Citation
Spécialiste d’histoire militaire et coloniale
Madame Julie d’Andurain est une historienne universitaire spécialiste d’histoire
militaire et coloniale. Depuis 2010, elle est détachée au Centre de doctrine
et d’enseignement du commandement (CDEC) du ministère de la Défense.
Selon Wikipedia, le sujet de sa thèse était “Le général Gouraud, un colonial
dans la Grande Guerre”. 1 Celui-ci a capturé Samory « le plus vieil ennemi de
la France ».
Au CDEC, elle a travaillé avec le colonel Michel Goya qui est intervenu au
Rwanda dans le cadre de l’opération Noroît. Relatant cette campagne, celui-ci
écrit sur son blog : « Nous ne nous heurtions pas directement, le FPR comme
nous-mêmes évitions le contact, mais nous les frappions copieusement d’obus de
105 mm (et même de 122 mm venus d’Egypte) ». 2 Ce propos martial éclaircit
cette phrase sybilline du rapport des députés : « si la France n’est pas allée
aux combats, elle est toutefois intervenue sur le terrain de façon extrêmement
proche des FAR ». 3
Julie d’Andurain fait partie de la commission, présidée par Vincent Duclert,
chargée d’étudier les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide
des Tutsi (1990-1994) en lui ouvrant l’accès à « l’ensemble des fonds d’archives
françaises relatifs à la période pré-génocidaire et celle du génocide lui-même ». 4
Cette commission compte d’autres historiens spécialistes des questions militaires,
Françoise Thébaud, David Dominé-Cohn, Erik Langlinay ou encore
Guillaume Pollack.
1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Julie_d%27Andurain consulté le 2 novembre 2020.
2. Michel Goya, Je suis complice de génocide mais je me soigne, 5 avril
2019. http://francegenocidetutsi.org/GoyaCompliceDeGenocideJeMeSoigne.pdf https://
lavoiedelepee.blogspot.com/2017/07/je-suis-complice-de-genocide-mais-je-me.html.
3. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [2, Tome I, Rapport, p. 171]. http://
francegenocidetutsi.org/RapportMIP.pdf#page=171
4. Vincent Duclert, Note intermédiaire remise au Président de la République, 5 avril 2020.
http://francegenocidetutsi.org/DuclertRapport.pdf .
1
2
L’opération Turquoise
Dans le cahier du RETEX « 50 ans d’OPEX en Afrique (1964 - 2014) »,
publié sous la direction de Julie d’Andurain, l’opération Turquoise est présentée
comme visant à « s’interposer entre le gouvernement hutu, ses forces armées et
les rebelles tutsis du front patriotique rwandais (FPR) et protéger les populations
civiles de deux ethnies, cibles de massacres organisés par les deux camps. » 5
De plus, Julie d’Andurain est l’auteure d’une notice sur l’opération Turquoise
dans le Dictionnaire des opérations extérieures de l’armée française - De 1963
à nos jours publié aux éditions Nouveau Monde en 2018. 6
Elle conclut cet article sur Turquoise en reprenant à son compte les propos de
Pierre Péan qualifiant Paul Kagame de génocidaire et de tyran. Pourtant n’estce
pas l’offensive du Front patriotique (FPR) dirigée par Paul Kagame qui, en
mettant en déroute l’armée rwandaise et ses milices, a mis un terme au génocide
des Tutsi ? Ce fait semble compter pour rien par rapport à la vindicte que nourrit
cette historienne militaire contre Paul Kagame qui semble représenter pour elle
le plus vieil ennemi de la France comme l’a été ce Samory que le général Gouraud
a fini par capturer.
L’auteure reconnaît que la France a formé la garde présidentielle qui a été
le fer de lance du génocide et formé même « les unités de la défense civile » qui
se sont confondues avec les Interahamwe pour exécuter les massacres.
L’attentat contre l’avion du président Habyarimana aurait été perpétré avec
des missiles SAM-16 venus d’Ouganda. Où sont les preuves ? L’identification
de ces missiles retenue par le juge Bruguière est probablement fausse puisque
fournie par le colonel Bagosora, le principal organisateur du génocide. 7 Une
fiche du ministère français de la Défense affirme que des débris de missiles « SA
16 de fabrication soviétique » ont été retrouvés. 8 Très bien, mais où sont-ils ?
Où est le rapport des militaires français qui les ont examinés ?
Selon l’auteure, dans la nuit de l’attentat du 6 au 7 avril 1994, les forces
du FPR de Kagame « rompent les accords d’Arusha » et « entreprennent de
prendre le pouvoir ». Le FPR n’a pas dénoncé ces accords. C’est au contraire
le Gouvernement intérimaire formé avec l’appui de l’ambassadeur de France
qui les a violés. Jean-Michel Marlaud concède devant les députés que, réunis à
l’ambassade de France le 8 avril, plusieurs ministres « se sont néanmoins refusé
à nommer M. Faustin Twagiramungu Premier Ministre en remplacement de
5. Valentin Germain, 50 ans d’OPEX en Afrique (1964 - 2014), septembre 2015. http:
//francegenocidetutsi.org/50ansOpexAfrique30septembre2015.pdf
6. Julie d’Andurain, Turquoise (Rwanda) in Dictionnaire des opérations extérieures
de l’armée française - De 1963 à nos jours, Nouveau monde, 7 juin 2018. http://
francegenocidetutsi.org/DictionnaireOperationsExterieuresFrancaisesTurquoise.pdf
7. Luc De Temmerman à Mr. Van Der Meersch, 10 juillet 1995. Cf. TPIR, Affaire No ICTR-
98-41-T, Procès Militaires I (Bagosora), Pièce à conviction BAGOTHE-19, exhibit no P372A.
http://francegenocidetutsi.org/Bagothe19-10July1995P372A.pdf
8. Fiche en possession du Ministère de la Défense tendant à montrer que le FPR
avec la complicité de l’Ouganda est responsable de l’attentat, Enquête sur la tragédie
rwandaise 1990-1994 [2, Tome II, Annexes, p. 280]. http://francegenocidetutsi.org/
FicheMinDefFPRresponsableAttentat.pdf
3
Mme Agathe Uwilingiyimana », 9 contrairement à ce que prévoyait l’article 6 de
l’accord de paix d’Arusha. 10 Ce n’est que le 8 avril au soir que le FPR passe à
l’attaque 11 à l’annonce de la formation de ce gouvernement où cinq portefeuilles
ministériels devaient lui revenir et après que le général Dallaire, commandant
des Casques bleus, se soit refusé à arrêter les massacres. L’ordre d’opération
Amaryllis du 8 avril publié par la Mission d’information parlementaire atteste
bien que c’est le bataillon FPR stationné à Kigali qui se fait attaquer et non
l’inverse. 12 L’amiral Lanxade déclare le 9 avril que le FPR « ferait mouvement »
vers la capitale Kigali. 13 Les officiers français auraient pu commander à l’armée
rwandaise (FAR) de stopper ces massacres. L’amiral Lanxade prétendra que
« nous n’avions pas, alors, d’information sur un début des massacres ». 14
Bien avant Alain Juppé, le génocide est dénoncé dès le 11 avril par Jean-
Philippe Ceppi dans le journal Libération. Il est manifeste avec le massacre du 9
avril au matin à l’église de Gikondo 15 alors que les forces françaises d’Amaryllis
arrivent au Rwanda. Le 13 avril, le FPR, dans une lettre de Claude Dusaïdi
au président du Conseil de sécurité, dénonce le génocide et l’absence d’action
internationale pour sauver des vies innocentes et explique pourquoi le FPR a
engagé le combat contre les assassins. 16
La réception le 27 avril 1994 à l’Élysée et à Matignon du ministre des Affaires
étrangères de ce gouvernement qui organise le génocide est passée sous silence 17
comme le séjour à Paris de militaires rwandais pour s’approvisionner en armes. 18
9. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [2, Tome III, Auditions, Vol. 1, pp. 296-
297]. http://francegenocidetutsi.org/AuditionMarlaud13mai1998.pdf#page=10
10. Accord de paix d’Arusha entre le Gouvernement de la République rwandaise et le Front
patriotique rwandais, signé le 4 août 1993. Cf. A. B. Nyakyi, Lettre au Secrétaire général :
Transmission de l’Accord de paix entre le Gouvernement de la République rwandaise et le
Front patriotique rwandais, 23 décembre 1993, ONU, A/48/824, S/26915, pp. 3–9. http:
//francegenocidetutsi.org/ArushaAccordDePaix4aout1993.pdf#page=5
11. Warren Christopher, Situation Report as of 1600 EDT, 04/08/94, US DOS, April 8,
1994. http://francegenocidetutsi.org/NSAEBB119Rw12.pdf
12. Ordre d’opération Amaryllis, 8 avril 1994, déclassifié. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [2, Annexes, p. 344]. http://francegenocidetutsi.org/OrdreOpAmaryllis.
pdf
13. Le FPR « ferait » mouvement vers Kigali, selon le chef d’étatmajor
français, AFP, 9 avril 1994. http://francegenocidetutsi.org/
LanxadeFPRferaitMouvementVersKigaliAFP9avril1994.pdf
14. Jacques Lanxade [1, p. 174]. http://francegenocidetutsi.org/LanxadeQuandLeMonde.
pdf#page=3
15. Déclaration du major Beardsley, 8 mars 2000. http://francegenocidetutsi.org/
BeardsleyBrent8mars2000.pdf#page=12
16. Claude Dusaïdi, Letter to his Excellency Ambassador Colin Keating, president
of the Security Council, April 13, 1994. http://francegenocidetutsi.org/
DusaidiKeating13avril1994Genocide.pdf .
17. , Le rôle de la France dénoncé par les rebelles, Le Monde, 30 avril 1994. http:
//francegenocidetutsi.org/RebellesDenoncentRoleFranceLM30avril1994.pdf .
18. Lettre du lieutenant-colonel Ephrem Rwabalinda au ministre de la Défense, au chef
d’état-major de l’armée rwandaise, Gitarama, le 16 mai 1994. Objet : Rapport de visite fait
auprès de la Maison militaire de Coopération à Paris. http://francegenocidetutsi.org/
RapportRwabalinda16mai1994.pdf Lettre du lieutenant-colonel Cyprien Kayumba au ministre
de la Défense à Bukavu en date du 26 décembre 1994 Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-
1994 [2, Tome II, Annexes, p. 566]. http://francegenocidetutsi.org/Kayumba26dec1994.pdf
4
Le compte-rendu du conseil restreint du 15 juin montre que la décision de
lancer une opération au Rwanda ne vient pas que d’Alain Juppé. L’opération est
« une décision dont je prends la responsabilité » dit le président Mitterrand. 19
La résolution 929 du Conseil de sécurité stipule que l’opération « ne constituera
pas une force d’interposition entre les parties ». 20 L’auteure écrit au
contraire que « l’ONU mandate la France pour conduire une force plurinationale
d’interposition ». C’est faux et cela trahit l’intention des Français de se porter
au secours des assassins.
De même le 5 juillet, « les Nations Unies demandent à passer à une deuxième
phase celle d’une zone humanitaire sûre ». C’est encore faux. Le télégramme
diplomatique du 2 juillet signé Verdière à la représentation française aux Nations
Unies 21 et la note n° 1830/DAM du 5 juillet du quai d’Orsay montrent que la
zone humanitaire sûre est une initiative française. 22
Le tracé de la zone d’intervention française sur la carte n’est pas exact. Les
Français occupaient Rubengera et le col de N’daba où ils ont combattu contre
des éléments du FPR vers le 15 juillet. 23
Faisant silence sur les massacres des Tutsi dans la région de Bisesero qui
se poursuivent devant les militaires français et même devant le ministre de la
Défense François Léotard le 29 juin, l’article prétend que le général Lafourcade
a mis tous ses moyens contre l’épidémie de choléra à Goma alors qu’il n’a rien
fait pour empêcher cet exode au Zaïre (actuel RDC) quoique mandaté par cette
résolution 929 pour contribuer « à la sécurité et à la protection des personnes
déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda ». Le tour de magie
consistant à transformer aux yeux des téléspectateurs les bourreaux en victimes
a parfaitement réussi.
Dans le cahier du RETEX, il est dit que les « forces armées rwandaises et
milices hutues sont désarmées », conformément au discours officiel. Dans la notice
Turquoise du dictionnaire, il n’est plus question que de « désarmement de
quelques unités FAR ». En réalité, un comité restreint du 4 juillet concernant la
zone humanitaire décide qu’« il n’est pas envisagé dans l’immédiat de désarmer
les FAR et les milices qui s’y trouvent ». 24 Il n’y a donc pas eu de désarme-
19. Conseil restreint du 15 juin 1994. Secrétariat : Colonel Bentegeat. http://
francegenocidetutsi.org/ConseilRestreint15juin1994.pdf
20. Conseil de sécurité, Résolution 929, 22 juin 1994, ONU, S/RES/929 (1994). http://
francegenocidetutsi.org/94s929fr.pdf
21. TD Paris à Mérimée, Objet : Rwanda, Instructions de transmettre au Secrétaire général
une lettre l’informant de son intention de créer une zone humanitaire sûre, signé Verdière.
Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [2, Tome II, Annexes, pp. 408–410]. http:
//francegenocidetutsi.org/Verdiere2juillet1994.pdf
22. Ministère des Affaires étrangères, Sous-direction d’Afrique centrale et oriental, Note,
No 1830/DAM, Paris, 5 juillet 1994. Rwanda. Opération Turquoise. Création de la Zone humanitaire
sûre. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [2, Tome II, Annexes p. 442].
http://francegenocidetutsi.org/MinAffEtDAM5juillet1994.pdf
23. Rwanda, zone humanitaire sûre, Min. Défense Paris, 29 juillet 1994. Cf. Enquête sur la
tragédie rwandaise 1990-1994 [2, Tome II, Annexes p. 384]. http://francegenocidetutsi.
org/zhs.png
24. Christian Quesnot, Bruno Delaye, Note à l’attention de Monsieur le Président de la
République, 4 juillet 1994. Objet : Rwanda : Comité restreint du 4 juillet 1994. http://
francegenocidetutsi.org/QuesnotDelaye4juillet1994.pdf
5
ment des unités combattantes des FAR organisé par les Français. Ce sont les
déserteurs, ceux qui fuyaient l’affrontement avec le FPR, qui ont été désarmés.
Enfin, « la droiture et la probité » d’Hubert Védrine est dite reconnue par
tous. Encore faudrait-il que son affirmation que « sous notre pression, Tutsis
et Hutus finissent par signer » les accords de paix d’Arusha soit exacte. 25 La
poursuite des livraisons d’armes à l’armée rwandaise (FAR) comme ce 21 janvier
1994 par un avion chargé à Châteauroux, 26 livraisons d’armes spécifiquement
interdites par l’article II de l’accord de cessez-le-feu, partie intégrante des accords
de paix, 27 l’acquiescement de l’ambassadeur Marlaud au refus de nommer
Faustin Twagiramungu Premier ministre le 8 avril, 28 le débarquement d’armes
pour les FAR le 9 avril, 29 le refus des militaires français d’évacuer Boniface
Ngulinzira et son abandon aux tueurs le 11 avril, 30 tous ces faits incitent à
penser le contraire. Ngulinzira, ancien ministre des Affaires étrangères rwandais
en 1992-1993, était le principal négociateur des accords de paix d’Arusha
que les extrémistes refusaient. De nombreuses preuves indiquent que, dans leur
sabotage des accords de paix, les tueurs étaient soutenus par la France.
Des invectives
Dans cette notice sur l’opération Turquoise, madame d’Andurain tient des
propos déplacés sous la plume d’une universitaire. S’en prenant aux « “idiots
utiles” qui ont servi le propos d’un Paul Kagame », son langage est un coupercoller
du franc parler de Michel Goya, colonel de l’infanterie de marine, c’est-àdire
les anciennes troupes coloniales, encore que celui-ci avoue sa « honte pour
la légèreté, la naïveté, voire l’incompétence de nos dirigeants politiques dans
25. Eric Fottorino, Hubert Védrine : « Ce qui a été tenté a été honorable de bout en bout »,
le1hebdo, 1er février 2017. http://francegenocidetutsi.org/VedrineLeUn1fevrier2017.pdf
26. Lieutenant Nees, S2, KIBAT, Rapport sur l’enquête du 21 janvier concernant le fret
suspect d’un avion cargo ayant atterri à l’aéroport international de Kigali, 22 janvier 1994. Cf.
TPIR, ICTR-98-41-T, Exhibit no DNT 28, Date admitted : 27-1-2004, Tendered by : Defense,
Name of Witness : Dallaire. http://francegenocidetutsi.org/Nees22janvier1994.pdf
27. A. B. Nyakyi, Accord de cessez-le-feu entre le Gouvernement de la République rwandaise
et le Front patriotique rwandais, tel qu’amendé à Gbadolite le 16 septembre 1991 et
à Arusha le 12 juillet 1992, ONU A/48/824, 12 juillet 1992. http://francegenocidetutsi.
org/ArushaAccordCessezLeFeu12juillet1992.pdf
28. Audition de M. Jean-Michel Marlaud, 13 mai 1998. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise
1990-1994 [2, Tome III, Auditions, Vol. 1, pp. 287-314]. http://francegenocidetutsi.org/
AuditionMarlaud13mai1998.pdf#page=10
29. Commission d’enquête parlementaire du Sénat belge, Rapport de la commission Kigali
[4, 1-611/12, p. 45]. http://francegenocidetutsi.org/SenatBelgique-r1-611-12.
pdf#page=45 Stephen Bradshaw, The Bloody Tricolor, BBC, 20 août 1995. http://
francegenocidetutsi.org/RwandaPanoramaBloodyTricolour.mp4 Morad Aït Habbouche,
Rwanda aide logistique de la France, France 3, 21 août 1995. http://www.dailymotion.com/
video/x2zmul_aide-logistique-de-la-france-aux-ge_news
30. L’abandon de Boniface Ngulinzira par les militaires français est relevé par le rapport
Carlsson des Nations Unies. Cf. Ingvar Carlsson, Rapport de la Commission indépendante
d’enquête sur les actions de l’Organisation des Nations Unies lors du génocide de
1994 au Rwanda, 16 décembre 1999, S/1999/1257, p. 20. http://francegenocidetutsi.org/
Carlsson-fr.pdf#page=20 .
6
cette affaire qui les a toujours dépassés ». La rhétorique de cette historienne
s’inspire des méthodes de la propagande militaire qui, pour manipuler l’opinion
publique, déforme la relation des faits et se moque bien des exigences de rigueur
dans l’analyse des documents, fussent-ils même des documents militaires français
comme, ici, l’ordre d’opération Amaryllis du 8 avril 1994. La place de cette dame
est tout à fait inappropriée dans une commission qui se veut « scientifique ». 31
Ou bien ce label est-il un leurre ?
Précieux mensonges, précieux aveux
Cependant, son propos, quoique choquant, reste utile pour ce qu’il révèle à
travers ses maladresses, ses inexactitudes et parfois ses aveux. Madame d’Andurain
n’est par experte du « mentir vrai » des politiciens dont François Mitterrand
reste le champion toute catégorie.
La formation par la France de la Garde présidentielle était connue. 32 Mais
la reconnaissance de la participation des militaires français à la formation des
unités de la défense civile constitue un aveu de taille. Cette défense civile, en
fédérant les milices des partis politiques, Interahamwe et Impuzamugambi, avec
celles des fractions Hutu-Power des partis d’opposition sous la houlette des
responsables politiques, des bourgmestres et des préfets, a exécuté l’essentiel des
massacres après avoir suivi un entraînement militaire donné par des réservistes
et des membres des FAR. Cet aveu s’ajoute à des témoignages, comme celui de
l’adjudant-chef Prungnaud 33, à ceux recueillis par la commission Mucyo 34 ou
encore à des messages d’alerte comme cet article du journal Le Flambeau. 35
L’affirmation que l’avion présidentiel a été abattu le 6 avril 1994 par des
missiles SAM-16 est présentée comme une vérité établie. En réalité, il n’y a pas
de preuve matérielle. Cette affirmation péremptoire fait problème. Que faisaient
quinze missiles Mistral à Kigali ? 36 C’est à la recherche des archives de l’enquête
des militaires français sur la cause du crash de l’avion présidentiel et des objets
prélevés sur le lieu du crash que la commission Duclert devrait travailler.
31. Vincent Duclert, Note intermédiaire remise au Président de la République, 5 avril 2020.
http://francegenocidetutsi.org/DuclertRapport.pdf .
32. Elle est rappellée dans un ouvrage récent écrit par le responsable de
cette formation, Denis Roux [3, pp. 95-101]. http://francegenocidetutsi.org/
RouxProtegerLePresidentRwanda.pdf
33. Interview de Thierry Prungnaud par Laure de Vulpian, France Culture, 22 avril
2005, journaux de 8 heures, 13 heures et 18 heures. http://francegenocidetutsi.org/
Prungnaud-FranceCulture-2005-04-22.pdf
34. République du Rwanda, Commission nationale indépendante chargée de rassembler les
preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994
(dite commission Mucyo), Rapport, 15 novembre 2007, p. 51. http://francegenocidetutsi.
org/RapportMucyo15novembre2007.pdf#page=57
35. Communiqué No 005 : Le jour fatal, Le Flambeau, 17 décembre 1993. http://
francegenocidetutsi.org/SGR1241-LeFlambeau17decembre1993.pdf
36. Ex-FAR Equipment Summary as of 6 April 1994. Cf. DPKO Situation Centre,
Daily “Information” Digest, Srl No 363. Subject : Special Report Rwanda, p. 8. http:
//francegenocidetutsi.org/LMRGA-DPKO1erSeptembre1994.pdf#page=9
7
L’affirmation que le FPR passe à l’attaque dans la nuit du 6 au 7 avril
est un gros mensonge contredit par la plupart des documents. 37 Ce mensonge
est nécessaire pour maintenir l’accusation que le FPR est auteur de l’attentat
contre l’avion présidentiel, accusation en passe d’être abandonnée par la justice
française. Il vise aussi à camoufler le coup d’État qui a commencé par l’assassinat
d’Habyarimana suivi par celui des dirigeants politiques partisans des accords
de paix. La seule hypothèse qui tienne est que l’attentat contre le président
rwandais et le coup d’État ne font qu’un. Ce plan a été fomenté par des proches
d’Habyarimana qui étaient opposés au partage du pouvoir avec le FPR. Pour
la réalisation de ce plan, ils ont été aidés par des Français tant pour l’attentat
que pour la mise en place du nouveau gouvernement.
L’intervention de la France au mois de juin 1994 est justifiée parce que les
massacres sont « organisés par les deux camps ». C’est le message que les autorités
françaises ont fait passer pendant tout le génocide, en particulier au
Conseil de sécurité de l’ONU fin avril. 38 Cette affirmation est contredite par la
plupart des témoins en particulier le rapporteur de la Commission des Droits
de l’homme de l’ONU, René Degni Ségui. 39 L’accusation s’est appuyée sur les
allégations des Hutu qui ont fui vers la Tanzanie fin avril et qui ont été accrédités
par des membres du HCR. Elle a été entretenue par d’autres ONG qui
ont interprété des meurtres commis dans le cadre de la poursuite des assassins
embusqués ou d’actes de vengeance comme le résultat d’une politique délibérée
du commandement du FPR d’exécuter des Hutu.
L’affirmation que Turquoise était une opération mandatée par l’ONU pour
faire interposition est fausse. Les membres du Conseil de sécurité avaient veillé
à ce qu’il soit précisé dans la résolution que la force ne constitue pas une force
d’interposition entre les parties. Les politiciens français clamant jusqu’à ce jour
que Turquoise était une opération strictement humanitaire ont nié cet aspect.
Or, en interdisant au FPR l’entrée dans la zone humanitaire, la France s’est, de
fait, interposée. 40
L’insistance de Julie d’Andurain à répéter que Turquoise était une mission
d’interposition est une maladresse. Elle contredit le message des dirigeants français.
Mais c’est l’aveu que, en réalité, Turquoise avait pour objectif de permettre
la constitution d’une zone au Rwanda où le Gouvernement intérimaire, son armée
et ses milices pourraient se maintenir et que, à partir de cette base, il puisse
négocier un accord de cessez-le-feu avec le FPR. Les choses ne se sont pas pas-
37. Voir Jacques Morel, Au Rwanda en 1994, le génocide des Tutsi a déclenché
la guerre et non l’inverse, 15 septembre 2017. http://francegenocidetutsi.org/
FPRprofiteVacancePouvoir.pdf
38. Dans la déclaration du président du Conseil de sécurité du 30 avril 1994, la France
a fait retirer l’affirmation que le gouvernement rwandais était responsable de l’essentiel des
massacres. Cf. Colin Keating, Security Council : Rwanda, NZ UN Mission, 2 May 1994.
http://francegenocidetutsi.org/nzc04395.pdf
39. René Degni-Ségui, 1er rapport du 28 juin 1994, ONU, A/49/508, S/1994/1157 ; Commission
des Droits de l’homme de l’ONU, E/CN.4/1995/7. http://francegenocidetutsi.org/
E-CN4-1995-7.pdf#page=13
40. François Luizet, La France décide de s’interposer, Le Figaro, 5 juillet 1994, p. 6. http:
//francegenocidetutsi.org/FranceDecideInterposerLuizet5juillet1994.jpg
RÉFÉRENCES 8
sées ainsi mais il était bien question au début de Turquoise de protéger toute la
zone gouvernementale que l’ordre d’opération Turquoise appelait « pays hutu »,
de Ruhengeri à Cyangugu en passant par Kigali et Butare. 41
Au final, nous pensons que les écrits de Julie d’Andurain présentent des mensonges
et des aveux utiles pour appréhender ce que fut réellement la politique
de la France. Elle aurait consisté à assister les auteurs du génocide du début
jusqu’à la fin.
Peut-on espérer que ceux qui décident aujourd’hui de cette politique ne se
croient plus comme au temps du général Gouraud qui, en 1920, prenait Damas
avec ses spahis marocains, ses fusiliers algériens et tirailleurs sénégalais, appuyés
par des chars, de l’artillerie et des avions bombardiers ? Les Français utilisèrent
l’aviation de bombardement bien avant les nazis à Guernica. Qu’est-il advenu
de la Syrie ?
Afin que le Rwanda, qui n’était qu’un simple et beau jardin, demeure dans
la francophonie 42 et reste dédié au Christ-Roi – grâce à l’évangélisation par
l’ordre français des Pères Blancs –, 43 la France de François Mitterrand a voulu
écraser les « rebelles » et pour cela a fait procéder à « des massacres grandioses
dans des paysages sublimes », ainsi que l’écrivait un délicieux académicien, Jean
d’Ormesson. 44
Comprendra-t-on enfin qu’on ne peut bâtir un avenir meilleur en entretenant
des mensonges sur le passé ?
Références
[1] Jacques Lanxade : Quand le monde a basculé. Nil éditions, 2001.
[2] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée
nationale, rapport no 1271, http://www.assemblee-nationale.fr/
dossiers/rwanda.asp, 15 décembre 1998. Mission d’information de la commission
de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission
des Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France,
d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994.
[3] Denis Roux : Protéger le Président. Élysée : quinze ans d’hitoires secrètes.
L’Archipel, 2019. Avec Xavier Panon.
41. Raymond Germanos, Ordre d’opération Turquoise, EMA, 22 juin 1994. Cf. Enquête
sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [2, Tome II, Annexes, pp. 386-391]. http://
francegenocidetutsi.org/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf
42. Selon le recensement de 1991, seulement 4,9 % des Rwandais parlent français. Cf. République
rwandaise, Recensement général de la population et de l’habitat au 15 août 1991,
juillet 1993, p. 11. http://francegenocidetutsi.org/Recensement1991.pdf#page=16 .
43. Quoique sous domination allemande puis belge, les trois premiers évêques du Rwanda,
Jean-Joseph Hirth, Léon Classe, Laurent Deprimoz étaient des Français de l’ordre des Pères
Blancs créés par le cardinal Lavigerie, celui qui par le toast d’Alger réconcilia l’Église et la
République.
44. Jean d’Ormesson, « La drôle d’odeur de l’église de Kibuye », Le Figaro, 20 juillet 1994.
http://francegenocidetutsi.org/DormessonFigaro20juillet1994.pdf
RÉFÉRENCES 9
[4] Sénat de Belgique - Commission des Affaires étrangères : Commission
d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda 1-
611/(7-15) 1997/1998. Sénat belge, 6 décembre 1997.