Fiche du document numéro 26712

Num
26712
Date
Lundi 15 juin 2020
Amj
Taille
92886
Titre
Affaire de Karachi : prison ferme pour six prévenus, dont des proches d’Edouard Balladur, dans le volet financier
Sous titre
La justice a durement sanctionné les prévenus qui ne pouvaient ignorer « l’origine douteuse » des fonds versés pour la campagne présidentielle de Balladur en 1995.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné, lundi 15 juin, à des peines de deux à cinq ans de prison ferme les six personnes jugées dans le volet financier de l’affaire de Karachi, un scandale politico-financier sur fond de commissions occultes versées à l’occasion de contrats d’armements signés en 1994. Pour le tribunal, les fonds détournés à cette occasion ont bien contribué au financement occulte de la campagne présidentielle malheureuse d’Edouard Balladur, alors premier ministre, en 1995.

La décision du tribunal est de mauvais augure pour M. Balladur qui comparaîtra prochainement devant la Cour de justice de la République (CJR) dans le volet ministériel de l’affaire, aux côtés de son ministre de la défense de l’époque, François Léotard. La CJR est la seule juridiction habilitée à juger les ministres pour des infractions commises au cours de leur mandat.

Pour justifier sa décision, jugée particulièrement dure par les avocats des prévenus au vu de l’ancienneté des faits, le tribunal a dénoncé « une atteinte d’une gravité exceptionnelle non seulement à l’ordre public économique mais aussi à la confiance dans le fonctionnement de la vie publique », a fortiori émanant de hauts fonctionnaires et personnalités politiques, desquels sont attendus une probité « exemplaire ».

Condamnés pour « abus de biens sociaux », « complicité » ou « recel » de ce délit – l’infraction de « financement politique illicite » étant prescrite –, les prévenus, parmi lesquels l’ancien ministre Renaud Donnedieu de Vabres et deux proches de Nicolas Sarkozy, Nicolas Bazire et Thierry Gaubert, ont tous annoncé leur intention de faire appel.

Lancée par les révélations de Mediapart en septembre 2008, l’enquête judiciaire, conduite d’abord par le juge Marc Trévidic puis par Renaud Van Ruymbeke, a établi que dans le cadre de deux contrats d’armement conclu en 1994 entre la France (par la direction des constructions navales internationales, DCN-I), le Pakistan et l’Arabie saoudite, un réseau d’intermédiaires d’origine libanaise avait été imposé au dernier moment, sans aucune justification commerciale. Il était animé par deux hommes, Abdul Rahman El-Assir et, surtout, le fantasque intermédiaire Ziad Takieddine – le tribunal a décerné un mandat d’arrêt contre les deux hommes, absents ce lundi au délibéré.

Les contrats de sous-marins (Agosta) et de frégates (Sawari II) conclus respectivement avec le Pakistan et l’Arabie saoudite ont donné lieu à des rétrocommissions occultes, dont une partie aurait enrichi les prévenus, l’autre ayant abondé de manière tout aussi illicite la campagne présidentielle d’Edouard Balladur. Le tribunal stigmatise le versement de « commissions exorbitantes », au détriment de DCN-I et de la Sofresa, deux sociétés d’Etat chargées de vendre les équipements militaires. Le jugement évoque ainsi « le montant disproportionné des commissions accordées – plus de 190 millions de francs –, sans justifications économiques et dans des conditions anormalement avantageuses, dérogatoires et contraires aux usages ».

« Retour d’ascenseur »



Pour les juges, la preuve a été apportée que les 10,25 millions de francs en liquide versés providentiellement en avril 1995 sur le compte de l’association de financement de la campagne d’Edouard Balladur provenaient de M. Takieddine. Le versement de cette somme aurait constitué un « retour d’ascenseur » aux balladuriens, qui avaient permis à l’homme d’affaires de s’enrichir grâce aux contrats d’armement.

Si les plus lourdes peines, cinq ans de prison ferme, ont été infligées au tandem Takieddine-El-Assir, Nicolas Bazire, ancien directeur du cabinet et chef de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, et Renaud Donnedieu de Vabres, alors proche collaborateur du ministre de la défense, François Léotard, n’ont pas été épargnés : ils sont condamnés à cinq ans de prison dont deux avec sursis et de lourdes amendes (respectivement 300 000 et 120 000 euros). Il est notamment reproché à M. Bazire d’avoir eu « parfaite connaissance de l’origine douteuse » des 10,25 millions suspects versés sur le compte de campagne, et à M. Donnedieu de Vabres d’avoir œuvré en faveur du duo Takieddine-El-Assir.

De son côté, Thierry Gaubert, alors conseiller du ministre du budget, Nicolas Sarkozy – souvent cité dans la procédure, ce dernier n’a pas été poursuivi –, a été condamné à quatre ans de prison ferme, dont deux avec sursis, et 120 000 euros d’amende. Pour les magistrats, M. Gaubert était « le maillon indispensable entre Nicolas Bazire et Ziad Takieddine » qui aurait « permis en toute connaissance de cause, le retour en France sous forme de rétrocommissions de fonds provenant des commissions litigieuses, à destination du compte de campagne de M. Edouard Balladur ».


Enfin, Dominique Castellan, alors patron de la DCN-I, a été condamné à trois ans ferme dont un avec sursis et 50 000 euros d’amende. A l’audience, M. Castellan avait admis avoir reçu l’ordre du cabinet de M. Léotard d’imposer le « réseau K », le duo Takieddine-El-Assir.

Si le jugement du tribunal correctionnel de Paris a mécontenté les avocats des prévenus, il a en revanche satisfait les familles des victimes de l’attentat de Karachi, convaincues que cette affaire de rétrocommissions est à l’origine de l’attentat du 8 mai 2002 visant des salariés de la DCN-I travaillant alors au Pakistan. L’explosion avait tué à quinze personnes dont onze Français œuvrant à la construction des sous-marins Agosta.

Alors que la piste Al-Qaida avait été initialement privilégiée, une autre hypothèse franco- française était apparue : l’attentat aurait été commis en rétorsion à l’arrêt brutal des commissions décidé en 1996 par Jacques Chirac, désireux de sanctionner les balladuriens. Un lien de causalité éventuel, non confirmé à ce jour, qui devrait être au cœur du procès de MM. Balladur et Léotard devant la CJR.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024