang. Les crimes du Front patriotique rwandais, Chevilly-Larue, Max
Milo, 2020, 610 p.
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ÇEHRELİ A. S. (2021). « L’éloge de la haine ». Le nouveau négationnisme du génocide contre les Tutsis au Rwanda. 4
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conférences. À ces occasions précises, Judi Rever aime aussi évoquer le fait que « Kigali » tenterait de
l’empêcher de diffuser les résultats de ses enquêtes (p. 21). Son livre contient, d’ailleurs, plusieurs passages
où elle raconte le cheminement de son travail, malgré des menaces et, parfois, sous la protection des
services de sécurité. Ce sont des passages qui rappellent une version médiocre des romans de Frederick
Forsyth ou de John Le Carré. On peut, effectivement, critiquer le choix éditorial de la journaliste qui a
consisté à mêler les résultats déjà problématiques de son enquête avec un récit personnel peu intéressant.
D’autant plus que la majorité des arguments formulés par Judi Rever sont également mentionnés dans les
témoignages d’exilés hutus ou d’autres enquêtes de journalistes, les auteurs9 de ces publications coulant
des jours tranquilles en Europe ou ailleurs.
Judi Rever vise donc à étudier les « crimes du FPR » et, selon cette journaliste canadienne indépendante,
la liste de ces crimes s’avère bien longue. En résumé, l’auteur accuse le FPR d’avoir commis, contre des
civils hutus, des crimes de nature universelle. Tantôt il est question d’un génocide (p. 33, p. 216, p.314),
tantôt d’un nettoyage ethnique (p.126, p. 171) perpétré dans l’objectif de récupérer des terres pour y
installer, à leur retour, les Tutsis exilés. Dans cette perspective, le FPR aurait ciblé, en particulier, les
intellectuels hutus afin de pouvoir mieux contrôler la masse de civils démunis (p. 223, pp. 333-334).
En sus de ce « génocide contre les Hutus », le FPR se trouverait - toujours selon l’argumentation discutable
de Judi Rever - à l’origine du génocide contre les Tutsis aussi. Presque tous les crimes (massacres de
populations civiles, attaques à la grenade, assassinats politiques) perpétrés avant, pendant et au lendemain
de ce génocide au Rwanda sont attribués au FPR. Les Inkotanyis10 auraient infiltré plusieurs institutions,
dont les partis politiques d’opposition, afin de semer le chaos dans le pays (pp. 105-106). Ils auraient ainsi
provoqué la haine des Hutus à l’encontre des Tutsis, ce qui aurait conduit le Rwanda au génocide. La
responsabilité de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, considéré
comme l’événement déclencheur de ce génocide, incomberait aussi au FPR.
Le FPR aurait également perpétré un génocide au Congo lors du rapatriement forcé des réfugiés hutus au
Rwanda, une politique qui aurait été accompagnée de la spoliation des ressources de ce pays. Ce faisant, il
aurait infiltré les organisations humanitaires dans l’objectif précis de retrouver les populations civiles
hutues pour les assassiner (pp.75-76). En ce sens, il n’aurait pas hésité à tromper ces populations en
utilisant les véhicules et insignes11 des organisations humanitaires (Bourdon et Duverger, 2000 : 59). Et,
afin de justifier son intervention militaire au Congo, le FPR aurait simulé, au préalable, des attaques contre
les populations civiles dans le Nord-Ouest du Rwanda. Il aurait ensuite attribué, à tort, ces attaques aux
réfugiés hutus des camps situés près de la frontière congolaise.
9 Cf. par exemple, le livre rédigé par Jacques Pauw, un journaliste sud-africain, sur Kennedy Gihana, ancien membre du FPR
(Pauw, 2012).
10 Nom donné aux soldats du FPR et signifiant combattants acharnés / invincibles. À l’origine, ce nom se référait au XIXe siècle à
Kigeli IV Rwabugili, surnommé Inkotanyi Cyane, un roi qui fut célèbre pour ces conquêtes militaires au nord du Rwanda (Gatete,
2018).
11 Un tel acte constituerait un crime de guerre tel que défini lors des travaux préparatoires ayant abouti, en juillet 1998, à
l’adoption du Statut de Rome portant création de la toute première Cour pénale internationale permanente de l’histoire.
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Mais le FPR aurait surtout infiltré les Interahamwes12 et aurait participé aux massacres des Tutsis durant le
génocide (pp. 114-115). Il serait, notamment, l’auteur de l’attaque contre les habitants de la colline de
Bisesero, dont il aurait, également, réprimé la résistance à la fin de juin 1994. L’élimination des civils hutus,
que ce soit au Rwanda ou au Congo, aurait été, selon Judi Rever, une politique généralisée du FPR. Dans
son livre, la journaliste ne manque pas de souligner, à plusieurs reprises, que les exemples de massacres
qu’elle cite ne constitueraient pas d’exception (p. 215). Ils auraient été, au contraire, commis à l’échelle du
pays, et, tout particulièrement, dans les zones contrôlées par le FPR.
Ainsi, Judi Rever transforme-t-elle le FPR, connu pour sa discipline13 intransigeante (Rutabana, 2014), en
un groupement de génocidaires réduit au niveau des Interahamwes, dont les membres massacrent à l’arme
blanche, pillent, voire violent systématiquement (p. 133, pp. 195-196). Et cela, avec la soi-disant
collaboration active des Tutsis de l’intérieur. Certains d’entre eux auraient été formés par le FPR pour
devenir des « techniciens » avec la mission précise de provoquer le génocide, puis de favoriser la prise de
pouvoir sans partage du FPR au Rwanda (p. 336).
En considérant l’ensemble de ces arguments, il ne faut pas s’étonner de voir que le livre de Judi Rever est,
particulièrement, bien reçu dans les milieux négationnistes du génocide contre les Tutsis. Son travail est
aussi accueilli par des émissions14, dont les modérateurs ne connaissent pas toujours l’histoire du Rwanda.
Par conséquent, ils ne sont pas réellement en mesure de relever ou de discuter les informations
problématiques contenues dans ce livre.
C’est, en particulier, le cas de la question de savoir si le livre de Judi Rever fait du négationnisme ou pas.
Certes, la journaliste canadienne écrit et affirme dans ses interviews qu’elle ne nie pas le génocide contre
les Tutsis (pp. 331-332). Elle souligne, également, qu’elle a fait le choix de centrer son étude plutôt sur les
crimes de nature universelle (génocide, nettoyage ethnique, crimes de guerre) qui auraient été commis
par le FPR contre les Hutus. Cela dit, dans son livre, l’auteur défend toute une série d’arguments allant
exactement à l’encontre d’une véritable reconnaissance du génocide des Tutsis. Son affirmation de
reconnaissance constitue plutôt un paravent derrière lequel elle cache les arguments de son livre que nous
venons de résumer ci-dessus. Il conviendrait, d’ailleurs, de souligner que le livre de Judi Rever ne fait pas
du simple négationnisme. Il ne s’agit pas, par exemple, de réfuter catégoriquement l’existence du génocide
ou de parler d’un double-génocide, comme nous pouvons le lire dans plusieurs autres textes. En inversant
le rôle des victimes et des génocidaires, en prétendant qu’il existerait des raisons – certes selon elle aussi
injustifiables – mais qui auraient incité les Hutus à commettre un génocide, Judi Rever contredit la
définition, même la plus élémentaire, du crime de génocide : le fait de tuer un Tutsi parce qu’il est Tutsi et
12 Le mot interahamwe signifie littéralement « ceux qui attaquent ensemble. » Il désigne, officiellement, le mouvement de
jeunesse du MRND, fondé en 1992. Dans la pratique, ce mouvement s’est transformé en une milice dépassant le cadre du MRND
qui, avec les Forces armées rwandaises (FAR) et une partie de la population civile hutue, a perpétré le génocide contre les Tutsis
en 1994.
13 Cf. Le chapitre intitulé « Le camp d’entraînement de Nakivala » dans le livre de Benjamin Rutabana, ancien membre du FPR,
où il parle, sans ménagement, des conditions extrêmement dures de sa formation initiale dans le mouvement (Rutabana, 2014
: Livre numérique, Loc. 1341 – Loc. 1593).
14 À titre d’exemples, voir l’interview de Judi Rever réalisée, le 20 octobre 2020 par André Bercoff sur Sud Radio, 18min.59.
[https://www.youtube.com/watch?v=kNZAotBu0a8] ou celle réalisée par Christine H. Gueye, le 22 septembre 2020, pour
Sputnik France, 32min.08. [https://www.youtube.com/watch?v=3vk8uNN7JhA] ; sites consultés, pour la dernière fois, en
octobre 2020.
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IJAR. 6(11),1-13.
non pas pour ce qu’il a fait. La journaliste canadienne se trouve donc à l’origine d’une nouvelle forme de
négationnisme.
Sous une formulation un peu plus retenue, cette même approche problématique apparaît dans les récents
travaux du professeur Filip Reyntjens (Reyntjens, 2017 : Livre numérique Loc. 928- Loc. 932). Si, dans son
livre, le juriste belge formule ses arguments prudemment en citant les études d’autres chercheurs, F.
Reyntjens n’hésite, cependant, pas à apporter clairement sa caution universitaire au livre de Judi Rever sur
les réseaux sociaux, notamment sur son compte Twitter qu’il utilise activement. Ce faisant, il ne cesse
d’inviter la communauté de chercheurs travaillant sur le Rwanda à débattre sur ce livre, sans toutefois se
rendre compte de la violence extrême d’un tel débat pour les rescapés du génocide contre les Tutsis.
Reposant sur l’ensemble de ces arguments, Judi Rever affirme mettre en cause ce qu’elle appelle « l’histoire
officielle » du génocide au Rwanda : une histoire qui aurait été forgée et contrôlée par le FPR. L’auteur y
critique, tout particulièrement, le fait que Paul Kagame est accepté, à la fois au Rwanda et par la
communauté internationale, comme le héros qui, avec l’aide des Inkotanyis, a mis un terme au génocide
des Tutsis en juillet 1994 (pp. 20-21). Et en parlant du contrôle de « l’histoire officielle » du génocide par le
FPR, Judi Rever estime – réellement - que les membres de ce mouvement surveillent – presque
littéralement - les rescapés et les informations que ceux-ci peuvent communiquer aux journalistes,
humanitaires ou chercheurs : les vecteurs de diffusion de cette « histoire officielle » au niveau international.
Or, les arguments énoncés dans le livre de Judi Rever reposent sur des sources plutôt anonymes, dont on
ne peut ni vérifier les informations, ni les croiser avec d’autres sources. La note de bas de page suivant un
argument extrême ne renvoie souvent qu’à une référence floue. À titre d’exemple, la note de bas de page
relative à la participation des Tutsis de l’intérieur aux massacres de civils hutus peut se lire comme :
« Multiples entretiens avec d’anciens soldats, agents des renseignements et cadres. » (p. 197)
De ce fait, l’enquête de Judi Rever est loin de mettre en cause l’historiographie du génocide au Rwanda,
telle qu’elle est écrite depuis 1994.
Plus précisément, Judi Rever se réfère aux témoignages d’anciens membres du FPR qui ont rompu avec le
mouvement. Elle a également étudié des documents issus du TPIR (Tribunal pénal international pour le
Rwanda). C’est une documentation qu’il conviendrait, toutefois, d’approcher avec prudence : en
particulier, parce que les rapports et procès-verbaux d’audition de témoins, issus de l’Unité d’enquêtes
spéciales du Bureau du Procureur, n’ont pas été toujours rédigés par des auteurs neutres. Et, de toute
façon, les témoignages des anciens membres du FPR se trouvent, de nouveau, comme source principale, à
l’origine des documents de cette unité. Autrement dit, ces documents ne sont fiables que, si et seulement
si, les témoins le sont aussi.
Or, la méthode de travail de l’Unité d’enquêtes spéciales présente plusieurs inconvénients contraires à
l’éthique. Déjà le choix de commencer l’enquête par l’étude de la « littérature anti-FPR » (p. 372) est assez
révélateur. Cette littérature, source de désinformation, ne reproduit que la perception négative et les
préjugés cultivés au Rwanda à l’égard de ce mouvement depuis 1990. Il ne faudrait pas non plus oublier
qu’il n’était pas possible, sous le gouvernement de Habyarimana, d’avoir accès à des informations correctes
sur le FPR. Les Tutsis de l’intérieur, accusés d’être des ibyitso, c’est-à-dire de collaborer avec les Inkotanyis,
ont été arrêtés en masse les jours qui ont suivi le déclenchement de la guerre d’octobre 1990. De peur de
représailles, les familles, ayant des membres partis rejoindre ce mouvement, ne pouvaient plus entretenir
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IJAR. 6(11),1-13.
de contact avec eux. Le FPR n’était donc pas bien connu parmi la population rwandaise d’avant 1994. Dans
les livres et la presse, il se trouve à l’origine de nombreux mythes et préjugés diffusés sur lui, délibérément
ou par simple méconnaissance.
Deuxièmement, la décision d’infiltrer les anciens membres du FPR est considérée par les enquêteurs
comme étant la seule possibilité de collecter des informations sur les crimes qui auraient été perpétrés par
ce mouvement (p. 372). L’équipe des enquêteurs a, par conséquent, établi des relations de confiance avec
les dissidents (p. 529), tout en leur promettant parfois de l’aide dans la procédure de demande d’asile dans
un pays occidental. Ce qui leur attribue un certain pouvoir sur le témoin. Et il suffirait de se rappeler le
témoignage particulièrement problématique d’Abdul Joshua Ruzibiza15 avant de se décider à prendre en
considération sans réserve une telle source16.
Mais même sans cette négociation concernant l’aide dans la procédure d’asile politique, l’annexe E publiée
dans la traduction française du livre de Judi Rever montre que l’Unité d’enquêtes spéciales, loin d’être
neutre, a tenté d’orienter la déposition du témoin. On pourrait citer plusieurs passages significatifs dont
celui où le témoin s’égare de la voie souhaitée par l’enquêteur :
« [Question] Est-il également exact que le Général Paul KAGAME, comme les extrémistes du Président HABYARIMANA, ne
voulaient pas entendre parler de cette voie de partage du pouvoir comme une solution durable aux problèmes posés ?
[Réponse] En aucun moment j’ai eu l’impression que le Général Paul KAGAME négligeait les accords d’Arusha ; car il prétendait
que lesdits accords étaient une victoire sur HABYARIMANA.
Certes, il ne manquait pas de signifier avec force qu’en cas d’échec que nous avions la force et le courage de prendre le pouvoir
par les armes. » (p. 459)
Autre exemple tout aussi significatif :
« [Question] Êtes-vous convaincu que si le FPR l’avait voulu, le génocide n’aurait pas dû avoir lieu, même si le Gouvernement
intérimaire du 1er Ministre KABANDA [sic] Jean & les Interahamwe Za MRND avaient envisagé d’exterminer les Tutsi, dans le
cadre du génocide ?
[Réponse] En tant que militaire et considérant le facteur territorial, temps et ressources humaines, il me serait très difficile d’en
arriver à cette conclusion. » (p. 519)
Enfin, l’enquêteur ne manque pas, non plus, l’occasion de faire la morale au témoin en question :
« Au moment où vous vous apercevez que l’on vous manipule et que l’APR [l’Armée patriotique rwandaise], devient une machine
à tuer, ne croyez-vous pas regrettable d’avoir continué à travailler délibérément avec un mouvement (FPR) et une force (APR),
sachant que vous adhériez à des politiques criminelles ? » (p. 525)
15 Ancien membre du FPR et réfugié en Norvège, Ruzibiza fut un témoin de l’enquête du juge Bruguière en 2006 concernant
l’attentat du 6 avril. Il est cependant revenu sur ses déclarations en 2008. Cf. RUZIBIZA Abdul Joshua, Rwanda. L’histoire secrète,
Paris, Éditions du Panama, 2005, 500 p. La publication de ce témoignage a été encadrée par Claudine Vidal et André Guichaoua
qui ont rédigé, respectivement, la préface et la postface de l’ouvrage.
16 Voir aussi l’interview d’Abdul J. Ruzibiza réalisée, le 11 novembre 2008, par Albert Rudatsimburwa.
[https://francegenocidetutsi.org/RuzibizaFMContactfr.mp3] ; site consulté pour la dernière fois en octobre 2020. Dans cette
interview, Ruzibiza reconnaît qu’il a « recruté » pour l’instruction du juge Bruguière d’autres membres du FPR. Ils auraient, en
quelque sorte, revu ensemble ce qu’il convenait de dire au juge. Ce que semble avoir fait aussi Théogène Murwanashyaka, le
témoin principal sur lequel Judi Rever repose son livre, pour l’instruction judiciaire espagnole contre le FPR, du moins pour ce
qui est du « recrutement » d’anciens membres de ce mouvement.
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Ainsi, plusieurs questions posées au témoin par l’enquêteur contiennent-elles déjà la réponse préconçue :
l’objectif de l’enquêteur n’étant, en quelque sorte, que de confirmer une version des faits où l’on entend
l’écho de la voix de références révisionnistes / négationnistes comme celles de Pierre Péan ou des frères
John et Robin Philpot.
Outre les sources anonymes, l’analyse de Judi Rever présente également plusieurs aspects problématiques,
discréditant l’ensemble de son travail. Dans son livre, la journaliste canadienne n’hésite pas, en effet, à
qualifier un ancien membre du FPR de « double-agent de Kagame » lorsque celui-ci ne lui donne pas des
réponses allant dans le sens de ses attentes17 (p. 176). Judi Rever a également tendance à créer un « crime
parfait » qu’on ne peut étudier. C’est, notamment, le cas lorsqu’elle prétend que le FPR aurait enterré les
civils hutus, qu’il aurait assassinés, dans les fosses communes où se trouvaient déjà des victimes tutsies
tuées par les Interahamwes (p. 145).
Le nouveau chapitre sur Bisesero, inclus dans la traduction française du livre, présente un autre exemple
de « crime parfait » forgé par Judi Rever. La colline de Bisesero, connue pour sa résistance aux génocidaires,
occupe une place particulière dans l’histoire du génocide des Tutsis ; elle est très bien documentée par les
témoignages de rescapés18. J. Rever n’hésite pas cependant à ré-écrire cette histoire, sur la base de
témoignages anonymes, en accusant les membres du FPR, déguisés en miliciens hutus, d’avoir massacré
les habitants de cette colline, tout en réprimant leur tentative de résistance (pp. 185-186). Le FPR aurait,
par la suite, assassiné aussi certains Tutsis ayant participé aux massacres de Bisesero (p. 187). Et, afin de
dissimuler son crime, il aurait contrôlé le témoignage des rescapés pour que ceux-ci ne puissent pas
s’écarter de « l’histoire officielle » du génocide :
« Plusieurs sources affirment que les civils tutsis victimes des violences du FPR et sauvés par des voisins hutus, des prêtres ou
l’armée de Habyarimana pendant le génocide, ne peuvent raconter leur histoire parce qu’ils craignent d’être assassinés au
Rwanda ou pourchassés à l’étranger par les agents de Kagame. Ils ont donc choisi de se taire ou accepté de mentir pour protéger
leur famille, et dans bien des cas, pour profiter des privilèges : emplois, visas ou accès à l’éducation. » (p. 210)
Le chapitre sur Bisesero expose aussi la tentative avortée de l’auteur de vouloir réhabiliter les véritables
acteurs ayant perpétré le génocide des Tutsis. En lisant la dernière phrase de la citation, on se demande
aussi si la journaliste se rend compte que dans le Rwanda d’aujourd’hui, il n’y a plus de quota ethnique :
les emplois, visas et l’éducation étant accessibles à tous les citoyens rwandais, sans distinction régionale
ou autre.
De façon encore plus étonnante, Judi Rever affirme, exactement, le contraire d’une information qui est
pourtant écrite – noir sur blanc – dans l’annexe I qu’elle intitule « Le deal US-TPIR / impunité pour le FPR »
(pp. 593-600). En lisant ce document, on apprend, au contraire, que le gouvernement du Rwanda autorise
le TPIR à examiner les enquêtes et procès n’ayant pas abouti à des condamnations des membres du FPR /
17 Il s’agit de Deus Kagiraneza, ancien membre du FPR, qui fut le préfet de Ruhengeri et un parlementaire avant de quitter le
Rwanda en 2000 pour la Belgique. Cf. en particulier, la lettre du 19 décembre 2006 adressée par Deus Kagiraneza au juge Jean-
Louis Bruguière. [https://francegenocidetutsi.org/MeSecernoVulgus.html.fr] ; site consulté pour la dernière fois en octobre
2020. Dans cette lettre, D. Kagiraneza se distancie de l’enquête Bruguière, tout en adoptant un ton très sévère : « En plus des
lacunes, de l’arrogance et du cynisme qui apparaissent sur chaque page de l’ordonnance, votre rapport contient des erreurs
scandaleuses d’évaluation et des abus de procédure. »
18 Cf. parmi d’autres témoignages, le rapport suivant : African Rights, Résistance au génocide. Bisesero. Avril-juin 1994, Londres,
1997, 244 p.
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APR. De même, le TPIR se réserve le droit de porter une affaire devant le tribunal au cas où il noterait des
problèmes dans la procédure judiciaire rwandaise. Ce qui a constitué une concession énorme pour le FPR
qui avait mené une guerre de libération19 et a mis un terme au génocide contre les Tutsis. Malgré ce fait,
le Rwanda est traité, en quelque sorte, comme l’Allemagne vaincue au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale qui n’a récupéré l’intégralité de sa souveraineté judiciaire qu’en 1955. L’accord entre le TPIR et
le Gouvernement du Rwanda inclut d’ailleurs une clause prévoyant la renégociation de cet accord qui, à
juste titre, semble ne pas correspondre aux attentes du Rwanda. À cela s’ajoute le fait que Carla del Ponte,
procureur du TPIR entre 1999 et 2003, a jugé opportun de pratiquer une justice plutôt sélective. Afin de ne
pas se brouiller avec le gouvernement du Rwanda, elle a envisagé d’ouvrir une enquête contre seulement
deux anciens membres du FPR vivant en Europe (p. 396). Cela n’est pas, non plus, l’attitude d’un juriste,
qui sur la base de solides preuves, agirait, de façon déterminée, contre l’impunité d’un gouvernement. Il
est aussi important de noter, ici, que le TPIR disposait d’un temps et de ressources limités qu’il convenait
plutôt d’utiliser pour sa mission principale, à savoir la poursuite des auteurs principaux de crimes de
génocide.
D’autre part, l’annexe D de la traduction française, c’est-à-dire le rapport concernant « les enquêtes
spéciales sur les crimes du FPR », montre que Judi Rever a largement paraphrasé des faits tirés de ce
document. Autrement dit, elle a repris exactement certains faits du rapport sans les soumettre à un examen
critique. Comme l’avait fait le journaliste Pierre Péan (Péan, 2015) pour l’enquête du juge Bruguière, Judi
Rever est, en effet, la plume qui vulgarise les résultats des travaux de l’Unité d’enquêtes spéciales du TPIR.
Mais l’un des points le plus faible de l’enquête de Judi Rever est, sans aucun doute, sa comparaison
maladroite de l’histoire rwandaise à celle de la Shoah. Au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture
du livre, on se rend compte de l’existence d’informations ressemblant considérablement à des éléments
de la politique génocidaire nazie. Ainsi, est-il souvent question d’enterrer, puis de brûler les corps des
victimes civiles hutues qui auraient été assassinées par le FPR. Les restes d’os humains auraient été, par la
suite, détruits par une équipe de soldats par l’intermédiaire de l’acide. Puis les cendres récupérées auraient
été mélangées à la terre ou versées dans les lacs environnants (p. 145). Judi Rever va jusqu’à écrire que le
FPR aurait même assassiné un certain nombre de victimes hutues dans des camions, en y introduisant le
monoxyde de carbone.
Vers la fin de l’ouvrage, le lecteur découvre que l’auteur, en soutenant les arguments ci-dessus, s’est
effectivement inspiré de la politique génocidaire nazie :
« Les responsables du FPR n’ignoraient rien de l’histoire, et semblent même avoir étudié les méthodes utilisées sous le IIIe Reich.
En effet, en 1941, des unités mobiles d’extermination suivaient l’armée allemande sur le territoire soviétique. Ces unités,
appelées Einsatzgruppen, se composaient d’officiers allemands de la SS et d’agents de police qui s’appuyaient sur le soutien des
civils pour identifier les Juifs et les éliminer.[…] À l’instar des unités mobiles du Troisième Reich, déployées à travers toute l’Union
soviétique occupée, les escadrons mobiles du FPR s’étendaient de la frontière nord du Rwanda avec l’Ouganda, jusqu’au sud du
pays, le long de la frontière avec la Tanzanie. Les camions qui transportaient les Hutus vers le Parc national de l’Akagera et les
crématoriums à ciel ouvert installés dans les forêts ne sont pas sans rappeler les trains de la mort et les camps d’extermination
qui existaient lors de la Seconde Guerre mondiale. » (p. 334)
19 Le vocabulaire privilégié par Judi Rever reflète sa conception de l’histoire du Rwanda. Son choix de parler d’une « guerre
d’invasion » du FPR (pp. 21-22) ressemble à la réaction du président Habyarimana. Ce dernier l’avait présentée à la communauté
internationale comme une attaque venant d’un pays étranger. Il est naturellement aberrant de parler d’invasion puisque ce sont
les membres d’un même peuple qui tentent de rentrer chez eux.
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La seule référence de Judi Rever, concernant cette comparaison fort inappropriée entre la Shoah et les
crimes qu’elle attribue au FPR, est l’Encyclopédie de l’Holocauste en ligne du United States Holocaust
Memorial Museum (USHMM) à Washington DC. (p. 339) Il ne faudrait donc pas s’étonner que la journaliste
ignore tant l’Aktion 100520 que les conditions d’utilisation temporaire des camions à gaz pendant
l’exécution de la politique génocidaire nazie. Elle ne sait pas, en effet, qu’il s’agit d’une politique qui, lors
de sa mise en application même dans les centres de mise à mort, s’est constamment développée sur la
base des premières expériences génocidaires acquises. La transformation de camions ordinaires en
camions à gaz a nécessité, de surcroît, le recours des autorités nazies à une usine spécialiste de la technique
en la matière. Il existe d’ailleurs une documentation qu’on peut consulter sur ce sujet précis au
Bundesarchiv (Archives fédérales) de Berlin-Lichterfelde21. Par ailleurs, le processus de déterrer les corps
et de les brûler en masse ne peut se dérouler rapidement, comme l’écrit brièvement Judi Rever dans son
livre, sans en maîtriser une certaine technique. Encore une fois, c’est la politique génocidaire nazie qui a
élaboré, dans les centres de mise à mort, une méthode à partir de l’expérience pratique. Sans vouloir entrer
dans le détail, cette méthode a montré qu’on ne peut pas faire disparaître des fosses communes, en
entassant par hasard les corps des victimes et en y versant un combustible. De même, contrairement à ce
qu’écrit Judi Rever, les restes humains ne peuvent être détruits, à l’échelle génocidaire, par l’acide. Comme
le montre, encore une fois, le cas de la Shoah, les os qui n’avaient pas été entièrement consumés par le
feu, étaient pulvérisés par les membres des commandos spéciaux juifs22 utilisant divers outils à cette fin23.
En somme, il est impossible pour le FPR d’avoir accès à ce type d’informations pratiques / techniques (Van
Oijen, 2020). Et les photos satellites, conservées dans les archives américaines, si elles existent réellement,
devraient correspondre à tout autre chose que l’incinération de masse à ciel ouvert des corps de victimes
hutues. Car il convient, également, de rappeler qu’il est impossible, pour ses exécuteurs, de cacher un
génocide, quelles que soient les mesures de précaution prises pour en assurer une mise en application
discrète.
Enfin, il est possible de tirer deux conclusions principales de la lecture du livre de Judi Rever.
20 L’Aktion 1005 a consisté, de l’été 1942 à la mi-janvier 1945, à faire disparaître, dans les centres de mise à mort, les traces de
la politique génocidaire nazie. Cette politique a consisté, avant tout, à déterrer et à brûler les corps des victimes juives
assassinées. Dans la phase de liquidation des centres de mise à mort, elle a aussi inclus la destruction des archives.
21 Voir, à titre d’exemple, Reichssicherheitshauptamt (Office central de la sûreté du Reich) II D 3 a (9) Nr. 214 / 42 g. Rs. Technische
Abänderungen an den im Betrieb eingesetzten und an den sich in Herstellung befindlichen Spezialwagen (Modifications
techniques sur la voiture spéciale qui est entrée en fonction et qui se trouve en production), Berlin, le 5 juin 1942.
22 Un commando spécial juif était appelé Sonderkommando à Auschwitz-Birkenau et Arbeitsjuden dans les quatre centres de
mise à mort (Chełmno, Bełżec, Sobibór, Treblinka.) Il était question de témoins oculaires de la politique génocidaire nazie dans
les camions et chambres à gaz. Les membres de ces équipes n’exécutaient aucune tâche liée à la mise à mort des victimes juives
(comme le fait de prononcer un discours trompeur aux victimes à leur arrivée au camp ou celui de verser le gaz dans les chambres
à gaz.) Ils étaient uniquement chargés de nettoyer les lieux de mise à mort, puis de trier les affaires personnelles volées aux
victimes assassinées.
23 Pour le cas spécifique d’Auschwitz-Birkenau, voir, par exemple, le témoignage de Filip Müller, survivant du Sonderkommando
juif de ce camp. MÜLLER Filip, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, Paris, Pygmalion Gérard Watelet, 1980, 249 p. Les
témoignages recueillis par Gideon Greif contiennent, également, beaucoup d’informations sur ce sujet. GREIF Gideon, Wir
weinten tränenlos… Augenzeugenberichte der jüdischen " Sonderkommandos" in Auschwitz (Nous pleurions sans larmes.. Les
témoignages des "Sonderkommandos" juifs à Auschwitz), Cologne-Weimar-Vienne, Böhlau, 1995, 307 p.
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Premièrement, on comprend, plus que jamais, l’urgence de faire l’histoire du FPR24 en partant d’une
véritable enquête. Cela nécessiterait, outre une bonne connaissance de l’histoire du Rwanda, de maîtriser
également le kinyarwanda, afin de pouvoir étudier les archives et de recueillir un grand nombre de
témoignages. L’écriture d’une « histoire vue d’en bas », telle que l’historienne Hélène Dumas (Dumas,
2014) et le journaliste Jean Hatzfeld25 l’ont fait, serait la méthodologie à privilégier. Autrement dit, il
s’agirait d’une étude approfondie pour chaque région, suivie d’une comparaison des résultats obtenus sur
l’ensemble du Rwanda et, aussi, au sein de différentes communautés rwandaises en diaspora.
Les témoignages des rescapés nous donnent déjà d’importantes pistes à explorer dans l’histoire du FPR :
comme par exemple, l’étude de la perception particulièrement négative de ce mouvement sous le
gouvernement de Habyarimana ou les raisons qui avaient conduit de jeunes rwandais à rompre tout
contact avec leur famille pour rejoindre le front. La rencontre du rescapé du génocide avec les soldats du
FPR présente un thème à part à étudier. Cette rencontre correspond au moment où le génocide prend fin
pour le rescapé. Ce dernier est alors pris en charge par le FPR, venant de mettre sur pied des orphelinats
et des centres d’accueil de fortune. Ce sont, en particulier, les témoignages d’enfants à l’époque du
génocide, publiés récemment, comme celui de Dydine Umunyana26 (Umunyana, 2016), qui exposent la
complexité d’une écriture de l’histoire du FPR : une histoire qui, contrairement à ce que suggèrent Filip
Reyntjens et Judi Rever, ne peut être réduite à une forme d’inquisitoire recensant les « crimes du FPR » sur
la base de sources largement anonymes. Plusieurs autres thèmes, dont notamment le déroulement de la
guerre d’indépendance, devraient également être reconstitués avec davantage de précisions.
Enfin, deuxièmement, le livre de Judi Rever va à l’encontre des choix politiques effectués par le Rwanda
post-génocidaire, comme le fait de privilégier une identité rwandaise au lieu des mentions ethniques Hutu-
Tutsi-Twa. En réalité, la démarche de l’auteur nuit à la réconciliation nationale, à laquelle les rescapés du
génocide ont participé avec beaucoup de difficulté27. L’enquête de la journaliste, s’inscrivant dans la ligne
du nouveau négationnisme, prône une nouvelle forme de réconciliation. Cette même tendance à vouloir «
ne pas séparer les victimes » se retrouve aussi dans le livre attribué à Kizito Mihigo28 (Mihigo, 2020). Or,
ceci reviendrait à déformer l’histoire du génocide, tout en confondant deux expériences radicalement
différentes : celles du génocide et de la guerre. Cette approche risquerait de re-diviser les Rwandais. Ce
que fait, précisément, Judi Rever en appelant la « diaspora hutue » à se mobiliser pour obtenir une soidisant
justice. Une telle approche rend, également, plus difficile le fait d’aborder la question des crimes
isolés qui ont pu réellement être commis par des membres du FPR lors du conflit armé.
24 Le tweet diffusé par le président Paul Kagame, le 4 juillet 2020, sur son compte Twitter, annonce son intention de préparer,
avec la coopération d’autres membres du FPR, un projet de livre sur la guerre de libération au Rwanda.
25 Jean Hatzfeld a écrit plusieurs livres sur le Rwanda. Citons les deux premiers qui ont été, respectivement, consacrés aux
témoignages de rescapés et aux récits de Rwandais condamnés pour crimes de génocide. HATZFELD Jean, Dans le nu de la vie.
Récits des marais rwandais, Paris, Point Seuil, 2002, 236 p. et HATZFELD Jean, Une saison de machettes. Récits, Paris, Seuil, 2003,
318 p.
26 Les deux parents de Dydine Umunyana avaient rejoint le FPR. Ce témoignage montre que le lendemain du génocide fut aussi
particulièrement difficile pour les membres du FPR.
27 Parmi plusieurs autres exemples voir, notamment, MUJAWAYO Esther, BELHADDAD Souâd, La fleur de Stéphanie. Rwanda
entre réconciliation et déni, Paris, Flammarion, 2006, pp. 77-106.
28 S’agissant d’une publication posthume, il est difficile de déterminer quelle partie du livre a réellement été rédigée par K.
Mihigo lui-même. D’autant plus que le texte contient un récit autobiographique à travers lequel surgissent les arguments
répétitifs du nouveau négationnisme du génocide contre les Tutsis.
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En fin de compte, seuls peu de Rwandais, qu’il s’agisse de politiques, de bureaucrates ou d’universitaires,
semblent avoir compris, à la veille du génocide, le coeur du problème résidant dans le conflit à venir :
« Depuis des années, les autorités du pays déclarent que le Rwanda est trop petit pour que les réfugiés puissent rentrer, elles
les appellent à rester dans leurs pays d’accueil, voire à en demander la nationalité. Mais ce n’est pas cela qui résoudra le
problème des réfugiés rwandais. Moi, je ne supporterais pas qu’on m’empêche de rentrer dans mon pays sous prétexte qu’il est
trop petit. J’aurais la nostalgie du lait battu (ikivuguto), d’une pomme de terre cuite dans un feu de berger (ururimbi, runonko).
Je vais proposer que ce paragraphe soit supprimé. Il est injuste qu’une partie du peuple rwandais soit privé de sa patrie avec
tout ce que cela entraîne comme privation de droits. Les Rwandais qui sont à l’extérieur doivent choisir librement de demander
la nationalité de leurs pays d’accueil. Personne n’a le droit d’imposer à un être humain de vivre hors de son pays, loin de sa
culture29. » (Mukeshimana-Ngulinzira, 2001 : 22-23)
Au fur et à mesure que le temps passe, le souvenir du lourd prix payé par les Rwandais tend à s’affaiblir
pour certains milieux qui se sentent encouragés à faire « l’éloge de la haine ». Avec son livre, Judi Rever est
l’un des principaux auteurs à y contribuer effectivement, en voulant entretenir cette haine entre les
Rwandais.
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29 Propos de Boniface Ngulinzira, rapportés par son épouse, lorsqu’il préparait, en juin 1989, un discours de Juvénal Habyarimana,
en tant que conseiller aux Affaires éducationnelles, culturelles et sociales à la Présidence de la République du Rwanda. Homme
de paix, Boniface Ngulinzira fut l’un des membres fondateurs du Mouvement démocratique républicain (MDR) rénové, le
principal parti d’opposition au gouvernement de Juvénal Habyarimana. En tant que ministre des Affaires étrangères et de la
Coopération au sein du gouvernement d’union nationale ayant inclus les partis d’opposition, il a conduit, jusqu’en avril 1993, les
négociations de paix avec le FPR.
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