Fiche du document numéro 27556

Num
27556
Date
Lundi 23 février 1998
Amj
Taille
33452
Sur titre
 
Titre
Entretien avec le président Pierre Buyoya, après le sommet de Kampala
Sous titre
Sous embargo, le Burundi « ne s'effondrera pas ».
Tres
 
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Nom cité
Lieu cité
Cote
 
Résumé
 
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Bujumbura, envoyé spécial.

Embargo économique maintenu : la sentence est tombée samedi pour le Burundi, à l'issue d'un sommet régional, réuni à Kampala, de huit pays de la région (Ouganda, Kenya, Tanzanie, Zambie, Ethiopie, RD Congo, Zimbabwe, Rwanda). Les sanctions en vigueur depuis dix-huit mois sont donc maintenues, contrairement à ce qu'espérait Pierre Buyoya, l'ancien chef militaire tutsi qui s'est emparé du pouvoir, le 25 juillet 1996, au Burundi par un coup d'Etat sans effusion de sang, et qui était venu à Kampala plaider sa cause. Il a été brièvement entendu, mais n'a pas pu assister au sommet. Avant son départ pour Kampala, l'homme fort du Burundi s'était expliqué à Libération.

Le Burundi survivra-t-il à l'embargo?

Les Etats de la sous-région, en décidant l'embargo, n'envisageaient pas que l'économie du Burundi puisse survivre plus de trois mois. De fait, notre niveau de performance économique a baissé. L'Etat a perdu des milliards de dollars dans un troc carburant-café en notre défaveur. La population souffre de paupérisation. Mais l'Etat continue de fonctionner. Nous payons nos fonctionnaires, nos magistrats et nos enseignants. Le Burundi ne s'effondrera pas, et certains acteurs de l'embargo commencent à y réfléchir.

Les motifs officiels de l'embargo sont une réponse à votre coup d'Etat: y a-t-il selon vous d'autres raisons?

La frustration de certaines personnalités de la sous-région. Mon arrivée au pouvoir a contrarié certains projets très avancés d'intervention au Burundi, en plein chaos.

Pouvez-vous être plus explicite?

Ce n'est pas un secret que la Tanzanie avait un projet de paix pour le Burundi très différent du mien. Les autres pays ont suivi par solidarité ou par intérêt, car cet embargo crée d'immenses fortunes du côté burundais et du côté étranger. Un chef d'Etat a même parlé de l'émergence d'une mafia.

Dix-neuf mois après votre arrivée au pouvoir, dans un pays appauvri et isolé, quel bilan tirez-vous?

Il faut se souvenir du climat de violence et de terreur qui régnait sur la capitale et le pays. Tous les ingrédients d'un génocide de type rwandais, ou du moins de massacres à grande échelle, étaient rassemblés. Le pays n'était plus gouverné et se «somalisait». Plusieurs personnalité ont estimé, à l'époque, que j'étais la personne la plus apte, grâce à mon expérience et mes relations, à affronter les dangers d'un bain de sang et d'une désintégration de l'Etat. Je dois préciser, sans règlement de comptes. A notre arrivée au pouvoir, nous avions quatre priorités: restaurer la sécurité dans le pays; entamer le dialogue avec toutes les composantes politiques; porter secours aux populations sinistrées; stabiliser la vie économique et sociale.

A ce jour, l'essentiel du pays est sûr. Les régions sont sous contrôle de l'administration publique et les routes sont libres d'accès aux transporteurs et aux civils. Des affrontements persistent sur les collines, mais l'activité de la rébellion est très basse. Le Burundi connaît une paix relative que peuvent lui envier plusieurs pays décideurs de l'embargo. En plus, le dialogue reprend, très difficilement et lentement, mais sûrement. Nous avons mené des négociations pendant sept mois avec la rébellion extrémiste hutue en Italie. Cette semaine commencent des «tables rondes» à Citoga rassemblant toutes les formations politiques et composantes de la société civile. Des pourparlers s'engagent entre le gouvernement et le Parlement. Cela malgré d'énormes suspicions.

600 000 paysans, concentrés dans des camps, paient très durement le prix de la campagne sécuritaire.

Ces camps étaient nécessaires pour isoler la rébellion. Certains ont été démantelés. Notre objectif est que tous les paysans soient revenus chez eux à la fin de l'année.

Melchior Ndadaye, le premier président hutu élu, a été assassiné par des putschistes tutsis. Son successeur, Cyprien Ntaryamira, hutu, est mort dans l'avion du président rwandais en avril 1994. Le président Ntibantunganya, hutu, a été destitué par votre coup d'Etat. On est loin du «modèle démocratique burundais» dont vous parlez

Au début des années 90, l'Europe et la France nous ont imposé un modèle fondé sur un scrutin électoral occidental. Un individu, une voix, une majorité. Ce système nous a conduit à une impasse politique, à des institutions paralysées et des risques éminents de génocide. La démocratie burundaise s'appuiera sur une réalité. Le Burundi est un tout petit pays, gouverné pendant cinq siècles par une monarchie, traumatisé dans son histoire contemporaine par des massacres sanglants et répétés, menacé de troubles extérieurs. Nous devons imaginer et mettre sur pied des institutions rassurantes, qui protègent les politiciens, les notables et les intellectuels de la peur et de la dénonciation. Conditions indispensables pour envisager un début de sécurité, de rapprochement et une expression politique de cohabitation. Parce qu'en 1998 les Tutsis et les Hutus doivent s'en sortir dans un climat de confiance.

Y a-t-il une solution exclusivement burundaise à votre crise?

Trop de réfugiés et trop d'armes circulent dans la région. L'histoire du Burundi et du Rwanda est culturellement et politiquement indissociable. Le Burundi n'est pas un élément clé d'une solution régionale, mais la région n'accédera jamais à la paix sans la participation du Burundi.

Rectificatif



C'est à Gitega ­ et non à Citoga comme indiqué à la suite d'une erreur de transmission dans l'interview du président burundais Pierre Buyoya publiée hier page 6 ­ que se tiennent les tables rondes entre les différentes formations politiques du pays.

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