Fiche du document numéro 27072

Num
27072
Date
Mercredi 30 septembre 2020
Amj
Taille
115995
Titre
La Cour de cassation confirme la remise de Félicien Kabuga à la justice internationale
Sous titre
L’homme accusé d’être le « financier » du génocide des Tutsi devra être transféré en Tanzanie pour y être jugé par un tribunal onusien.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
D’ici à un mois, Félicien Kabuga devrait quitter la France. La Cour de cassation s’est prononcée, mercredi 30 septembre, sur la remise à la justice internationale de cet homme accusé d’être le «  financier  » du génocide des Tutsi, perpétré au Rwanda en 1994 et dont le bilan s’élève à 800 000 morts selon les Nations unies. «  La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère qu’il n’y a pas d’obstacle juridique ou médical à l’exécution du mandat d’arrêt portant ordre de transfèrement  », a fait savoir la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire dans un communiqué.

Les avocats de l’ancien homme d’affaires avaient tenté de s’opposer à son transfert, ordonné en juin par la cour d’appel, en posant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour contester les conditions de l’examen par la justice française du mandat d’arrêt international le visant. Ils avaient également formulé un pourvoi dans lequel ils faisaient valoir que l’état de santé de leur client ne permettait pas son déplacement en Tanzanie.


Tous les recours ont désormais été épuisés en France. «  Je me réjouis de cette décision qui sonne la fin d’une impunité de plus de vingt-cinq ans. Mais, en tant qu’avocat des victimes, je regrette que la tâche de juger cet homme soit confiée à une juridiction qui ne donne aucune place aux parties civiles, confie Richard Gisagara, avocat de la communauté rwandaise de France. Par ailleurs, je m’inquiète de la lenteur dont le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a déjà fait preuve et j’espère que Kabuga sera jugé tant qu’il est en état de l’être. Il doit rendre des comptes à l’humanité.  »

« L’intention de détruire »



Arrêté le 16 mai à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), près de Paris, après une cavale de vingt-six années, dont la moitié sur le sol français selon les révélations du Monde, Félicien Kabuga devra être incarcéré dans un établissement pénitentiaire d’Arusha, en Tanzanie, où siège le tribunal de l’ONU qui doit le juger. « On espérait un tel dénouement, se félicite Etienne Nsanzimana, président d’Ibuka France, une association de victimes du génocide. Nous sommes soulagés car, dans le passé, certaines décisions de justice nous ont déçus. Il reste à espérer que le transfèrement se déroule dans de bonnes conditions afin qu’il réponde des actes graves qui lui sont reprochés. »

Les charges qui pèsent sur Félicien Kabuga sont extrêmement lourdes. L’homme qui a défié à la justice internationale pendant un quart de siècle en se dissimulant sous vingt-six identités différentes selon les enquêteurs, est inculpé pour cinq chefs d’accusation de « génocide » et deux pour « crimes contre l’humanité ». « Il était animé de l’intention de détruire, en tout ou partie, des personnes identifiées comme Tutsi, peut-on lire dans son acte d’accusation rédigé par le TPIR. Il était considéré par l’armée, l’administration civile, la milice Interahamwe et des civils armés comme le chef de file des partisans des positions extrémistes antitutsi. Félicien Kabuga exerçait également un pouvoir, une autorité et une influence sur tous les militaires et les autorités administratives. »

Accusé d’avoir participé à la création des milices hutu Interahamwe, principaux bras armés du génocide, Félicien Kabuga est également accusé d’avoir contribué en 1993 à l’achat de dizaines de milliers de machettes distribuées aux miliciens dans les mois précédant les tueries. Né de paysans pauvres du nord du pays, Félicien Kabuga était, en 1994, l’homme le plus riche de son pays grâce à son sens des affaires (dans l’immobilier, l’import-export, le commerce du thé…), mais également grâce aux liens familiaux qui l’unissaient à la famille du président Juvénal Habyarimana.


La justice internationale lui reproche également d’avoir financé et dirigé la tristement célèbre Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLM). « Félicien Kabuga a fait preuve d’un comportement dangereux en apportant son soutien à des émissions qui appelaient à la haine », indique l’acte d’accusation du TPIR. A longueur de journée, les animateurs de la RTLM lançaient de macabres concours à l’antenne avec primes à la clé pour ceux qui tuaient le plus de Tutsi ou ramenaient leurs cadavres. Ils donnaient également le nom de personnes à abattre et, sur la base de dénonciations, fournissaient les lieux de leurs cachettes à travers les quartiers ou les collines rwandaises.

Félicien Kabuga a quitté le Rwanda en juillet 1994, à la fin du génocide, en passant par l’ex-Zaïre. Après avoir été reconnu par les autorités suisses quelques semaines plus tard, il avait rejoint le Kenya, où il avait prospéré dans les affaires et où on l’accuse d’avoir financé la campagne du président Daniel Arap Moi. Si la date précise de son arrivée sur le continent européen reste inconnue, on sait qu’en 2007 il a séjourné en Allemagne et a même échappé de peu à la police.

« Justice au nom de l’humanité »



Sur le territoire français, Le Monde a révélé qu’il avait passé plus d’une décennie à changer de planque tous les deux ou trois ans, vivant dans des locations à Montmartre, à Clamart et, finalement, à Asnières-sur-Seine, où il a été arrêté alors qu’il vivait sous le même toit qu’un de ses fils, Donatien. L’ADN du fugitif, considéré comme l’un des plus recherchés du monde avec une mise à prix de 5 millions de dollars par le FBI, a été retrouvé par les enquêteurs français à l’hôpital Beaujon de Clichy (Hauts-de-Seine), où il a été opéré du colon en mars 2019. Deux ans plus tôt, il s’était présenté aux urgences de ce même établissement en compagnie d’une de ses filles, qui lui avait servi de traductrice.

Ce sont les déplacements et la géolocalisation de Séraphine, l’une de ses huit filles, qui a mis les gendarmes de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCLH) sur la piste de cet homme qui vivait « en low signal », selon les enquêteurs, sous l’identité d’Antoine Tounga, un citoyen congolais. « La décision de la Cour de cassation va permettre à la justice internationale de se prononcer sur son implication dans le génocide des Tutsi, déclare Eric Emeraux, ancien patron de l’OCLCLH. Dans ce cas, la justice est rendue au nom de l’humanité et non du peuple, ce qui confère une autre dimension au jugement. »

Agé de 85 ans (87 ans selon ses dires), Félicien Kabuga est en mauvaise santé. Son avocat a indiqué qu’il souffrait de diabète et d’hypertension et qu’il était atteint de « leucoaraïose », une pathologie incurable lui faisant perdre progressivement ses fonctions motrices et cognitives. Quelques jours avant la décision de la Cour de cassation, il avait été extrait de sa prison pour « raisons médicales », selon l’AFP.

D’après l’un de ses avocats, le procès pourrait se tenir dans un an à Arusha, où d’autres génocidaires rwandais ont déjà été jugés. L’état de santé de Félicien Kabuga permettra t-il à la vérité d’éclore ? Souhaite-t-il coopérer avec la justice ? Lors d’une de ses rares interventions devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris, l’ancien homme d’affaires avait tout nié en bloc : «  Je n’ai rien fait, s’était-il emporté en kinyarwanda, la langue parlée au Rwanda. Ce sont des mensonges. Je n’ai pas tué de Tutsi alors que je travaillais avec eux et que je leur faisais crédit… Ce sont des jalousies.  »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024