Moins d’une semaine après l’arrestation à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) de Félicien Kabuga, considéré comme le financier du génocide des Tutsi qui avait fait 800 000 morts entre avril et juillet 1994, Serge Brammertz, procureur du Mécanisme international résiduel pour les tribunaux pénaux, a annoncé, vendredi 22 mai, le décès d’Augustin Bizimana, ministre de la défense du gouvernement intérimaire du Rwanda au moment du génocide. Une mort remontant à près de deux décennies.
« Cette confirmation est basée sur l’identification concluante des restes de Bizimana dans un site funéraire à Pointe-Noire, en République du Congo », annonce un communiqué de presse du bureau du procureur. « A la fin de l’année dernière, le Bureau a effectué une analyse ADN sur des échantillons de restes humains obtenus précédemment », est-il précisé. Au cours des derniers mois, des analyses effectuées par l’Institut médico-légal des Pays-Bas ont permis de conclure que « les restes » analysés étaient bien les siens.
Parallèlement, le Mécanisme, chargé notamment de la traque des derniers fugitifs, a « vérifié des éléments de preuve supplémentaires concernant les circonstances du décès de Bizimana », lui permettant de confirmer la mort de l’ancien ministre. Selon ces analyses, il serait décédé en août 2000 à Pointe-Noire. La rumeur de sa disparition courait depuis longtemps et sa confirmation officielle referme le dossier ouvert contre lui par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) en 1998.
Génocidaires en fuite
Né en 1954 dans la commune de Byumba, dans le nord-est du Rwanda, Augustin Bizimana avait été nommé ministre de la défense en juillet 1993. Il avait conservé son poste dans le gouvernement génocidaire qui avait été constitué, le 8 avril 1994, au sein de l’ambassade de France. Par ses fonctions, il était donc parfaitement au courant de la circulation des armes et des explosifs à l’intérieur du pays, puisqu’il avait autorité sur les Forces armées rwandaises (FAR). Augustin Bizimana a ainsi participé au plan visant à l’extermination des Tutsi en armant les soldats, les miliciens, mais aussi en soutenant l’élaboration de listes de personnes à abattre.
Au moment de l’attentat contre le président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, événement qui allait enclencher le génocide, Augustin Bizimana se trouvait au Cameroun. Il n’aurait rejoint la capitale rwandaise que le 9 avril, après l’assassinat de la première ministre Agathe Uwilingiyimana, à son domicile de Kigali, et alors qu’elle devait faire une allocution à la radio pour tenter de ramener le calme et d’assurer la transition du pouvoir. Dans la capitale rwandaise, les extrémistes hutu traquaient les personnalités modérées, opposées à l’aile dure du clan de l’ancien président Habyrimana. En dépit de cette absence du Rwanda, le procureur estime qu’Augustin Bizimana était responsable en sa qualité de supérieur hiérarchique. « Augustin Bizimana entendait que les crimes (…) soient commis et en était conscient », lit-on dans son acte d’accusation. Le procureur lui reprochait notamment de ne rien avoir fait pour prévenir ces crimes. D’autant qu’immédiatement après l’attentat, des barrières avaient été érigées dans la capitale. Le TPIR accusait également Augustin Bizimana de la mort de dix casques bleus belges des Nations unies, au camp Kigali, dans la matinée du 7 avril 1994.
« Cette annonce implique qu’il n’y aura pas de procès et c’est décevant, indique Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Augustin Bizimana est mort au Congo et ce n’est peut-être pas un hasard, car de nombreux soldats des forces armées rwandaises y ont trouvé refuge, notamment dans l’entourage présidentiel. Des pays d’Afrique continuent de protéger des génocidaires en fuite. Récemment, un médecin de la ville de Butare, impliqué dans le génocide, est décédé au Gabon. »
Créé par l’ONU en 1994, le TPIR a fermé ses portes vingt ans plus tard. Comme pour pratiquement tous les membres du gouvernement rwandais nommés aux premières heures des massacres, au printemps 1994, le tribunal avait inculpé Augustin Bizimana de « génocide », « crimes contre l’humanité », « crimes de guerre pour extermination », « meurtre », « viol », « torture et autres actes inhumains, persécutions, traitements cruels et atteintes à la dignité de la personne ».
« Annonce troublante »
En l’espace d’une semaine, l’équipe du Mécanisme chargée de la traque des derniers fugitifs inculpés par le TPIR a ainsi retrouvé la trace de deux personnalités clés dans le génocide de 1994 au Rwanda. « L’annonce de la mort de Bizimana moins d’une semaine après l’arrestation de Kabuga est troublante, déclare Richard Gisagara, avocat de la communauté rwandaise de France, qui a déposé plainte, vendredi 22 mai, contre les individus, organismes et institutions qui ont aidé Félicien Kabuga pendant sa longue cavale. Les victimes auraient aimé savoir que des résultats ADN étaient attendus et être tenus informés de la procédure », estime-t-il, lui pour qui le témoignage de Bizimana lors d’un procès aurait notamment permis de comprendre comment des armes avaient été livrées au Rwanda malgré l’embargo.
Six Rwandais inculpés par le TPIR restent dans le viseur de la justice internationale. Cinq d’entre eux sont considérés comme des intermédiaires, des bourgmestres, officiers et miliciens, qui ont mis en œuvre le génocide sur les collines. S’ils sont arrêtés, ceux-là seront jugés par la justice rwandaise.
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Après l’arrestation de Félicien Kabuga et la confirmation du décès d’Augustin Bizimana, c’est désormais Protais Mpiranya, l’ancien patron de la garde présidentielle, qui figure en haut de la liste des fugitifs les plus recherchés. Sa tête a même été mise à prix 5 millions de dollars (4,6 millions d’euros) par le département d’Etat américain. Protais Mpiranya a été repéré à plusieurs reprises dans le sud du continent africain, au Zimbabwe notamment et en Afrique du Sud par Interpol, en 2018. Depuis, le procureur Serge Brammertz tente d’obtenir la coopération de Pretoria. Mais dans un rapport de novembre 2019 au Conseil de sécurité des Nations unies, il regrettait que « depuis plus d’un an, et au vu et au su des autorités du pays, le fugitif demeure en liberté en Afrique du Sud, ne faisant l’objet d’aucune procédure judiciaire, et aucune mesure ne semble être mise en œuvre pour l’empêcher de prendre à nouveau la fuite ».
Pierre Lepidi et Stéphanie Maupas(La Haye, correspondance)