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RFI : Vincent Duclert, vous présidez cette commission d’historiens qui a donc accès à tout un ensemble d’archives, des documents qui proviennent aussi bien du quai d’Orsay que du ministère des armées ou de la DGSE.
Vincent Duclert : On a accès effectivement à toutes ces archives, le fonds présidentiel - la mandataire, Mme Bertinotti -, a donné son accord pour qu’on accède effectivement à l’ensemble des fonds présidentiels relatifs au sujet, et donc là, il y a une possibilité d’enquête globale. Et c’est important, parce que l’enquête globale permet de comprendre des processus. Elle permet de reconstituer des chaînes de décision et cela permet de faire un vrai travail historique.
Quand vous parlez de Dominique Bertinotti, vous parlez, bien sûr, du fonds Mitterrand. C’est bien cela ?
Oui, parce qu’il y a eu un seul président, effectivement, qui est intervenu dans cette séquence chronologique 1990-1994. Les archives François Mitterrand, par la volonté de Mme Bertinotti, sont accessibles à la commission.
Et donc vous avez commencé, depuis maintenant plusieurs mois, ce long travail d’investigation ?
Oui, absolument. Nous avons fait plus de 900 séances de consultation dans tous les services d’archives, les principaux pour le moment. Donc les archives nationales à Pierrefitte, les archives diplomatiques à La Courneuve, les archives des armées à Vincennes, les archives de la DGSE que nous sommes en train de consulter…
Est-ce que vous avez également l’intention de consulter des archives étrangères, en particulier rwandaises, comme celles, par exemple, du président Habyarimana ?
La priorité, c’est quand même, aujourd’hui, d’épuiser toutes les archives françaises. Et ensuite, peut-être, de faire des sondages dans des archives étrangères et y compris les archives du Rwanda, bien sûr. Mais l’objectif, c’est quand même les archives françaises. Tant qu’on n’aura pas fait ce travail exhaustif et critique des archives françaises, on ne pourra pas vraiment avancer. Nous devons effectivement nous tenir à cet engagement.
Est-ce que vous ne craignez pas que l’on vous cache certains documents ?
C’est important, je crois – dans une démocratie –, de commencer à faire confiance aux acteurs. Et on le voit, les archivistes sont très professionnels. Ce n’est pas du tout dans la culture des archivistes de cacher des archives. Il faut bien être clair là-dessus. Nous ne sommes pas dans cette idée que l’on nous cache des archives. On recherche des archives éventuellement manquantes, mais là, je pense que tout le monde a intérêt à ce que l’ensemble des archives soit accessible à la commission et que la commission se donne les moyens de disposer de toutes ces archives. C’est l’intérêt de tout le monde. Je crois que plus il y aura cette confiance dans la commission, plus son rapport sera accepté.
L’Association Survie juge que cette note que vous venez de rendre publique donne un mauvais signal, car elle reprend à un certain moment le point de vue mitterrandien. Que répondez-vous à Survie ?
Je ne souhaite pas la polémique. La commission n’est pas du tout dans la polémique. Je ne vais pas répondre bien évidemment à ce que dit Survie. Un travail de chercheur, c’est quand même de faire confiance d’abord à la documentation. Si on part avec des idées préconçues, on n’y arrivera pas. Donc c’est aussi pour cela que j’ai choisi cette commission, commission de spécialistes de l’histoire de l’État, des archives, du droit, du génocide du XXe siècle, avec une distance à l’égard de l’objet, et en même temps, aussi, des compétences méthodologiques et de recherche. Survie peut peut-être décider de nous accabler de critiques, cela ne nous empêchera pas de continuer dans notre méthodologie, qui est effectivement d’épuiser la ressource archivistique et donc de faire émerger l’ensemble des documents, des éléments qui permettront d’étayer un discours de vérité.
Vous êtes-vous rendu au Rwanda récemment ou avez-vous l’intention de vous y rendre pour aller auditionner certaines personnes sur cette période ?
Effectivement, moi-même, accompagné de Sylvie Humbert, professeur d’université, nous nous sommes rendus au mois de février pour un voyage d’étude au Rwanda, où nous avons rencontré un certain nombre de chercheurs, car le but était effectivement de rencontrer des chercheurs et de questionner la présence d’archives françaises. C’était un travail de précaution méthodologique et aussi d’explication en direction des collègues rwandais, du travail de cette commission de recherche. Ce voyage a aussi pour but de préparer un déplacement l’ensemble de la commission pour travailler dans les fonds d’archive et aussi pour se rendre sur le terrain de l’opération Turquoise et au nord du Rwanda, là où les combats ont lieu entre les unités combattantes du RPR et les forces armées rwandaises, de manière à connaître la topographie, les contraintes.
C’est important, pour que la commission voit les événements qu’elle étudie. Mais, encore une fois, ce déplacement est un élément, un dispositif de méthodologie que nous développons. Mais l’essentiel - et j’insiste -, notre travail, c’est d’abord d’être en permanence dans les salles d’archives pour dépouiller ces fonds considérables. Et nous y arriverons, c’est notre volonté.