Fiche du document numéro 27036

Num
27036
Date
Vendredi 25 septembre 2020
Amj
Taille
293381
Sur titre
International 1962 : l'indépendance algérienne. 
Titre
De 1956 à 1962, la France a ordonné à ses services secrets d’assassiner des citoyens français 
Sous titre
Des documents lèvent le voile sur des projets d’élimination de Français, d’Européens et de dignitaires étrangers pendant la guerre d’Algérie 
Tres
 
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Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
 Jacques Foccart, homme de confiance du général de Gaulle, était chargé de suivre les services secrets et les affaires africaines. Il a coordonné, sous les ordres du général, un programme d’opérations clandestines sur fond de conflit algérien. AFP

C’était un tabou. Si notre démocratie s’accordait, en secret, le droit de recourir à l’assassinat ciblé contre des ennemis étrangers, une pratique reconnue par l’ancien président de la République François Hollande, la France s’interdisait, en théorie, de tuer ses propres ressortissants. Une règle avancée officieusement par les autorités politiques et du renseignement depuis l’après-guerre. Un ouvrage fouillé à paraître, Les Tueurs de la République (Fayard), de Vincent Nouzille, dans son édition augmentée, livre des documents inédits qui viennent contredire cette affirmation. Extraits du fonds d’archives personnelles de Jacques Foccart, homme de confiance du général de Gaulle, chargé de suivre les services secrets et les affaires africaines, ils lèvent un voile inédit sur des projets d’élimination de Français mais aussi d’Européens et de dignitaires étrangers.

Selon ces nouvelles pièces, au cœur de l’été 1958, dans le plus grand secret d’un pouvoir gaulliste tout juste revenu aux affaires grâce au putsch d’Alger du 13 mai, Jacques Foccart a coordonné, sous les ordres du général, un programme d’opérations clandestines sur fond de conflit algérien. Menaces, attentats, sabotages mais aussi assassinats figurent parmi les moyens employés. Le service action du Sdece (service de documentation extérieure et de contre-espionnage, devenu DGSE) était chargé de mener ces missions. Constantin Melnik, conseiller du premier ministre chargé des affaires de renseignement de 1959 à 1962, chiffrait le nombre d’assassinats à 140 pour la seule année 1960, sans pour autant fournir de détails.

Daté du 5 août 1958 et intitulé « Fiche concernant les objectifs Homo [terme technique qui désigne les assassinats] », le premier document dresse la liste de neuf personnes à éliminer. Elles sont classées en trois catégories. Les « Français pro-FLN » avec un nom, Jacques Favrel, un journaliste basé à Alger. Celle des « trafiquants » comprend six noms : des vendeurs d’armes mais aussi des proches du Front de libération nationale (FLN), dont un Autrichien, un Allemand et un « Français musulman algérien » appartenant à un réseau d’exfiltration de légionnaires déserteurs. Et enfin, celle intitulée « Politique » dans laquelle apparaît le nom d’Armelle Crochemore.

« But à atteindre »



Au bas de cette pièce essentielle à l’écriture de l’histoire de la politique française d’assassinats ciblés, l’encre bleue de la plume de Jacques Foccart, dont on reconnaît la signature, indique que cette liste a reçu « l’accord de l’amiral Cabanier le 7/8 ». Ce dernier n’est autre que le chef d’état-major de la défense nationale attaché au général de Gaulle à la présidence du Conseil. Puis M. Foccart ajoute, à la suite : « Donné aussitôt au général Grossin », le patron du Sdece. Deux jours se sont écoulés entre la réception des noms réunis par les services secrets et le feu vert transmis, en retour, par le pouvoir politique. La validation, entre-temps, par le général de Gaulle lui-même est probable, mais elle ne relève, à ce stade, que de l’hypothèse.

A ce jour, la seule preuve documentaire existant sur les assassinats commandités par la France concernait seulement l’une des neuf personnes citées dans cette liste. Provenant déjà des archives personnelles de Jacques Foccart, et daté du 1er août 1958, ce document avait suivi le même processus – fiche sur la cible rédigée par le Sdece puis validation par le pouvoir. Il s’agissait de Wilhelm Schulz-Lesum, « un sujet allemand (…) dont l’action est très néfaste aux intérêts français en Algérie », dit la pièce. En 2017, Le Monde l’avait publiée et retracé l’action de cet homme, en réalité autrichien, au sein d’un réseau germanophone de soutien au FLN ayant organisé la désertion de plus de 4 000 légionnaires, via Tétouan, au Maroc. Le Sdece devait le tuer au moyen d’un « toxique indétectable », mais les services secrets allemands avaient, semble-t-il, fait obstacle à ce projet.

L’autre document de choix mis au jour dans le livre de Vincent Nouzille récapitule, sous forme de tableau, l’ensemble des « opérations réalisées depuis le 1er janvier 1956 », assassinats, sabotages ou attentats, en indiquant le « but à atteindre », le lieu, les moyens utilisés et le résultat. Sur les trente-huit opérations détaillées, dix-sept ont été réussies, dix-sept ont été annulées, notamment « sur ordre supérieur » ou pour « sécurité douteuse » et quatre sont qualifiées « d’échecs ». Non daté, ce résumé, commandé, sans doute à l’été 1958, au Sdece par Jacques Foccart afin d’avoir une vue exhaustive sur l’activité du service action, s’arrête en mars 1958. Mais neuf opérations sont mentionnées comme étant en « préparation ».

Nombreux aléas



Parmi les missions annulées figurent, en particulier, celle prévue, en juillet 1956, d’assassiner Ahmed Ben Bella, le chef du FLN, au Caire, avec « une arme silencieuse dans la rue ». Un « ordre gouvernemental » viendra interrompre l’opération au dernier moment. La volonté de se débarrasser des leaders du FLN existait, certes, depuis mai 1955, comme l’avaient raconté, en 1985, Roger Faligot et Pascal Krop dans leur livre La Piscine. Les services secrets français 1944-1984 (Seuil). Mais la preuve écrite est désormais sur la place publique. Ben Bella, avec quatre chefs politiques du FLN, sera finalement kidnappé, le 22 octobre 1956, lors du détournement de l’avion qui les transporte.


En décembre 1956, peut-on lire aussi dans ce tableau établi par le Sdece, le général Gamal Abdel Nasser, le président égyptien, est visé par « une explosion télécommandée au moment de l’arrivée de l’objectif ». Un commando du service action, aidé d’agents du Mossad israélien ont placé 300 kg d’explosifs, du TNT, sous la place principale de Port-Saïd. Soutien du FLN, l’Egypte vient de nationaliser le canal de Suez au nez et à la barbe des Français et des Britanniques dont le corps expéditionnaire a dû plier bagage, notamment sous la pression soviétique. Mais, là aussi, l’opération est annulée « par ordre supérieur ».

Le compte rendu transmis à Jacques Foccart sur l’ensemble des opérations du service action laisse entrevoir les nombreux aléas de ces actions clandestines et, notamment, l’existence de dommages collatéraux. En février 1957, un agent se fait interpeller par la police locale, à Tunis. En avril, à Meknès, au Maroc, un colis piégé cause « la destruction de l’objectif et de sa famille ». Et, en juin, un Allemand est visé, mais c’est sa mère qui meurt. Enfin, on y apprend que les agents du Sdece n’opèrent pas qu’à l’étranger. En avril 1957, à Lyon, ils interviennent sur une vente d’armes au profit du FLN.

Si ces nouveaux éléments viennent documenter de possibles graves infractions de l’Etat au droit national en décidant d’éliminer physiquement des citoyens français en dehors de tout cadre légal, ils soulèvent également la question de l’efficacité d’une telle politique.


Jacques Follorou

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024