Citation
EHESS
Les tombeaux des bami du Burundi: Un aspect de la monarchie sacrée en Afrique orientale
Author(s): Jean-Pierre Chrétien and Émile Mworoha
Source: Cahiers d'Études Africaines, Vol. 10, Cahier 37 (1970), pp. 40-79
Published by: EHESS
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/4391071 .
Accessed: 13/07/2013 07:11
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JEAN-PIERRE
CHRETIEN
avec la collaboration de
EMILE
MWOROHA
A:coleNormale Sup&rieuredu Burundi.
Les tombeaux des bami du Burundi:
Un aspect de la monarchie sacree
en Afrique orientale
L'histoire de l'Afrique orientale pr6coloniale semble presenter le
plus d'int6ret sur ses franges littorales, avec les ports swahili de
I'Oc6an Indien, et, dans l'actuelle Rhodesie du Sud, avec les fortifications de Zimbabwe, Khami, etc. Les autres pays de l'int6rieursont au
contraire prives d'une faSon g6n6rale de traces historiques, au sens
classique du terme. Pas de grandes constructions, pas d'inscriptions,
pas de textes avant l'arriv6edes explorateurseurop6ens.L'arch6ologie
peut certes amener des d6couvertes interessantes: on se rappelle les
r6sultats des fouilles de Bigo en Uganda' ou d'Engarukaen Tanzanie.
Mais d'autres m6thodes doivent etre utilisees pour approfondir la
connaissancede ces r6gions, en particulierl'interpr6tationde traditions
orales, combinee avec la lecture des 6crits les plus anciens (c'est-a-dire
les observations recueillies par les missionnaires, les voyageurs, les
administrateurs qui ont s6journ= dans I'Est africain depuis la fin
du XIXe siecle).
Les monarchies de la zone des Grands Lacs (Victoria, Albert,
Edouard, Kivu, Tanganyika) ont laiss6 des souvenirs particulierement
int6ressants. En effet, I'absenced'&crituren'a pas empechMla constitution d'ensembles relativement structur6s sur le plan politique, social
comme
et culturel. Les traditions orales y ont une certaine cohWrence,
le montrent les travaux effectu6s en ce sens sur les royaumes du
Buganda, du Bunyoro, de l'Ankol6, du Rwanda ... Le materiau histoI. Cf. par exemple P. L. SHINNIE, ( Excavations at Bigo, 1957 )), The Uganda
Journal, XXIV, i, I960, pp. I6-28.
2. Sur ces pays on peut consulter R. OLIVER and G. MATHEW, A History
of East Africa, I, Oxford, I953; R. COUPLAND, East Africa and its Invaders,
Oxford, 1938; A. R. DUNBAR, A History of Bunyoro-Kitara, Oxford, I966;
J. BEATTIE, Bunyoro, an African Kingdom, New York, I960; H. F. MORRIS,
A History of Ankole, Kampala, I962; R. OLIVER, ((The Traditional Histories
of Buganda, Bunyoro and Nkole )), The Journal of the Royal Anthropological
Institute, 85, 1955, PP. III-117; J. VANSINA, L'dvolution du royaume rwanda,
des origines a I900, Bruxelles, I962. Sur l'usage des traditions orales: J. VANSINA,
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
4I
rique est donc ici tres fragile, fluide, insaisissable au premier abord : il
faut retrouver les familles les plus fideles au passe, les descendants des
dignitaires de jadis. Et la civilisation moderne a W et reste une
grande destructrice de ces archives orales par le m6pris qu'elle a daveloppe pour tout ce qui releve des anciennes coutumes. Heureusement
un nouveau courant, plus ou moins r6cent selon les pays, se dessine
en faveur de la sauvegarde des sources des cultures africaines'.
I1 existe un 6l1ment concret qui peut favoriser de fa~on non n6gligeable la d6couverte et l'interpr6tationdes traditions: ce sont les sites
ayant jou6 un role politique ou religieux. On n'y trouve certes pas de
ruines, mais il existe en Afrique des monuments invisibles aux yeux
de l'etranger non pr6venu, des vestiges de palais, de temples ou de
n6cropolessous une forme v6g6tale : ce sont les arbreset les bois sacr6s.
On se rappelle les promenades que fit autrefois Gaston Roupnel a travers les campagnes bourguignonnespour y red6couvrirles terroirs de
l'Ancien RWgime2.Ce genre de d6placements peut aussi etre tres
f6cond dans les ((campagnes ))de l'Afrique orientale.
Nous voudrions en montrer un exemple h propos des tombeaux des
rois (abami) du Burundi. A l'aide des quelques ouvrages anciens 6crits
sur le pays, d'ailleurs fort vagues, voire erron6s,sur la question, et a la
suite de recherches men6es au cours de l'ann6e I967 dans la r6gion
concern6e et comportant notamment des discussions avec quelques
vieillards bien informes, nous pouvons 6tablir un bilan qui comportera
les points suivants: la situation et la nature de ces tombeaux, le deroulement des obseques royales d'autrefois, enfin la r6alit6 et la signification du culte rendu par la suite aux monarques d6funts.
I.
-
LES TOMBEAUX ROYAUX:
INGANZO
i. Leur situation geographique: le Mugamba.
Les tombeaux royaux ou nganzo se trouvent a plus de 2000 m
d'altitude, dans une des r6gions les plus pittoresques du Burundi.
De la tradition orale, Tervuren, ig6i ; H. DESCHAMPS,
Traditions orales et archives
au Gabon, Paris, I962; Y. PERSON,(( Tradition orale et chronologie )), Cahiers
d'Atudes Africaines, 7, II-3, I962, PP. 462-476.
i. Nous tenons 'a ce propos - adresser nos plus vifs remerciements aux autorites du Burundi pour l'aide apport6e, en particulier aux autorit6s du ministere
de I'Education nationale et de l'Interieur et aux administrateurs des communes
de Kayanza et d'Ijene. Nous devons aussi remercier plus specialement tImile
Mworoha qui, etant etudiant ih l'tcole Normale Sup6rieure du Burundi, nous
a fait b6n6ficier de sa connaissance personnelle de la region des nganzo, a facilit4
le contact avec les ritualistes et a particip6 de pres a la redaction de la deuxieme
partie de cet article.
2. G. ROUPNEL, Histoire de la campagne franfaise, Paris, 1932.
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JEAN-PIERRE
42
CHRETIEN
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Frontieres octuelles
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Frontieres vers 1800
LocaIitRs
CARTE I.
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Le Burundi traditionnel.
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modernes
TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
43
Mais rappelons d'abord les traits g6n6rauxde la geographie de ce pays.
Vu sur une carte a petite echelle, il apparait comme un bastion massif
dominant le graben du lac Tanganyika. II est d6limit6 par une s6rie de
cours d'eau dont les principaux sont la Rusizi h l'ouest, la Malagarazi
et la Rumpungwe a l'est, la Kanyaru au nord. Celle-ci constitue une
grande partie de la frontiere avec l'ancien royaume frere et rival du
Rwanda. Ce pays d'un peu plus de 25 ooo km2 n'est cependant pas
uniforme. On peut y distinguer quatre ensembles naturels d6finis par
leur relief, leur climat et aussi les activit6s de leurs habitants. On trouve
d'ouest en est:
a) la plaine de la Rusizi et des bords du lac Tanganyika, une region
basse (c moins de I OOOm), chaude et relativement seche: l'Imbo;
b) la crete Congo-Nil, une region tres elev6e (a'plus de 2 000 m),
aux valldes encaiss6es, fraiche et humide, couverte de forets et de
prairies de montagne: le Mugamba, prolong6 au sud par le Bututsi;
c) les plateaux centraux (entre I 500 m et 2 000 m), compos6s en
fait d'une multitude de collines aux flancs arrondis et separees les
unes des autres par des vall6es dont les fonds plats sont occup6s par
des meandres ou surtout par des marais de papyrus: le Kirimiro,
prolonge vers le nord par le Buyenzi et le Bweru;
d) les r6gions d6prim6es de l'est (a moins de I 500 m), aux molles
ondulations, au climat plus chaud et plus sec, avec des savanes qui
annoncent celles de la Tanzanie: le Kumoso (et dans une certaine
mesure le Buyogoma) i 1'est, le Bugesera au nord-est1.
Les tombeaux se trouvent donc dans le Mugamba, pres de la ligne
de partage des eaux du bassin du Congo (les affluents de la Rusizi et du
lac Tanganyika) et du bassin du Nil (les affluents de la Ruvubu ou de
la Kanyaru). Mais cette ligne est n6e sur les cartes des g6ographes
modernes. Pour les Barundi, le Mugamba est un pays, une entit6
originale: ce sont les hauteurs couvertes de pAturagespour les troupeaux, la foret 6paisse des sommets, peu h peu mang6e par les d6fricheurs h la recherche de sols fertiles, les bois de bambous permettant
de solides constructions, le climat salubre favorable aux vaches et aux
gens. Ces avantages expliquent l'attrait de la r6gion. Chaque disette,
chaque maladie du b6tail poussait autrefois de nouveaux cultivateurs
et 6leveurs h s'installer sur ces hautes terres. Aujourd'huila r6gion est
surpeupl6e et ses possibilit6s se limitent. Mais la fiert6 d'y habiter est
i. Sur la g6ographie du pays, cf. M. LARNAUDE, 6 Un haut pays d'Afrique:
le Rouanda-Ouroundi X, Revue de G6ographie Alpine, XXXVIII, 3, I950,
PP. 443-474; J.-P. CHRtTIEN et J.-L. COIFARD, a Le Burundi )), Notes et ttudes
Documentaires, 3364, I967; P. GouRou, La densitd de la population du RuandaUrundi: Esquisse d'une 6tude giographique, Bruxelles, I953.
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JEAN-PIERRE
CHRETIEN
demeuree. Les montagnards banyamugamba ont des habitudes et des
traditions qui leur donnent une personnalite propre. Ce sont les gens
qui se situent haruguru, (( la-haut )), c'est-a-dire sur les montagnes,
mais aussi pres des sommets politiques, c'est-a-dire autrefois pres du
roi (umwami). Les r6sidences royales les plus c6lebres se situaient en
effet sur de hautes collines du Mugamba, comme celles de Banga,
Muramvya, Kiganda, etc. Le Mugamba est comme le cceur du pays.
2.
Le site: ku kibiral.
Le Mugamba represente une zone allongee du nord au sud du
Burundi. Les nganzo y occupent une position septentrionale. Ils se
trouvent dans l'actuel arrondissementde Kayanza, plus pr6cis6ment
dans les communes (limites de I960) de Kabarore, de Muruta et de
Buriza, de part et d'autre du cours sup6rieur de la Ruvubu. Les
ouvrages anciens restaient tres vagues sur leur localisation pr6cise. Le
premier explorateur europeen venu au Burundi, Oscar Baumann,
passa justement dans cette r6gionen I892. I1 y s6journameme quelques
jours et il nous fournit le premier temoignage 6crit:
((Le I9 septembre nous suivons le cours de la Ruvuvu-Nil vers l'amont [...1.
Apres quelques heures nous atteignons un endroit oiu la vall6e bifurque et oi
deux petits ruisseaux larges d'A peine un demi-metre se r6unissent [...]. Nous
Etions -Lla source de la Kagera, du plus puissant cours d'eau alimentant le
Victoria-Nyansa, et que les Anglais nomment Alexandra-Nil parce qu'il est
aussi le fleuve originel du Nil, nous 6tions b la source du Nil [.4 Nous gravissons
une hauteur herbeuse entre les deux ravins et campons dans le petit village
d'Unyange. Notre suite de Warundi avait fort diminu6, car cet endroit a pour
eux, de facon remarquable, une valeur sacr6e, et il est consider avec une crainte
superstitieuse. C'est ici qu'autrefois on enterrait les Mwesi2 d6c6d6s.
Dans un sombre bosquet, le Wuruhukiro, non loin du ruisseau de gauche,
les porteurs des d6pouilles royales s'arrftaient, les obseques avaient lieu au
sommet du Ganso Kulu, une haute montagne herbeuse. Dans les bois de la
montagne errent encore aujourd'hui, selon les croyances des Warundi, les esprits
des Mwesi d6c6d&s, qui ont donn6 son nom au massif des Missosi ya Mwesi.
Ce nom qui, traduit mot i mot, signifie ' monts de la lune', me frappa au plus
haut point: qui ne se rappellerait sans le vouloir, ici &la source du Nil, les Monts
de la Lune des Anciens, abritant la myst6rieuse source du Nil ? ))3
Pour Baumann, il y avait donc une necropole unique situ6e dans
une montagne appel6e Ganso Kulu, et la source de la Ruvubu, h l'endroit d6nomm6 Wuruhukiro, pres du village d'Unyange, voyait se
deroulerla premiereetape des obseques.
I. ( Pres de la foret )).
Pour Baumann, Mwezi 6tait le titre royal, et la dynastie s'etait d'ailleurs
eteinte, selon lui, depuis un siecle. A cc sujet, cf. J.-P. CHRtTIEN, z Le passage
de l'exp6dition d'Oscar Baumann au Burundi )), Cahiers d'AgtudesAfricaines,
29, VIII-1, I968, PP. 48-95.
3. 0. BAUMANN, Durch Massailand zur Nilquelle, Berlin, I894, pp. 88-89.
2.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
45
Hans Meyer', d6crivant le Burundi a la veille de la premiereguerre
mondiale, 6voque encore le village de (( Munyange s), r6sidence des
gardiens des tombeaux et (( la montagne Ganso dans le massif situe
au nord-ouest, face a la frontiere du Rwanda, au sud de la source
de la Ruvubu, oiule cadavre est finalement enterr6 dans la foret )).On
remarqueraqu'entre ces deux ouvrages s'etaient d6roul6esles obseques
du mwami Mwezi Gisabo (en I908), sans que cet 6v6nement ait amend
de pr6cisionssupplmentaires chez Hans Meyer: c'est toujours un seul
lieu d'inhumation sous la forme de la (( montagne Ganso )) qui est
6voqu6.
Bernard Zuure, en 1929, reprend encore le theme du bosquet sacr6
du Buruhukiro, oiula d6pouille royale serait apport6e, et de ((la montagne de la Kibira, au nord-ouest de l'Urundi, pres de la frontiere du
Rwanda )) ou elle serait finalement install6e2. Mais il distingue deux
groupes de tombeaux : ((ceux des quatre premiersrois sur le versant du
Rwanda, ceux des quatre derniers sur celui qui regarde l'Urundi )).
Ce deuxieme groupe est sans doute celui du dernier cycle royal8,
mais il ne rassemble que trois d6funts : Ntare Rugamba (fin du
xvIIIe siecle [?]-i852), Mwezi Gisabo (I852-I908) et Mutaga Mbikije
(I908-I9I5).
Quant a E. Simons, il nous parle aussi des Monts de la
Lune, de la Kibira, de la source de la Ruvubu, mais il ajoute qu'il y a
plusieurs collines sacr6es4.
I1 y a effectivement quatre collines sur lesquelles se repartissent
les tombeaux royaux. Laissons parler le gardien actuel du nganzo de
Mwezi Gisabo:
<- II y a le tombeau de Ntare, le tombeau de Mwezi et celui de Mutaga.
Nous en connaissons trois. Les tombeaux qui furent brules et qui appartenaient
aux rois qui se suivaient et qui sont morts. II y a aussi le tombeau de Mwambutsa I, ce qui fait quatre tombeaux comme il y a eu quatre rois. I1 s'agit des
quatre premiers bami. Ensuite Mwambutsa engendra Ntare II, Ntare mourut
et fut remplac6 par Mwezi II, Mzezi II fut suivi par Mutaga II et Mutaga fut
remplace par Mwambutsa actuel.
Cela signifie qu'il y en aurait eu sept ?
Nous n'en connaissons que sept.
Est-ce que tous ces tombeaux sont au m6me endroit ?
Non!
nous d6signer les collines oiu se trouvent ces tombeaux ?
Il y a d'abord la colline de Remera oiu est situ6 le tombeau de Mwezi, p6re
de Mutaga. Quant A celui de Mutaga, ii est L Ramvya, m8me ce Blanc l'a vu.
Le tombeau de Ntare est I Nyamigogo de Gatsinda. Ce tombeau est aussi proche
de la colline Muganza. Les quatre autres se trouvent & Budandari.
-Pourrais-tu
i. H. MEYER, Die Barundi, Leipzig,
I9I6, pp. I15 et I85.
B. ZUURE, Croyances et pratiques religieuses des Barundi, Bruxelles, I929.
3. Un cycle royal au Burundi comprend quatre rois qui prennent successivement les noms de Ntare (le ((lion n), Mwezi (la apleine lune n), Mutaga (le " midi ))),
Mwambutsa (le a passeur ))).
4. E. SIMONS,Coutumes et institutions des Barundi, Elisabethville, 1944.
2.
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JEAN-PIERRE CHR?-TIEN
Connais-tu les noms de ces rois ?
11 y a Ntare I, autrement dit Ntare Rushatsi; puis Mwezi I suivi de
Mutaga I. Et Mutaga, lorsqu'il mourut, laissa le pays a Mwambutsa I. Nous
n'en connaissons pas d'autres. '),
Les autres gardiens fournirent des t6moignages concordants, par
exemple celui qui se trouve pres du nganzo de Budandari, le plus
ancien:
Quels sont les bami qui ont W enterr6s ici ?
I1 y a quatre tombeaux a Budandari dont je suis responsable. I1 s'agit de
Ntare Rufuku, Mwezi, Mutaga et Mwambutsa.
Tu as dit que Ntare prenait aussi le nom de Rufuku, et quel 6tait le second
nom de Mwezi ?
C'etait Mwezi du Burundi.
-
Et Mutaga ?
C'etait Mutaga Senyamwiza.
Et Mwambutsa ?
du Burundi.
-
-Mwambutsa
- A part
ces quatre tombeaux, tu n'en connais pas d'autres ?
I1 y a un autre a Buruhukiro.
Avant ceux de Budandari, n'y en a-t-il pas d'autres ?
11 n'y en a pas d'autres. ,,2
Par la suite il pr6cise que Buruhukiro est le nganzo de Ntare II et il
evoque aussi ceux de Mwezi II et de Mutaga II.
J. Vansina3 avait d6jh mis en valeur ce chiffre de sept tombeaux
pour 6tayer sa conviction concernant le caractere relativement r6cent
de la dynastie du Burundi. Si nous reprenonssa chronologie,la correspondance avec les tombeaux s'6tablit de la faSon suivante:
Bami
Ntare I Rushatsi ou Rufuku
Mwezi I
Mutaga I Senyamwiza
Mwambutsa I
Ntare II Rugamba
Mwezi II Gisabo
Mutaga II Mbikije
*
Date du d6cAs
env.
env.
env.
env.
1705
I735
1765
I795
I852
I908
I915
Nganzo*
Commune
Budandari
Budandari
Budandari
Budandari
Buruhukiro
(de Muganza)
Remera
Ramvya
Kabarore
Kabarore
Kabarore
Kabarore
Muruta
Muruta
Buriza
Nom de la colline.
Le groupement des quatre premiers bami I Budandari lui a valu
la denomination de nganzo kuru, (( le grand tombeau royal )), qui est
i. Dialogue
avec Franvois
Barajenguye,
Karunyinya,
20-III-I967.
Dialogue avec Sekere, colline Caguka, 13-VII-I967.
3. J. VANSINA, ((Notes sur l'histoire du Burundi )), Aequatoria, XXIV, I96I,
2.
pp. I-IO.
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TOMBEAUX
DES
BAMI
DU
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BURUNDI
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3 km
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CARTE 2.
Les tombeaux
Ibigabiro
royaux.
a l'origine du theme de la montagne Ganzo )); c'est, en effet, une
haute colline forestiere, situee 'a l'ouest de Kabarore, et dominant la
frontiere du Rwanda. Ensuite les derniers bami ont ete disperses sur
des collines qui s'echelonnent du nord au sud, eloignees les unes des
autres de cinq 'a huit kilometres 'a vol d'oiseau, comme on le voit sur
la cartel: d'abord Buruhukiro, deja cite par Baumann, et dont le nom
i. Le nganzo de Kanyankuru est celui de l'usurpateur Kilima, mort apres
I9I8.
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48
JEAN-PIERRE
CHRETIEN
signifie ale lieu du repos )),situe pres des collines Gatsinda et Muganza,
au sud de Rwegura, a proximite de la source de la Ruvubu; puis
Remera dominant un affluent de rive droite de la Ruvubu; enfin
Ramvya, une haute colline a l'ouest de Murangara,a la limite de la
foret. Les localitds sont ainsi precis6es.On voit que la nature du site est
chaque fois la meme: il s'agit des derniers contreforts de la crete
Congo-Nil, h l'or6e de la grande foret d'altitude (Kibira) ; ces collines
alternent avec les sources des rivieres les plus importantes du bassin
du Nil dans cette region: la Mwogereet la Kayave, puis la Ruvubu, la
Gihorweet la Nyakabindi. Aujourd'huila foret a recul6 et les cultures
cernent ces sanctuaires royaux, mais la r6gion a garde la majeste qui
avait frapp6les premiersvoyageurs, avec ses grandes collines aux sommets arrondis et aux versants raides, ses grappes d'enclos circulaires,
de maisons de bambou et de petits champs gagn6s sur les prairies des
hauteurs et ses perspectives vertigineuses sur des vall6es 5 la fois
encaiss6es et sinueuses, avec enfin a l'arriere-planune barrieremassive
de hauts sommets qui 6voqua pour Baumann la lgende des Monts
de la Lune.
3. Des sanctuairesnaturels: ibigabiro.
Mis l part le nganzo kuru, noy6 dans la foret de la crete, les tombeaux royaux se distinguent nettement du paysage environnant.
Comme on peut le voir sur les photos, ce sont des massifs d'arbres
sombres et touffus, mais peu etendus, des bosquets bien d6limit6s
(notamment pour ceux de Ntare II et de Mutaga II)1. Au-dessus des
arbustes et des broussaillesde ces bois sacr6s 6mergent certains arbres
plus importants: des ficus (imanda et inkenga, ficus servant h fabriquer autrefois les tissus d'Tcorce; et surtout imihiza) et aussi des erythrines (imirinzi) et des dragonniers (ibitongati)2* Ces arbres n'ont
pas 06 plantes au hasard ; le nganzode MweziII qui est le moins touffu
montre bien une disposition en cercle des ficus et des dragonniers.Ils
semblent avoir appartenu autrefois a une haie. Hans Meyer36voque
ces (carbres rest6s debout dans le grand cercle de la haie de jadis ))et
qui trahissent aux yeux de l'6tranger la signification ancienne de
cet emplacement )). Cette interpr6tation est confirmee par le gardien
de Buruhukiro:
I. Selon J. M.
VAN DER BURGT,
(Dictionnaire fran(ais-kirundi, Bois-le-Duc,
1903, P. 565), ces bois sacr6s s'appelaient iteka ou intatemwa.
2. I1 est a noter que les ficus et les 6rythrines jouent un r6le important dans
les cultes traditionnels du Burundi, notamment celui de Kiranga, le Heros,
l'interm6diaire entre Dieu (Imana) et les hommes, en l'honneur duquel taient
organis6es des c6r6monies d'allure dionysiaque (cf. par exemple ZUURE, PP. 3698). Kiranga, connu aussi sous le nom de Ryangombe, serait mort au pied d'une
6rythrine.
3.
MEYER, P. I 5.
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Le Mugamba dans la r6gion des nganzo au premier plan la Ruvubu, au fond la
cr6te Congo-Nil.
PH. 2. -
Un kigabiro de Ntare II
~
~
~
~
~
Remera de Mutana (on remarque le cercle de dragonniers).
~
4
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PH. 3.
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Nganzo de Ntare II
PH. 4.
-
Nganzo de Mutaga II i Ramvya: le bois sacre est aujourd'hui cerne par les cultures.
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Buruhukiro, dominant le cours superieur de la Ruvubu.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
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N'y avait-il pas des arbres qu'on plantait a cot4 pour indiquer l'endroit?
Des arbres ? Des mihiza, maintenant ils se dessechent; tu ne vois pas la
et aussi la-bas chez Ntare ! On ne peut y p6netrer, c'est difficile, c'est une v6ritable foret. On ne peut s'y enfoncer.
S'agit-il d'arbres plant6s ?
-Quoi
? On construisait l'enclos tel qu'on le faisait dans le temps. On plantait des arbres pour la haie, des mirinzi qui poussaient, puis qui donnaient des
rejetons, des mirinzi, des ficus de toutes sortes [imanda, inkenga] pour construire le palais. Ces arbres poussaient donc et finissaient par donner une forft
broussailleuse.
))1
I1 s'agit exactement de ce qu'on appelle un kigabiro, c'est-a-dire un
bosquet circulaire marquant l'emplacement d'un ancien enclos de roi
ou de chef (ingoro), abandonne apres la mort du maitre des lieux. Ces
bigabirosont dissemines dans le pays, mais leurs ficus et leurs dragonniers sont de plus en plus environn6s par les cultures. Les nganzo ont
mieux sauvegard6 leur personnalit6et se distinguent par l'importance
de leur vWg6tation.Cela tient sans doute au caractere particulierement
sacr6 de ces residences mortuaires que sont les tombeaux royaux.
Les interdits (imiziro) concernant les arbres sacr6s ont W ici vraiment respectes: ((Nous veillions nuit et jour afin que personne n'aille
y couper un arbre. ))2 C'eaient des lieux tabous. Les anciens auteurs
nous disent que l'acces des collines fun6raires 6tait interdit a tout
autre qu'aux gardiens3. B. Zuure affirme a propos de la montagne
de la Kibira oiu se trouveraient les nganzo: ((je n'ai pas ose y p6n6trer, le lieu est sacre, gard6 jalousement par les gardiens. Y entrer
serait s'exposer a etre immediatement signa]Aau roi vivant comme
ayant profane le lieu de repos de son pere. ))4
Mais on peut distinguer deux degr6s dans l'interdit ou plut6t deux
aires dont le caractere sacr6 est in6gal. Les collines des tombeaux
relevent de l'autorit6 exclusive des gardiens, elles constituent une sorte
de zone franche qui pouvait d'ailleurs servir d'asile pour les criminels
en fuite5. Et sur celles-ci les bois sacr6s sont, eux, sp6cialementr6serv6s
aux gardiens responsablesqui n'y p6netrent que les jours de c6r6monie.
II s'agit alors de v6ritables ((temples ))au sens 6tymologique, de lieux
saints d6limit6s avec pr&cisionet marqu6s par des arbres sacr6s.
A propos du lieu oiu 6tait deposee la depouillMroyale, le gardien de
Buruhukiro affirme: ((I1 arrivait que c'6tait un endroit cultiv6 et des
que le mwami le choisissait, on le deposait lIa.On craignait cet endroit.
Oui... nul ne s'en approche, on le respecte. ,,6 II ajoute qu'aujourd'hui
Dialogue avec Abraham Ndahabaye, Remera, 20-III-I967.
Dialogue avec Fran,ois Barajenguye, d6ji cite.
3. A ce sujet, cf. SIMONS; ZUURE et MEYER. Meyer dit que l'acces 6tait aussi
autoris6 aux princes de la famille royale, ce qui est inexact.
4. ZUURE, P. 26.
5. SIMONs et MEYER, P. i86.
I.
2.
6. Dialogue
avec Abraham Ndahabaye,
deja cit6.
4
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JEAN-PIERRE
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CHRETIEN
encore il s'opposerait 'a ce qu>on pdnetre dans ces bosquets sacres.
L'argumentemploye est d'ailleurscelui du scepticisme, carla monarchie
vient de disparaitrel: ((I1 n'y a rien a voir ! ))
Le tabou a donc &tt garanti par les gardiens. Ceux-ci jouent un role
exceptionnel dans le rituel royal du Burundi.
4. Une confreriede gardiens: abiru.
Les anciens ouvrages contiennent aussi beaucoup d'inexactitudes
a leur sujet2. Nous reviendronssur leur role dans les chapitressuivants.
Nous verrons qu'ils avaient une double responsabilite: celle de gardiens et celle de c6lhbrants a l'occasion des obseques royales ou des
c6r6moniesdu culte fun6raire.H. Meyersignale d6ja qu'ils avaient non
seulement la charge de veiller sur les collines sacrees, mais aussi de
transporter et d'embaumer la d6pouille royale. E. Simons insiste sur
ce deuxieme aspect quand il les qualifie de baterekerezi,c'est-a-dire de
pretres charg6sde rendreun culte a l'Amedes defunts (guterekera).En
fait, ils se designent eux-memes plutot sous les noms de banyangeou
de biru. Le premiervocable, souvent utilis6, a k6 rattach6, on l'a vu, a
un village de Bunyange qui aurait etd leur residence.La colline Nyange
existe bien dans la commune de Kabarore, au nord de la Kayave.
Mais les gardiens actuels ignorent cette explication et d'ailleurs ils
r6sident sur differentescollines, et aucun sur Nyange. Celuide MweziII
affirme que le terme de banyangevient de kunyaga (confisquer,s'emparer des biens d'autrui en vertu d'une autorit6 r6galienne),mais c'est
lIa une etymologie fantaisiste destin6e apparemment a justifier d'anciens privileges. Banyange peut signifier aussi ((ceux de l'ibis blanc )),
c'est-a-dire de l'ibis garde-boeufs3,symbole de puret6. Peut-etre les
banyangedevaient-ils etre aussi immacul6s que ces oiseaux pour garder
le maitre supreme des troupeaux du Burundi. Beaucoup de clans
avaient autrefois un animal-totem incarnant les vertus du groupe.
Les gardiens s'intitulent aussi biru. Ce terme, qui rappelle le nom
de la famille chargee dans le Rwanda ancien de garder les secrets de la
monarchie, semble associ6 plus precisementa leur fonction. L'un d'eux
(Ndahabaye) affirme Umwirud6signe la fonction de rendre un culte
au mwami. ))
I. La R6publique a te' proclamne au Burundi le 28 novembre I966.
Nous rappelons pour m6moire qu'il s'agit de MEYER, Pp. 1115-I16 et
pp. I85-187; SIMONS; ZUURE, PP. 25-28. Et aussi R. BoURGEOIs, Banyarwanda
et Barundi, III: Religion et magie, Bruxelles, i956, PP. 48-49 ; ce livre, pourtant
recent, reste sommaire et souvent inexact sur ce chapitre: il reparle d' e Ibunyange ))et de la a colline Mwezi ))(?), il d6finit banyange comme a fossoyeurs ) I
On y trouvera plus de pr6cisions, a titre de comparaison, sur le Rwanda.
3. En kirundi inyange. Cf. ZUURE, P. 26; et F. M. RODEGEM, Onomastique
rundi, Bujumbura, I965, P. 9I (ron6o).
2.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
5I
En fait, ni banyangeni biru ne d6signent un clan (umuryango): il
s'agit d'un groupe de familles issues d'un clan plus vaste, celui des
Bajiji. Ceux-ci forment un clan hutul tres important, oiu 6taient
recrut6sbeaucoup de dignitaires de la cour du roi ou des chefs, des gardiens de troupeaux royaux, de grands bafumu (sorciers-devins) et
les biru-banyange.
Tous les Bajiji sont-ils initi6s dans ce m6tier de garder les tombeaux ?
Non. C'est une branche choisie appele abiru ou bien A banyange. '
L'originede cette branche est donn6e par une k6genderelative a son
fondateur, un certain Gikohwa ou Kimere, dont nous reparlerons.
Aujourd'hui elle a donn6 plusieurs rameaux sp6cialis6s dans la garde
des diff6rents rois. Les gardiens en chef habitent sur des collines
proches des nganzo3.Rien ne les distingue des paysans des alentours.
Leur r6le est bien termin6.Maisils sont riches de souvenirs et conscients
de leur grandeurpass6e. Les uns le manifestent par une certaine discr&tion et les r6serves dont ils accompagnent leurs r6v6lations, les autres
par des r6cits qui les mettent en valeur. Mais c'est le vieux gardien du
nganzo kuru qui, dans son petit enclos proche de la Nyakibanda,
exprime le plus de nostalgie en 6voquant les fetes et les cadeaux dont
b6n6ficiaientjadis les biru. II d6ploreleur disparitiondepuis l'6poque de
la colonisation belge et l'installation dans la r6gion du chef Baranyanka4:
i. On sait que la population du Burundi, comme celle des autres pays de la
region des Grands Lacs, a une double origine, bantou (les Bahutu) et nilo6thiopide (les Batutsi). Autant il semble assure que l'institution monarchique
est r6cente (environ le xVIIe siecle), autant l'installation des diff6rents 6lments
de la population est difficile A dater et semble tres lointaine (debut de notre
mill6naire ?). I1 convient de noter qu'il n'y a pas ici de tribus, mais des lignages
6parpill&s A travers les collines, Bahutu et Batutsi 6tant m,l6s, parlant exactement la m6me langue, participant aux m6mes croyances et A la m6me culture.
Ici comme ailleurs, il n'y a pas evidemment de race pure. Outre la famille royale
des Baganwa, un certain nombre de lignages tutsi (ceux-ci 6tant favorises, vu
leur situation minoritaire) et de lignages hutu se voyaient attribuer de grands
r6les politiques ou rituels. Les differences ethniques s'exprimaient surtout en
clivages politico-sociaux, certains lignages tutsi 6tant d'anciennes familles hutu
v anoblies D par la faveur royale.
2. Abraham Ndahabaye. B. Zuure commet une erreur en affirmant que les
Banyange 6taient du clan hutu des Bahima Bahinda. Les Bahinda ne sont pas
hutu et aucun mwiru ne nous a confirm6 cette assertion.
3. Nous sommes entr6 en relation avec les gardiens suivants
Gardien
Roi gardd
Nganzo
Colline d'habitation
Sekere
Budandari
Mutaga I
Caguka
Ntare II
Ndahabaye
Buruhukiro
Muganza
Mwezi II
Barajenguye
Remera
Mutana
Ruteye
Mutaga II
Ramvya
Ramvya
4. Le grand chef Baranyanka, dont la famille fit tragiquement parler d'elle
au moment de l'ind6pendance du Burundi, se distingua, dans cette region
depuis longtemps insoumise A l'autorit6 monarchique, par son 6nergie et sa
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JEAN-PIERRE CHRETIEN
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a En ce temps-la les biru etaient respect6s; on n'avait jamais vu un mwiru
aller en prison. Chaque fois qu'un mwami mourait, ils recevaient des vaches.
Quand ils allaient faire la cour chez le inwami, ils attendaient seulement sur
une petite colline. LU on leur apportait de l'hydromel et des vaches. L'histoire
des biru remonte , 1'epoque de nos ancetres.
J'ai vu tout va du temps de mon grand-pere Ndikumwami. Maintenant les
enclos construits prbs des tombeaux ont disparu. Celui qui voudra aller y faire
des sacrifices pour les morts, il devra avoir quatre taureaux et des tambours.
En tout cas, moi je ne serai pas 1L,je serai parti battre mes tambours ailleurs. ,
L'ancien gardien des rois defunts, dont les tambours2 ont disparu,
fait figure lui-meme de roi d6chu. I1 nous laisse un peu son testament
spirituel, 'a la veille d'aller r6gner (e( battre ses tambours ))) ailleurs.
Des lors une constatation s'impose: la situation g6n6rale des
nganzo, la nature de leurs sites, la v6n6ration qui les entoure, la fierte
humili6e des biru temoignent de l'importance des rites funeraires dans
I'ancienne monarchie sacr6e du Burundi. Essayons de pr6ciser la nature
de ces rites et des convictions qui les soutenaient.
II.
-
LA
MORT
DU
ROI:
UMWAMI
ARATANGA3
On peut, a I'aide des t6moignages ecrits et oraux dont nous disposons, essayer de reconstituer 1'6v6nement que repr6sentait jadis pour
tout le Burundi la mort de son roi. Des que celle-ci est proclam6e, la
cour est plong6e dans la stupeur. Imm6diatement la nouvelle se r6pand
de colline en colline. Les gens venus de la cour rapportent la catastrophe. Tout semble s'effondrer. On dit: (( ijuru ryakorotse )) (( le ciel
s'est effondr6 ))4. Un autre t6moin nous restitue I'ambiance qui a r6gn6
aux alentours de la mission catholique de Buhonga h la mort du mwami
Mwezi Gisabo:
a Une fois arrive au pied des montagnes l Ruvumu, il etait aux environs
de Io heures, le mwami Mwezi alors s'eteignit. La nouvelle est arriv6e ici a
l'heure oiu le travail prend fin, a l'heure olb l'on mene les vaches a la fontaine,
i 12 heures. Les sceurs alors de dire: ' Vous, enfants, rentrez ala maison puisque
votre mwami est d6c6d6 ! ' Ce jour-la, c'etait pendant la saison oui l'on bat les
petits pois, ce jour-la personne n'a aperqu le soleil de toute la journ6e; parce
conception moderne de Fautorit6. II etait inevitable qu'il entrat en conflit avec
ces territoires francs que repr6sentaient les domaines des biru. Sekere se vit
confisquer ses tambours et un certain nombre de vaches, et il passa plusieurs
ann6es en prison.
I. Dialogue avec Sekere, d6ja cite.
2. Le tambour est au Burundi le symbole du pouvoir: ngoma signifie 'a la
fois (( royaume )) et (c tambour )).
3. Le mwami cede )) (sous-entendu: le tambour ou sa place): formule
consacree pour designer le deces du roi.
4. Selon un t6moignage de la grand-mere paternelle de E. Mworoha, concernant la mort de Mutaga en 1915.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
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qu'il y avait du brouillard et une pluie 16gere. Et aussi les t6nebres ont W sur
le point d'envahir ce m6me jour. Le lendemain il a fait un soleil A briser le crane
des chiens [c'est-i-dire, un soleil de plomb]. ),
Le pays tout entier entre alors en deuil. Les cultivateurs cessent
de piocher leur champ et rentrent chez eux, les femmes cessent de piler
les aliments et cachent les mortiers, les forgerons se mettent au repos,
ceux qui fabriquent des tissus en battant des 6corces de ficus doivent
les imiter. Selon H. Meyer2,le principe est d'6viter le bruit: on peut
moudre la farine, mais sur le sol i la place de la grande plaque de
pierre habituelle; on peut construire une hutte, mais les trous destin6s
A ficher les pieux sont creus6snon avec un engin metallique, mais avec
une pierre3; le beurre n'est baratt6 que dans de petites calebasses
moins bruyantes que les grandes. En fait, il ne s'agit pas seulement de
cr6er un silence de mort, mais aussi de cesser toute activit6 cr6atrice.
On ne cultive plus, mais les bergerssont aussi avertis, car ils ne doivent
plus mener les vaches a l'abreuvoir ni faire du feu pour elles le soir;
ils doivent s6parerles taureaux des vaches et plus g6n6ralement&viter
toute procrdation dans le b6tail. De meme les hommes (( couchent
k terre ))et s'abstiennent de toute relation sexuelle avec leurs femmes.
Un ancien chef nous r6sume l'essentiel de ces interdictions:
Qu'arrive-t-il dans le pays lors de la mort du roi ?
On ne cultive plus, il y a de la famine. On doit cacher les houes toute une
ann6e. S'il meurt au temps des semailles, c'est la famine qui suit. MWmela mort
d'un prince pouvait entrainer une famine.
Quels sont les interdits concernant la mort du mwami ?
-On
s6pare les taureaux des autres vaches, les maris ne dorment plus avec
leurs femmes. Les vaches sont s6par6es des taureaux. n'
En outre, les fetes et les danses sont suspendues, les femmes cachent
leurs bracelets de cuivre. On porte des habits de ficus sans motifs
ornementaux; ces motifs consistaient en lignes g6om6triques noires
dessin6es avec de la boue des marais sur le fond brunAtredu ficus: la
couleur du deuil 6tait donc en quelque sorte le brun-rouge.Nous assistons "aune v6ritable mise en sommeil du pays, h un arret de toutes les
activit6s cr6atrices.Les poursuivre serait sacrilege au moment oiucelui
qui garantit les r6coltes et la f6condit6 des troupeaux et des familles5
i. B. A. (initiales du nom et du pr6nom du t6moin), Buhonga, 29-IV-I967.
Cette mission, fond6e en I902, se trouve sur la crete, 5 une quinzaine de kilometres de Bujumbura.
2. MEYER, P. 1I87.
3. Barajenguye nous dit aussi
Personne ne cultive ni ne pile les grains.
On ne fabrique pas les habits. En cas de grave n6cessit6, on peut piler les grains,
mais on place le mortier dans la terre.
4. B., Ijene,
13-vII-I967.
5. On se reportera au symbolisme des rituels agraires de la monarchie,
notamment A celui de la fete des semailles du sorgho (umuganuro) 6voqu6 dans
les diff6rents ouvrages d6j& cites.
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JEAN-PIERRE
CHRETIEN
'vient de disparaitre. H. Meyer ajoute que, selon certaines croyances,
un enfant conSu en cette p6riode serait un monstre portant des dents
sur le nez et qu'il devrait etre noy6. On note aussi I'accent mis sur l'interdiction d'utiliser des outils de fer; il faut cacher les houes, les couteaux, les maillets, les marteaux m6talliques
a
Les forgerons pouvaient-ils travailler ?
- Non, on ne faisait pas sortir le marteau. On ne coupait pas le sorgho, mais
on le r6coltait avec les mains. )),
Peut-etre cela a-t-il un rapport avec un aspect particulier de la puissance royale: celui relatif h la fonte et la forge du fer. On connait
l'importance de ce theme dans les monarchies africaines du monde
bantou, chez les anciens rois du Kongo par exemple2. Les l6gendes
racontant la fondation du royaume du Burundi evoquent aussi souvent des armes de fer ou un marteau...
Toute vie, chez les hommes et le b6tail, dans les plantes, dans le feu
meme, 6tant d6pendante de la toute-puissance du mwami, le deces de
celui-ci doit interrompreson cours au moins en apparence, c'est-h-dire
rituellement. Les c6r6moniesde la mise en biere du souverain confirment le primat de cet ideal vitaliste.
.
i.
Les obseqquesroyales: bazana umwami ou baherekeza umwami3.
Cependant la cour s'apprete aussitot pour le transport de la
d6pouille royale vers les hauts lieux oiules bami sont ((conserv6s )).On
prepare une sorte de litiere (inderuzo) sur laquelle le roi est 6tendu,
comme un malade ou un voyageur fatigu6. ILgarde ses plus beaux
habits de ficus, ses bracelets et ses anneaux de pieds4, ses amulettes
(ibiheko), ses cauris5 et autres coquiliages (le grand kirezi en forme
de croissant de lune par exemple). On le couvre de nattes fines (ibirava). Ses objets familiers - sa lance, son arc et des fleches, son boucier, les pots h lait (ivyansi) et une calebasse i baratter (igisabo),
sont enleves du palais pour etre emport6s avec lui
un tambour...
(l'ensemble forme les bisigi)6*
Le cortege funebre se met en route. II est compost de sorciers, de
notables (abashingantahe)7, de suivantes (incoreke) et d'autres courtiI. Barajenguye.
G. BALANDIER, La vie quotidienne au royaume de Kongo du XVIe au
XVIIIe sigcle, Paris, I965, P. 23.
3. z(On amiene, on transporte le roi)) ou bien ((on accompagne le roi)).
4. Ces anneaux ou ces bracelets (imiringa) 6taient en fils de cuivre enroul6s
en couches successives autour des poignets et des chevilles.
5. Ces petits coquillages connus dans toute I'Afrique n'avaient pas ici une
valeur mon6taire, mais magique. On les appelait insimbi.
6. Cf. MEYER; SIMONS; ZUURE; et le t6moignage de Barajenguye.
7. Notable charg6 de trancher les palabres, celui qui tient le ntahe, a baton
2.
d'arbitre
)).
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
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sans d6sign6s par les notables'. Aucun t6moin n'evoque la famille,
c'est-a-direles baganwa,((princes)).Le roi n'est pas suivi par sa parent6,
mais par ses fideles, comme pour un voyage ordinaire : les dignitaires
de la cour ont organise les impedimenta et les sorciersont 6t6 consult6s
comme d'habitude. La solennit6 de ce d6part est n6anmoins rehauss6e
par la presence de Ryangombe. C'est lui qui donne le signal du depart
de l'enclos royal: ((Au d6part de la cour, le corps du mwami se levait
au signal de Ryangombe; les cris de joie se r6pandaient partout. ,,2
Rappelons que Ryangombe est l'6quivalent de Kiranga, incarnmbien
sur par un de ses fideles. Ce kiranga se pr6sente accompagne en g6n6ral
par d'autres initi6s (ibishegu), le visage peint de terre blanche, portant
une peau de singe (intutu). II a une lance, dont la lame est blanche d'un
c6t6 (c'est-t-dire polie) et noire de l'autre : cette lance, l'icumu
ry'uruhuga6voqu6 par Sekere, est le signe de la pr6sencede l'esprit de
Kiranga. C'est cette c6r6monie,accompagn6ede chants, de danses, de
cris et d'offrandes,que H. Meyer appelle le ((culte de la lance sacr6e ))
et qui avait lieu a propos d'6v6nementsgraves (enterrements,manages,
foudre, naissance de jumeaux, commemoration d'un deuil...), lorsque
les Barundi ressentaient la n6cessit6de s'adresser t Imana par ce biais3.
La pr6sence de Ryangombe-Kiranga aux fun6railles royales n'a donc
rien d'extraordinaire.
Ce qui est plus 6tonnant, c'est l'ambiance generale de ce cortege
dans un pays en deuil. On a not6 les acris de joie)) (impundu) au depart
de la cour. Barajenguye 6voque aussi ces mpundupousses le long de la
route. I1 s'agit de clameurs aigues exprimant rituellement l'enthousiasme collectif. On en entend, par exemple, lors d'un manage ou lors
de la fete d'intronisation d'un nouveau mushingantahe.Le caract6re
de fete de ces obseques se manifeste aussi dans la nature des cadeaux
transport6s : des vivres, une quantite respectable de cruches de bi6re
ou d'hydromel, tout un troupeau de vaches (jusqu'a deux cents selon
Sekere) avec leurs veaux (vaches dites amasugi, donnant du lait) et
avec un taureau ngabe4.Enfin une jeune file prise dans le clan hutu
des Bahanza est choisie pour accompagner le mwami5. Elle quitte
definitivement sa r6gion,elle salue toute sa famille et ses connaissances,
elle se munit de ses quelques biens personnels (un ou deux habits de
ficus, des bracelets, un kirezi, un ikazanga, la petite calebasse dans
laquelle les femmes conservaient le beurre qui leur servait d'onguent);
elle va s'instailer au pays des biru, pr6s de l'enclos du feu roi. Ce cortege
I. Ndahabaye et Barajenguye.
Sekere.
3. Sur Kiranga, cf. ZUURE, PP. 36-98; MEYER, Pp. 127-129 et 134-137.
4. Taureau sacr6.
5. Celle qui a accompagnait >)Mwezi Gisabo s'appelait Muribora et venait
de Kiganda (Barajenguye).
2.
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CHRE]TIEN
funebre est une sorte de cortege nuptial: les cris de joie, les vaches, les
boissons et l'epouse ravie 'ases parents, rien n'y manque. On sait que
les grands du Burundi, y compris le roi, avaient plusieurs femmes,
chacune installee dans un enclos different. On a l'impressionque le roi
se rend vers un nouveau palais avec une nouvelle et derniere 6pouse,
vers son palais d6finitif.
De la r6gion de Muramvya, siege des palais royaux (ingoro),
a celle de la Kibira, il peut y avoir soixante-dix kilometres, en comptant les detours impos6s par le relief accident6. Ce long cortege, alourdi
par ses colonnes de porteurs et son betail, devait faire de petites etapes
et le trajet demandait plusieurs jours: J. Gorjul parle de huit jours.
11 etait d'ailleurs ralenti par les demonstrations de respect et de sympathie de la population en deuil: la depouille royale 6tait sans doute
deposee dans l'enclos d'une famille hutu2 oiu elle 6tait veillee par les
bashingantahe et soignee par 1' ((epouse )),mais les autorit6s (abatware)
se presentaient, des files de porteurs apportaient des vivres et des
cruches de biere et les gens battaient des mains au depart: (( En
chemin, partout oiu les hommes de la cour passaient, les gens leur
offraient des cadeaux. ))"Ces cadeaux etaient-ils spontan6s ou obligatoires ? Sans doute 6taient-ils normaux, rituels, mais on se chargeait
de le rappeler aux habitants des r6gions traversees en s'emparant de
leurs vaches pour en consommer la viande, ou de leur biere pour se
d6salt6rer4.Les gardiens des tombeaux font d'ailleurs allusion, pour
tous les corteges qui se rendent de la cour royale vers leur region, k un
droit de prise (kunyaga) qui s'exerce surtout sur le b6tail. Les vaches
adressdesaux biru etaient en quelque sorte contagieuses: elles communiquaient leur nouvelle appropriationa toutes les vaches qu'elles rencontraient5. Ce droit qui manifeste la propriht&eminente du roi sur
tout le pays est applique a chacun de ses d6placements,r6els ou supposos. OscarBaumann, l'explorateur autrichien qui en i892 fut pris pour
un mwami, observa ce ph6nomene:
a Des foules 6normes arrivaient de tous c6t6s et formaient un courant houleux qui venait derri6re nous [...]. D'autres groupes nous pr6c6daient, pareils
A un essaim de sauterelles s'abattant sur tout dans le pays. lis arrachaient les
provisions et le mobilier des huttes, les champs etaient d6vast6s en quelques
minutes, des troupeaux entiers de b6tail 6taient rafles et mis souvent litt6rale-
i. J. GORJu, Face au royaume hamite du Ruanda: Le royaume frtre de
l'Urundi, Bruxelles, 1938, P. 40.
2. Selon plusieurs informateurs, le roi ou les princes logeaient toujours chez
des familles hutu quand ils voyageaient.
3. Sekere.
4. Cf. SIMONset GORJU.
5. Sekere et Barajenguye. On se rappelle que ce dernier se fondait sur ce fait
pour justifier son 6tymologie de banyange (a ceux qui usent du kunyaga i).
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
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ment en pieces par ma suite d6lirante. Les quantites ,normes de pomb6 qui se
trouvaient dans les villages ne portaient pas non plus les esprits au calme. 1),
La d6pouille royale semble avoir gard6 lors des fun6railles tous les
droits de la personne royale.
Le cortege atteint enfin le pays des biru. II s'arrete soudain sur une
colline, celle que les sorciers de la cour ont choisie2. C'est a cet endroit
que les notables vont c6der la d6pouille royale aux biru et que ceux-ci
vont ((l'accueillir )) (abiru bakira umwami). Mais la passation des responsabilit6s ne se fait pas imm6diatement. Les biru 6taient bien suer
au courant de l'arriv6e imminente du cortege et ils ont proc6d6 a la
d6signation du gardien principal qui sera affect6 au nouveau nganzo.
Ils l'ont choisi parmi eux en fonction de regles pr6cises sur lesquelles
nous reviendrons et en fonction de ses qualit6s personnelles. Mais celui
qui va ((accueillirle roi ))ne se montre pas aussitot. Alors les courtisans
s'installent sur la colline dans des huttes provisoires (insago). Les
birupeuvent se faire attendre plusieursjours (( six jours )),affirmeBarajenguye). Le futur gardien devait certes venir d'une autre colline:
Est-ce que vous aviez toujours v6cu lMou bien pouvait-on aller vous
chercher dans une autre region ?
- Non, ils [biru] n'6taient pas IA, parce que, des qu'on avait apport6 le
mwami A un endroit, ils pouvaient venir d'autres collines pour garder le mwami
la oii il attendait. Ils le gardaient tout en conservant leur propriet6 [itongo],
leurs enclos, leurs proprift6s. .0
Mais, en outre, une fois les biru arriv6s i l'emplacement choisi, il fallait
encore patienter quelques jours ((( deux jours )), selon Barajenguye)
pendant lesquels ils construisaient l'enclos du feu roi, sans parler de
leurs propres huttes provisoires:
Ofules biru prenaient-ils possession du mwami ?
Quand il arrivait dans cet enclos.
Et aprfes, on l'introduit dans le palais ?
Oui, dans son palais qui venait d'ftre construit.
A partir de quand fait-on tout cela, notamment la construction du palais ?
Quand il 6tait arriv6, on faisait cela des qu'il se trouvait sur place: il attendait la. 11passait la nuit Ri, le cadavre. Ils [biru] venaient le chercher.
- Ils 6taient en train de construire ?
Oui, on faisait des huttes provisoires et le palais dtait soigneusement pr6par6.
On commengait par faire une cour d'entree, devant. 0'
Nous retrouverons ce palais fun6raire. On voit que l'attente et
l'installation provisoire de la d6lgation de courtisans expliquent l'ini. BAUMANN,
p. 86.
2. Barajenguye.
3. Ndahabaye.
4. Ibid.
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JEAN-PIERRE
CHR?TIEN
terpr6tation de Baumann selon laquelle la d6pouille royale 'tait
d'abord d6pos6e dans un bosquet sacr6 (Wuruhukiro)avant d'etre
install6e dans son tombeau (Nganso Kulu)'. Selon certains t6moins,
la cause de ce d6lai serait un veritable marchandage men6 entre les
notables et les gardiens, avant que ceux-ci n'acceptent le corps du roi.
L'un de ces r6cits, concernant les fun6railles de Mwezi Gisabo, est
particulierementint6ressant:
a [Le mulware de la region o'u le roi est mort s'6crie :] 'Mon bienfaiteur s'est
,teint. ' Tout le pays apprit ainsi la nouvelle. Le cadavre du mwami fut leve;
quand ils parvinrent sur le seuil du palais, ils l'envoyerent t Bunyange. Alors
qu'il avait 6t envoy6 A Bunyange, les Banyange, eux, amenerent d'abord deux
personnes, un jeune homme et une jeune fillez pour qu'ils se marient, le jeune
homme prit alors le nom du mwami. Finalement les Banyange demanderent:
' Ot est la richesse du mwami ? Reprenez le cadavre jusqu'au jour oh vous
apporterez toute sa richesse. ' Le cadavre du mwami Mwezi fut repris parce
que les Banyange le rejeterent. Ensuite ils se rendirent partout ou se trouvaient
des residences du mwami, ils rassembl'erent toutes ses possessions; toutes ses
richesses 6tant rassembl6es, alors ils les donn6rent &celui qui avait pris la place
du mwami, ils les lui donn6rent. Ensuite, quand ils eurent alors accept6 le
cadavre du mwami, les taureaux furent s6par6s des vaches; les notables renonc6rent alors A leur lit pour se coucher par terre, les gens cesserent de cultiver
parce que le mwami 6tait d6c6d6. ))3
En fait le t6moin, qui n'est pas lui-memeun mwiru,a confonducette
sorte de pillage avec la requisition que les biru allaient op6rer h la fin
du deuil dans l'enclos oiu 6tait mort le roi4. Mais cela n'exclut pas que
des discussions aient eu lieu au moment meme de I'arriv6edu cortege
des courtisans, h propos du nombre de vaches ou de cruches de biere et
de miel qu'ils apportaient.
Ces cadeaux sont alors d6pos6s dans l'enclos et Ryangombe qui
avait donn6 le signal du d6part est aussi charge d'accueillirla d6l6gation et ses pr6sents a leur arriv6e chez les biru. Ces derniers ne semblent pas avoir et6 initi6s au culte de Kiranga, ou du moins ne pas
avoir pu etre possde's par lui (kubandwa), ce qui n'exclut pas une participation au culte5. Toujours est-il que l'installation d6finitive du
i. BATJMANN, p. 89; mais l'erreur de Baumann est de confondre ainsi deux
tombeaux diff6rents (Buruhukiro et Budandari).
2. I1 s'agit de Muribora, 1' (c pouse ) du roi d6funt et du mwiru charge de
garder celui-ci. On reparlera de ce mariage.
3. B. A., d6jL cite. On remarquera que, pour lui, le deuil ne commen9ait pas
. la mort du roi, mais k son arriv6e chez les banyange.
4. C'est ce qu'ils appelaient kwugara ikirimba ((fermer l'enclos
5. A ce sujet Barajenguye affirme: (( Nous autres, nous ne faisions pas les
pratiques du kubandwa. Quand nous rencontrions ceux qui le faisaient nous
prenions la fuite. Nous tenions uniquement cette charge [celle de garder les
rois]. )) Mais Sekere parle de l'icumu ry'uruhuga, c'est-&-dire de la lance sacree
de Kiranga, laissee au chef des biru; il dit que Ryangombe a peut etre un
mwiru )).I1 faut sans doute distinguer diff6rents types de c6r6monies et diff6rents
degr6s d'initiation i Kiranga.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
59
mwami chez les biru se fait avec la benediction de RyangombeKiranga. Ensuite le cortege repart vers la cour, c'est-a-dire vers un
pays endeuille par le d6part cette fois d6finitif de son roi. Mais ((Hthaut ))(haruguru),les v6ritablesc6r6moniesfun6rairesvont commencer.
2.
La conservationde la dipouille royale: bashingura umwamil.
Revenons sur les lieux oiua k6 laissee la depouille sacr6e. Les biru
lui ont 6difie une r6sidencemortuaire qu'ils appellent le palais (ingoro)
et qui est a l'origine du bois sacr6 encore visible de nos jours a chaque
nganzo. Ce palais avait le meme aspect que ceux des vivants: c'etait
un enclos (ikirimba) comprenant une hutte centrale (ingoro proprement dit) et une s6rie de cours (ingo) pouvant accueillir betes et gens.
La maison 6tait de taille relativement limitee, de forme circulaire,
construite en branchages (tir6s des arbres midende, par exemple) et
couverte d'herbes fines des marais habituellement utilis6es dans les
demeures princieres (l'herbe dite uruguhu) ; les murs 6taient badigeonnes de terre glaise. L'int6rieurne comportait pas de pieces s6par6es
ni de cloisons, contrairement a ce qui se passait chez les vivants. On
y trouvait essentiellement une sorte d'estrade (urusenge) ou de lit
appel6 kigwa, c'est-a-dire une claie reposant sur quatre montants de
bois et install6e au-dessus du foyer central2.
Le cadavre royal a 6t6 l'objet de soins attentifs depuis son d6ces,
a la cour, durant le voyage, puis lors de l'attente des gardiens. La responsabilit6 en incombait plus particulierementi 1' ((epouse ))muhanza
qui devait l'oindre r6gulierementde beurre:
a II y a aussi une reine (umwamikazi) choisie dans telle famille qui est
charg6e de caresser le corps du roi et de 1'enduire de beurre. Elle fait brfiler des
bois parfum6s (amasenga, imibavu), elle oint le corps et elle le caresse [..
Parle-nous de la jeune fille qui accompagnait le corps du roi.
une jeune fille et elle arrivait en mEme temps que le cortege. A I'ar-C'etait
riv6e, elle ne s'installait pas dans le palais ot le mwami 6tait d6pos6. On lui
construisait son propre enclos A c6t6 du palais.
Est-ce qu'elle n'entrait jamais dans ce palais ou se trouvait le mwami?
Elle y entrait quand elle allait parfumer le corps du roi, quand elle allait
entretenir le feu, quand elle allait battre des mains... )
Donc a son arrivee au Buynange, elle ne restait pas a demeure chez
le d6funt elle s'installait a cot6 du palais funebre et ne s'y rendait
qu'en compagnie des biru pour parfumer la d6pouille. Par ailleurs, les
I. a On conserve
le roi. *
Les descriptions de Ndahabaye, Barajenguye et Sekere sont concordantes
i ce sujet. H. Meyer dit que l'on emploie pour cette estrade du bois d'erythrine;
E. Simons parle de lattes de bambous.
3. Ndahabaye.
2.
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6o
JEAN-PIERRE
CHR?TIEN
dignitaires de la cour 6taient repartis aussitot, leur role 6tait bien
termin&.Les biru 6taient des lors les grands maltres des c6r6monies.
Sur celles-ci nous leur laissons d'abord la parole:
(- Quand on vous confiait le corps du roi, raconte-nous en quelques mots
ce qui se passait.
En premier lieu on se met a construire l'enclos, un enclos large. Cela s'ach6ve
en deux jours. On tresse de la paille sur la maison, puis on badigeonne de terre
et cela est d'ailleurs vite fini.
Et des que l'on vous confiait le corps, qu'est-ce qui se passait ?
Nous faisions entrer le mwami dans son palais, puis nous le gardions. Mais
sachez que le mwami n'6tait jamais enterre dans le sol. C'est interdit. I1 reste
sur le lit qu'on appelle ikigwa. On amenait un taureau qu'il aimait bien et c'est
la peau de ce taureau qui le conservait. 11 etait enferm6 dans cette peau. Ce
taureau s'appelait ingabe. Nous restions IA et apres quelques mois, nous faisions
savoir 'a la cour que nous allions fermer l'enclos oii vivait le mwami. Nous y
allions donc et nous prenions les vaches, les cruches d'hydromel, les pots de
beurre. Nous nous emparions de tout ce qui se trouvait dans l'enclos.
Aviez-vous
averti ?
Nous avions averti, ils connaissaient bien le jour de notre arrivee.
Dans la maison oii reposait le mwami, 6tiez-vous tous rassembl6s IA, ou
est-ce que c'etait seulement votre chef ?
C'etait le chef qui y demeurait et les autres venaient lui rendre service [...].
Ne faisait-on pas du feu, Rl, dans la maison ?
Ceux pour qui elle avait e faite, soit quatre personnes, y faisaient du feu.
Mais ils brfilaient du bois parfume (imibavu n'imisakavu).
Brfilaient-ils ,a tous les jours ?
-
Oui.
Durant combien de temps ?
Cela durait deux ou trois mois.
Et apres, s'en allaient-ils ?
Ils fermaient d'abord ! Nous sortions, puis des cris de joie se repandaient
partout.
Est-ce qu'il n'y avait rien qui les avertissait qu'il n',tait plus n6cessaire de
faire du feu ?
Uniquement les coutumes traditionnelles des autorites qui constataient
que l'endroit ne sentait plus.
Entretenaient-ils le feu pendant deux mois ?
-
-
Oui.
Pourquoi faisait-on un lit en hauteur ? Ne saurais-tu pas la raison de cette
coutume ?
Ils evitaient que les betes sauvages ne le deterrent. ),
-
Raconte-nous ce qui se passait lorsque le corps du roi parvenait 'a 1endroit ou il devait ftre d6pos6, raconte-nous tout.
Arrive A l'endroit du tombeau, le roi devait etre conserve. On construisait
un palais pour le mettre; on construisait 6galement un enclos pour les vaches.
On apportait aussi des pots a~lait et des barattes. Un taureau etait tu6; on buvait
du lait, les cruches de biere affluaient, l'hydromel aussi; cet hydromel etait
assez fort, et on apportait 6galement du beurre. Tout se passait trbs bien; il y
avait un groupe de gens pour accueillir Ryangombe [...].
i. Barajenguye.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
6I
-Est-ce
que c'6taient les gens de la cour qui devaient traire les vaches ou
bien y en avait-il d'autres qui le faisaient ?
- II y avait des serviteurs pour le faire; eux etaient privilegi6s.
-Comment
6taient choisis les gens qui trayaient chez les biru ?
-Ils
6taient recrut6s parmi les hommes des biru.
Les Batutsi pouvaient-ils traire chez les biru ?
Non.
-I1
s'agissait uniquement de Bahutu ?
Seulement.
-Les
gens qui amenaient le corps du roi et les vaches passaient beaucoup
de temps chez vous ?
Ils rentraient immediatement, ils allaient continuer le deuil chez eux et les
biru restaient dans leurs domaines; ils surveillaient le roi.
Qu'est-ce que vous faisiez apres le depart ? Raconte-nous comment vous
conserviez le mwami, depuis son arriv6e jusqu'- la fin.
Lorsque nous etions en possession du roi, nous tuions le taureau qui avait
accompagn6 le mwami; g6n6ralement ce taureau 6tait venu avec un troupeau
important de cent ou deux cents vaches. Le mwami etait enroul6 dans la peau
du taureau. Puis le corps du roi enroul6 dans cette peau 6tait d6pos6 sur une
estrade en dessous de laquelle on faisait du feu. Les Batwal se rendaient dans la
forkt pour chercher du bois odorif6rant (imisakavu, imibavu) qui 6tait brule.
Les Bahutu d'un certain age entretenaient le feu. Les autres prenaient de la biere
ou buvaient du lait. Une fille accompagnait le mwami; celles qui ont accompagne
Gisabo et Mutaga sont encore en vie. Un jour on abattait une vache, un autre
jour on abattait un taureau et une vache ngumbal. ILn'y avait aucune journ6e
qui se passait sans qu'une vache soit abattue; les gens de l'Imbo apportaient
6galement des cadeaux. Tout le temps on 6tait en train soit de traire, soit
d'abattre une vache. Apres une ann6e, les biru allaient A la cour pour fermer
l'enclos du mwami
[...].
Quand vous aviez mis le roi dans la peau du taureau, que se passait-il a la
fin de l'ann6e ?
- Apres une ann6e elle vieillissait; la peau 6tait encore IA,elle vieillissait avec
la maison. A la fin, on barricade lFentr6e de l'enclos. Lorsque les biru venaient
de fermer l'enclos royal, au moment ou ils revenaient dans leurs domaines, des
cris de joie se faisaient entendre partout dans le pays des biru ! ))3
-
Deux 6l6mentsressortent de ces informations orales: l'un concerne
le sort du cadavre, I'autre l'attitude des gardiens. Le cadavre, envelopp6 dans une peau de taureau (celle du taureau ngabe sacrifi6 des le
d6but) comme dans un linceul et plac6 sur l'estrade, est soumis a une
espece de boucanage, a l'aide d'un feu doux entretenu sans arret sous
1'estrade. On y brCulenotamment du bois dont la fum6e exhale une
odeur agr6able, pour une raison 6vidente ! Des Batwa vont chercher
ce bois dans la Kibira. Quant au feu lui-meme, il est entretenu par les
trois ou quatre biru qui sont en permanence dans la hutte, aid6s par
des serviteurs bahutu et sans doute de temps en temps par la ((reine )).
I. Les Batwa constituent une minorite de Pygmoides, vivant surtout de la
cueillette, de la chasse et de la fabrication de poteries.
2. I1 s'agit des vaches n'ayant pas de veaux, des (( vaches steriles )).
3. Sekere.
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JEAN-PIERRE
62
CHR?TIEN
Ainsi le corps du roi se desseche peu a peu; l'operation peut durer
plusieurs mois (deux ou trois au maximum et non une annie entiere,
semble-t-il). Elle cesse des que la puanteur disparait et que la d6pouille,
quasi momifiee, adhere h la peau de taureau. Ce boucanage est connu
6galement dans les c6remonies fun6raires de la monarchie lunda au
Congo et dans les autres royaumes interlacustres, au Bunyoro et au
Rwanda par exemplel. I1 fait figure de technique d'embaumement et
traduit le d6sir d'eviter la decomposition h la d6pouille v6n6r6e. Le
souci de conservation semble particulierement fort au Burundi,
puisque le cadavre reste dans la hutte sans etre enterre et que cette
hutte est seulement ferm6e. Au Bunyoro, on ne conserve que la
mAchoireroyale et elle est d'ailleurs enterr6e. Au Rwanda, le cadavre
est finalement enterre dans une fosse (1' (( abreuvoir ))) ojul'on a au
prealable verse du lait et sur laquelle on plante un ficus et une trythrine: cette operation est effectuee au nord du Rwanda central,
i Rutare notamment2, soit quatre mois apres le d6but du deuil (et
quatre ans plus tard la hutte funeraire elle-meme est sapee), soit
sous le regne du quatrieme successeur du d6funt3. Au Burundi, le
cadavre est conserve en entier et un interdit (umuziro) s'oppose k son
inhumation.
Les biru, quant a eux, ont un r6le sup6rieur k celui de simples
gardiens de cimetiere; ils apparaissent comme de v6ritables ritualistes
d'un culte royal. Par la, ils se distinguent de leurs homologues du
Rwanda: dans ce dernier pays, en effet, les gardiens sont distincts des
ritualistes et ceux-ci appartiennent au clan tutsi des Batsobe4, apparent6 mythiquement au clan royal des Banyiginya. Par ailleurs, la
veill6e mortuaire de deux ou trois mois ne prend pas au Burundi une
allure funebre. L'hospitalit6 faite au corps du mwami s'accompagne
de ripailles: on ne cesse d'abattre des vaches et de manger de la viande,
les biru boivent 6galement force cruches de biere de bananes ou d'hydromel apport6es par leurs fideles ou venues de la cour. On observe
encore cette ambiance de fete qui s'6tait install6e des le d6but des fun&
railles royales. L'enclos funebre est un palais en liesse et les biru et
leurs fideles celebrent une arriv6e plutot qu'un d6part. D'ailleurs leur
pays n'est pas en deuil! Sekere l'affirme en pr6cisant qu'on (( contii. Sur ce thseme, cf. H. BAUMANN et D. WESTERMANN, Les peuples et les
civilisations de I'Afrique, Paris, I967, P. I85; J. BEATTIE, P. 28; M. D'HERTEFELT et A. CouPEz, La royaut6 sacrde de l'ancien Rwanda, Tervuren, 1964
(notamment au chap. xv: ((La voie de l'inconvenance )), pp. 203-213).
2. I1 y avait quatre cimetieres royaux au Rwanda: Rutare (pour les rois
du nom de Mutara, Cyirima et Kigeri), Remera (pour les Mibambwe), Kayenzi
(pour les Yuhi) et Butangampundu (pour les rois morts ai la guerre) ; cf. D'HERTEFELT et COUPEZ, P. 363.
3. Ibid., pp. 209-21 I.
4.
Ibid., p. 493.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
63
nuait k y cultiver et 'a faire du feu pour les vaches )). Un autre dit:
((Dans notre pays il n'est pas d6fendu aux gens de piler le grain ni de
cultiver.
))1
Le rituel de conservation pose un probleme: selon certaines traditions, les biru recueillaient le premier ver qui sortait du cadavre
royal en d6composition, pour ensuite l'engraisser dans un pot i lait.
H. Meyer 6crit par exemple:
( C'est la-bas [&Bunyange] que le cadavre est alors transport6 en cortege de
deuil, mais seuls quelques familiers du roi, parmi lesquels aussi quelques servantes (intschoreke), accompagnent ce cortege. Wunyange est un endroit tenu
secret oib aucun Murundi ne peut aller. Une fois arrives, les Wanyange commencent &preparer le cadavre, car il ne peut etre question d'un enterrement au sens
propre. Quand la d6pouille a t d6barrass6e de tout ornement, amulettes, etc.,
elle est lav6e et enduite d'une 6paisse couche de beurre. Ce beurre est m6lang6
avec des herbes parfumees (imbasi), de la terre rouge (akahama), etc. Puis le
cadavre est envelopp6 dans de nombreuses peaux, dont des peaux d'antilope
des marais (insobe), et des tissus de ficus, et il est plac6 (kutarura) sur une
estrade en bois, faite en bois de murinsi'. Pendant deux mois, un lger feu charge
de fum6e est entretenu sous l'estrade et le corps est souvent retourn6. Apr'es une
courte p6riode, selon la croyance des Warundi, apparaft un gros ver (umusimu
wa sultani) qui est alors nourri avec du lait et soign6 par les Wanyange, jusqu'A
ce qu'il se soit chang6 en lion ou en python. Quand longtemps aprbs 1'estrade,
pourrie, se disloque, on construit une nouvelle hutte sur les ruines, mais on ne
touche I rien. ))3
Cette histoire a 6t6 reprise dans les ouvrages d6jh cit6s de J. Gorju,
B. Zuure et E. Simons. En g6n6ral,ils distinguent deux phases : celle
de l'exposition i la cour4 ou le ver est recueilli, et celle de la veill6e au
Bunyange oiule ver est nourri. Selon les cas, on 6voque un d6but de
boucanage - la cour ou une simple exposition, on parle du cadavre seul
ou du cadavre d6jAenroul6dans la peau de taureau. Les biru, contrairement bi d'autres t6moins, n'ont pas 6voqu6 pr6cis6mentce rite du ver,
mais il ressort de leurs r6cits que le corps du roi 6tait rapidement confi6
a leurs soins et que l'abattage du taureau et le boucanage commensaient chez eux. Donc l'hypothese de rites organis6s a la cour semble
devoir etre exclue; elle a sans doute 6tWinspir6e Ases auteurs (c'est
fr6quent pour tout ce qui conceme le Burundi) par les coutumes du
Rwanda oju,en effet, le boucanage et l'attente du ver s'op6raient pres
i. Barajenguye.
Umurinzi a erythrine D.
3. MEYER, Pp. I85-I86. Les obs6ques royales sont 6voqu6es a. deux reprises:
aux chap. VIII et xii. Ce dernier contient une s6rie de mises au point sur la
monarchie: A propos de la mort du roi, il donne une version presque contradictoire par rapport au chap. viii, mais qui semble plus exacte. Selon le chap. viIi,
le roi reste des mois It la cour avant d'aller , la Kibira, le Nganso Kulu est situe
au sud de la Ruvubu, les Baganwa seraient autoris6s i visiter les tombeaux
royaux, etc.
4. MEYERen parle dans son chap. viii.
2.
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JEAN-PIERRE
CHRETIEN
de la cour, le cadavre n'6tant enroule dans la peau et envoye vers
Rutare (le ver l'accompagnant dans un pot a lait) qu'h l'issue de cette
premiere phase'. Mais la croyance en la survie de l'esprit (umuzimu)
du roi sous la forme d'un ver est 6galement enracin6e au Burundi.
Alors on peut supposer que ce rite pouvait s'effectuer au d6but du
boucanage chez les biru. Peut-etre aussi le cadavre etait-il, pendant
quelque temps, enduit de beurrepar la ((reine ))avant d'etre envelopp6
dans la peau du ngabe ? En tout cas, il s'agit encore de rites garantissant la survie du roi.
Apres deux ou trois mois au maximum, les biru 6teignaient soigneusement le feu, fermaient la hutte au moyen d'un treillis de bambous,
inspectaient l'int6rieur de l'enclos et en barricadaient l'entr6e avec
des branchages. Leur sortie de ce (( palais )) et leur retour chez
eux constituaient un 6v6nement dont on se rejouissait bruyamment:
des cris mpundu se faisaient entendre dans tout leur pays2, on leur
apportait des cadeaux, les gens dansaient, les tambours r6sonnaient,
on d6clamait des mazina3 en leur honneur. Le mwiru pnncipal recevait
la lance du roi, il prenait son nom et epousait la ((reine ))(nous reparlerons de cet aspect). Enfin la derniere manifestation de ces fun6railles
consistait en ce que les biru appellent kwugara ibirimba, c'est-a-dire
a fermer l'enclos royal )),ou le mwami s'6tait eteint. Un groupe de biru
se rend i la cour, entre dans cet enclos et s'empare des vaches et des
autres objets. C'6tait la coutume, et ils ne rencontraient donc aucune
r6sistance. Bien plus, sur le chemin du retour ils avaient le droit, on
I'a vu, de prendre tous les troupeaux que croisaient leurs vaches. Les
gens ne pouvaient pas se plaindre:
a Lorsque les biru avaient accueilli le corps de leur mwami, ils passaient un
certain temps, puis ils partaient fermer son palais. Puis ils suivaient une caravane de porteurs et de vaches [c'est-a-dire au retour]. En chemin, lorsque le
taureau voyait d'autres vaches, ils s'en emparaient; les vaches partaient, elles
n'6taient pas r6clamees. Jadis quand ils rencontraient des cruches de biere
allant a la cour, on disait que les biru avaient touch6 la biere. ))4
Les biru s'acheminaientavec ce troupeau vers leur pays, ((la-haut ).
Leur arriv6e 6tait l'occasion d'une nouvelle fete, de libations et de
danses. Les cris de joie, le grondement des tambours, les beuglements
des vaches arrivant a la cour des biru cr6aient une ambiance d'enthousiasme d6lirant. Le pays des biru avait accueilli d6finitivement
un nouveau roi. Et pour le reste du pays cette date laissait pr6sager
la fin du deuil et l'intronisation d'un successeur du roi disparu.
i. D'HERTEFELT et COUPEZ, pp. 207-209.
2. Sekere et Barajenguye.
3. Amazina 1oges charges de comparaisons flatteuses et dimages co1orEes,
pouvant prendre une forme epique, et declames tres rapidement.
4. Sekere.
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e.~~~O
PH. 5.
Le mwiru Barajenguye, gardien du nganzo de Mwezi II.
PH. 6.-
Le mwiru Sekere, gardien du nganzo Kuru.
D'156
X,,^w'''~~
.1~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~o
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PH. 7.
Un vieux ficus (a droite) et des dragonniers (a gauche) du nganzo de
Mwezi II a Remera.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
III. -
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LA SURVIE DES ROIS : UMUZIMUW'UMWAMI1
On a vu que le d6ces du roi 6tait pr6sent6 comme un depart: aratanga, arashize, (( il a c6d6 )), (( il a d6pos6 )) le pouvoir. Cette sorte
d'abdication prend meme I'allured'une fete. Les cris de joie du cortege,
la construction d'un nouveau palais pr6s de la Kibira, l'arriv6e d'une
(( 6pouse )), les festins et les beuveries qui se d6roulent chez les biru
semblent orchestrer un voyage triomphal. Les nganzo ne sont-ils pas
6tymologiquementles ((lieux de triomphe )),d'apresle verbe kuganza2?
D'ailleurs le mwami n'est pas enterr6, il est (( accueilli ! Certaines
lgendes affirment meme qu'il choisit en personne le lieu de son
installation:
-
Comment choisit-on l'endroit du tombeau royal ?
le mwami lui-meme qui choisit 1'emplacement. On le transporte et
quand il arrive sur la colline, on veut le transporter, mais il devient lourd comme
de la terre. Imm6diatement on s'arr6te IA, des cris de joie se r6pandent et on
commence les constructions. ))3
-C'est
Cela rappelle un peu certaines manifestations des dieux egyptiens,
lorsque leurs statues, transport6es sur des pirogues et interrog6es par
des fideles lors d'une c6r6monie,se faisaient lourdes d'un c6t6 ou de
l'autre, au point, disait-on, de forcer leurs porteurs k s'agenouiller4.
Les Barundi croyaient donc & une certaine immortalit6 de leurs
rois ou au moins de leurs esprits (imizimu). A vrai dire, chaque homme
a un muzimu, mais celui du roi est particulierement vennr6. II a,
d'ailleurs, une nature tres complexe et de multiples visages. Le roi
semble survivre de plusieurs fa9ons, sous plusieurs formes. C'est qu'il
est plus qu'une personne, il est l'6manation de la force vitale, susceptible d'une diffusion tres grande. Trois degr6s peuvent etre distingu6s.
i. La survie de l'ombredu roi et le culte qui lui est rendu: guterekera.
Le culte des ancetres dtait r6pandu au Burundi. Dans chaque
enclos familial, il y avait des huttes en miniature (indaro) de 50 cm
i m de haut, contenant quelques objets destin6s A. retenir l'ombre
(umuzimu) du d6funt (une cruche, une pipe, etc.). En certaines occaa L'esprit b ou ole fantome du roi ),.
Kuganza ((triompher )) verbe tres important dans le vocabulaire monarchique du Burundi. La devise des rois etait (( ganza sabwa )) (( rZegneet sois
implor6!I. On criait k Baumann (BAUMANN, p. 86), pris pour Mwezi, le slogan
' ganza mwami I D. Kuganza est un peu 1'6quivalent du latin imperare.
3. Barajenguye.
4. S. SAUNERON, Les prntres de l'ancienne ACgypte,Paris, I962, p. 94.
5. a Rendre un culte aux manes des ancetres. D
I.
2.
5
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JEAN-PIERRE
CHRETIEN
sions, notamment aux anniversaires du deces, la famille se reunissait
pres de ces sortes de chapelles votives et celebrait un repas accompagne d'offrandesaux defunts. A ce culte funeraire etait associe celui
de Kiranga,un initie venant souvent presiderce jour-l'aune (("c6rmonie
de la lance sacree a,a l'occasion de laquelle la petite hutte 6tait recouverte d'herbe fralche. I1 convient de noter que les morts etaient
enterr6s dans la cour de leur habitation'. Pour un chef, le ndaro,
d'ailleurs plus important, etait 6difiUnon chez ses h6ritiers, mais dans
l'enclos oiuil 6tait mort. Cet enclos 6tait abandonn6 par la famille et
devenait un bosquet sacr6, un kigabiro, plac6 sous la responsabilit6
d'un Muhutu, le muheza2.On a vu que le roi beneficiait d'une troisieme
solution: l'installation dans un nouveau palais, r6serve a son fantome
(ce qui n'empechait pas la population de respecter et de v6n6rer le
kraal ojuil s'etait 6teint). Dans tous les cas, le muzimu 6tait l'objet
d'un culte regulier,le guterekera.On a vu que E. Simons appelle meme
les biru des baterekerezi,en fonction de cette responsabilite. H. Meyer
6voque rapidement les offrandes de boisson; E. Simons, B. Zuure,
J. Gorju parlent d'un culte quotidien (!), au moins pour le predecesseur
du mwami regnant, et de c6r6monies plus solennelles aux anniversaires du deces ou 'a la mort du roi suivant. A ces moments-la une
nouvelle hutte serait 6difi6e et les gardiens feraient venir des cadeaux
de la cour au nom des fantomes royaux.
Les biru interrog6s nous ont donn6 sur ce probleme davantage de
pr6cisions. I1 s'agissait essentiellement d'un culte annuel ( Une fois
par an, au mois de
rusama3,
les envoy6s de la cour reviennent avec des
cadeaux pour offrir au roi mort. A ce moment, ils trouvent le palais
bien pr6par6.))4 On peut distinguer quatre aspects l'arriv6e des pr&sents de la cour, la construction d'une nouvelle hutte fun6raire, la
visite des diff6rentsnganzo et la fete chez les biru.
Chaqueann6e donc, a la fin de la saison des pluies, la cour envoyait
les presents traditionnels (cruches de biere ou d'hydromel, b6tail,
tambours...):
u On venait aux tombeaux & 1'6poque oiu le sorgho a deja pousse. Le
mwami envoyait de la biere de deuil (umubira) ; le mwami envoyait de la biere
chaque annee, iHenvoyait des vaches, les tambours battaient. Un roi qui s'est
r6p6t6 envoyait deux vaches.
Que signifie: ' un roi qui s'est r6p&t ' ?
II a 6t6 accueilli deux fois. I1 venait deux vaches allaitant. La fois suivante
I. MEYER, Pp. I13-II5
2. ZUURE, Pp. 23-25.
et 136.
3. Rusama (de gusama (( bruire )): 1'6poque oil on entend des averses au
loin, l'epoque des dernieres averses, la fin de la saison des pluies, c'est-iL-dire
A peu pres le mois de mai.
4. Ndahabaye.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
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on envoyait egalement de la biere de deuil, de l'hydromel et des paquets de sel.
Apres chaque ann6e il en envoyait. ),1
Quel est l'avantage que vous donnait le mwami pour la fonction dont
vous 6tiez charges ?
- I1 envoyait deux vaches qui allaitaient et qui etaient accompagnees de taureaux. Ces vaches se nomment masugi. Les baganwa' exp6diaient des cruches
de biere, et de la cour on envoyait de l'hydromel. A l'endroit du tombeau, on
envoyait quatre cruches de miel non ferment6 et quatre d'hydromel, plus
d'autres cruches de biere et un tambour.
Est-ce que cela se passait tous les ans ou tous les mois ? Combien de fois
est-ce qu'on le faisait ?
Chaque annee, A la fin de l'annee. Le mwami envoyait ceux qui visitaient
les tombeaux vers le mois de ndamukiza'. C'est le meme mois pour tous les
tombeaux.
))'
II semble qu'il y ait eu au moins une vache et un taureau par tombeau. Le groupement des vaches par paires r6pondait sans doute au
fait qu'un seul mwiru pouvait, comme on le verra, garder deux nganzo
correspondanta deux rois portant le meme nom de regne (((le roi qui
s'est r6p6t6)),selon Sekere): le grand-perede Barajenguye gardait par
exemple deux Mwezi. Le roi exprimait donc sa gratitude aux biru en
leur envoyant solennellement une d6l6gation de notables et de nombreux cadeaux.
Ce retour des dignitaires de la cour provoquait une r6fection
rituelle de la demeure du d6funt:
Quand vous reveniez pour offrir des sacrifices, comment utilisiez-vous
les restes de la d6pouille ?
- Ils demeuraient RL,son kirezi, tout, et ses os...
Le premier palais que vous aviez fabriqu6 finissait par s'6crouler; quand il
s'effondrait, que faisiez-vous ?
Nous en construisions un autre; mais les autres Barundi ne participaient
pas a la construction. C'est nous-m8mes qui le fabriquions.
Pour construire, est-ce que vous commenciez par enlever la premiere maison
ou bien vous 6leviez une autre ailleurs ?
- Ils reconstituaient l'armature de l'autre et la couvraient de paille.
Vous ne soigniez pas bien l'emplacement ?
Non, on ne revenait pas dans la premiere; on en enlevait la paille.
Et dans cette nouvelle maison qu'ils construisaient, ne soignaient-ils pas
bien l'int6rieur ?
On degageait bien i c6t6, mais l'endroit oii 6tait couch l'autre n'est pas
touch6.
Comment se pr6sentait cette maison ?
Une hutte telle que les Barundi en construisent et qui 6tait bien faite. On
6difiait depuis le sol des cordes de papyrus, on arrangeait bien, cet endroit 6tait
i. Sekere.
A baganwa: les princes du sang, membres de la famille royale et aussi ]es
grands chefs.
3. Ndamukiza: le mois qui pr6cede rusama, c'est-4-dire avril.
4. Barajenguye.
2.
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JEAN-PIERRE
CHRE'TIEN
remarquable, on pouvait le reconnaitre m8me si l'on se trouvait adistance. Voila
les constructions que l'on faisait; on plantait un mubanga' comme il en poussait
jadis.
Y avait-il des cloisons a l'int6rieur de la maison ?
Une seule cloison cachant la place du mwami.
N'y trouvait-on pas d'autres maisons ?
I1 y avait une cour avant et une cour arriere, tandis que le palais se plagait
au milieu. ,,2
Un autre gardien resume bien ce travail:
(( - On restait exactement au mEme endroit. Lorsque le mwami envoyait
des vaches et des tambours pour le culte, ils trouvaient ce palais effondr, ils
en construisaient un autre au mime endroit, I cet emplacement, au-dessus de
celui qui s'Wtait effondr6, au m8me endroit [...].
On connaissait l'endroit, on y allait, on campait a l'emplacement de jadis,
puis on construisait.
- Vous n'abattiez pas les arbres qui 6taient avec l'ancien palais ?
Les gros arbres poussaient A cot' [...]
Ce palais est-il uniquement construit par les biru ?
- Oui. Toutefois les gens qui habitent le pays apportent de la paille (ubuhoro),
tout le monde apporte de la paille. Puis on construit. ))3
On voit qu'il ne s'agit pas d'une autre hutte, mais de la restauration de l'ancien palais. Ce sont les mat6riaux les plus fragiles qui sont
r6nov6s: cordes de papyrus, couverture de paille. Cela rappelle l'herbe
fralche d6pos6e sur le ndaro des ancetres des simples Barundi. Mais le
roi mort dispose, lui, d'une sorte de mausol6eoiuson corps est toujours
present. L'interieurde la hutte est aussi d6brouss6,nettoy6, le terrain
est 6galis& L'emplacement de l'estrade oii se desseche le cadavre est
respecte : on semble meme l'entourer d'une cloison. Une fois par an le
muzimuroyal est ainsi convie h hanter le palais r6nov6pour l'occasion.
Le culte pouvait alors avoir lieu. I1 se deroulait de faSon m6thodique d'un tombeau h l'autre. A cette occasion, en effet, les biru reprenaient leur place dans la hutte du nganzo pendant un jour. II ne s'agissait pas d'une veillke solitaire, chaque gardienallant dans son tombeau,
mais plutot d'une tourn6e collective, tous les rois 6tant visit6s successivement par la confr6riedes quatre gardiens:
Une nuit nous logions dans un kigabiro, le lendemain dans un autre et
a
apres avoir fait le tour de tous les tombeaux, nous retournions a la maison. Des
cris de joie se faisaient entendre.
Mais, compte tenu du fait que chaque mwami possede son propre gardien,
6tiez-vous oblig6s d'aller ensemble ?
Nous allions ensemble. Nous nous accompagnions les uns les autres. M6me
i. Arbuste m6dicinal, dont on tire des decoctions pour les femmes qui
accouchent et aussi pour les vaches qui v61ent.
2. Barajenguye.
3. Ndahabaye.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
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pour les vaches venues de la cour, chaque tombeau en gardait une et un tambour.
Dans quel tombeau faisait-on entendre des cris de joie ?
Le dernier.
-
I1 s'agissait de quel roi ?
Quand on 6tait d'abord arriv6 au tombeau de Mutaga, on allait ensuite
chez Mwezi, puis &Buruhukiro chez Ntare. Puis ils repassaient au tombeau de
Mutaga pour prendre cong6 et rentrer A la cour.
En faisant entendre des cris de joie, est-ce que vous suiviez l'ordre des
bami ou les endroits ?
On commen9ait par celui qui 6tait mort r6cemment et on finissait par celui
qui 6tait mort le premier. Les objets qu'on envoyait de la cour 6taient d6pos6s
-
I&. >1
C'etait donc une sorte de procession dont les stations remontaient
le temps et, du meme coup, etaient de plus en plus eloign6es vers le
nord. Mais allait-on jusqu'. Budandari ? II semble que les plus anciens
rois aient W d6laiss6s au d6but du XXe siecle, apres l'instauration
des nouveaux nganzo de Mwezi II (i908) et de Mutaga II (I9I5):
c On passait un jour A un tombeau, on y logeait, on parcourait tous les
tombeaux.
-
Tous les sept ?
Certainement. Toutefois, depuis notre g6n6ration, on n'allait plus qu'au
tombeau de Mutaga garde par Ruteye, puis A ce tombeau de Mwezi et . celui
de Ntare. ))2
-
Chaquenganzo voyait se d6roulerune joyeuse r6union: les tambours
battaient, afin de ((chasserles mauvais esprits ))3; on buvait l'hydromel
et la forte biere de deuil ; le taureau etait abattu, sa viande consomm6e
et sa peau enroul6e autour de la d6pouille royale (ainsi le linceul 6tait
renouvel6)4; les vaches laitieres revenaient finalement aux ((reines ))
qui avaient accompagn6les demiers bami. Les biru s'installaient seuls
dans le palais pour y boire, y manger de la viande, y chanter, tandis
que les d&l6gu6sde la cour et les fid6les des biru restaient dans la cour
ou ils dansaient au son des tambours:
faisait-on dans la seconde hutte ?
Les cadeaux envoy6s de la cour nous trouvaient dans cette maison. On
apportait de l'hydromel, des vaches, des costumes pour la danse et des tambours.
I1 y avait aussi des peaux de leopard et d'antilope. II faut noter qu'aucune
femme n'entrait dans le nganzo. Les tambours r6sonnaient et les sous-chefs se
rassemblaient.
a-Que
i. Barajenguye.
Ndahabaye. Sekere affirme que des cadeaux furent envoy6s jusque sous
Mutaga; mais quand il 6voque ces cadeaux il emploie la formule: ((du temps de
mon grand-pere Ndikumwami )). D'autre part, ce tdmoin a tendance a id6aliser,
nous I'avons vu, sa situation pass6e.
3. Ndahabaye.
4. Barajenguye.
2.
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JEAN-PIERRE
-
Qui s'asseyait dans cette hutte ?
Les Banyange seulement!
Les danseurs, oii se mettaient-ils ?
-
Dans 1'enclos.
Qui dansait ?
-
CHRETIEN
Les sujets des biru, et m6me ceux qui n'6taient pas sous I'administration
des biru dansaient.
Quel 6tait le sort de la femme qui accompagnait le mwami ?
Elle demeurait A la maison et les accueillait 'aleur retour. Quand nous allions
loger 1i, elle restait ici. Une femme ne va jamais offrir des cadeaux aux tombeaux,
elle accueille seulement les maris. )),
Apres quelques jours les gardiens se retrouvaient chez eux ou plutot se rassemblaient encore chez l'un d'entre eux pour saluer une
derniere fois les notables qui allaient repartir pour Muramvya.C'etait
l'occasion de nouvelles festivites: d'autres cruches etaient vid6es.
C'est alors surtout, semble-t-il, que Kiranga ou Ryangombe se maniles notables
festait. II n'allait pas jusqu'au nganzo, mais il accueWilait
'aleur arriv6e et a leur retour des tombeaux:
Est-ce que Ryangombe allait jusqu'au tombeau?
Non, il n'y arrivait pas; Ryangombe suivait seulement les cruches de biere,
puis le lendemain il accueillait les hommes qui revenaient du tombeau; il les
accueillait dans 1'enclos des biru. ))'
Kiranga, incarn6par ses initi6s, protege ainsi de sa puissance sacr6e
la demarche des notables et le culte c6l&br6par les gardiens. II se distingue pourtant nettement de l'activite propre des biru et semble
6viter d'entrer directement en contact avec le muzimu royal, de la
meme fa9on que l'initiation 'a ses mysteres 6tait refusee au mwami
r6gnant et en principe aux baganwa. Mais son esprit favorise sans
doute alors le maintien de bonnes relations entre les biru et leurs hotes
royaux. Le plus grand souci des gardiensn'est pas, en effet, d'empecher
des passants de couper du bois dans les nganzo,mais de retenirdans ces
enceintes sacr6es les ombres puissantes des bami d6funts.
On sait que les rois vivants ne devaient pas voir les tombeaux de
leurs pr6d6cesseurs.Cet interdit, 6voqu6 par tous les t6moins, fut d6ja
devin6 par Baumann qui 6crivait: (( Selon la tradition, un Mwesi
vivant ne peut penetrer dans ces regions : si cela lui arrive, il doit
mourir. ))3 De meme, les ames des rois morts devaient etre maintenues
i l'6cart de la cour. On comprend le sens des festivites organisees
chaque annee en leur honneur. Elles reconstituent en un temps plus
court les c6r6moniesde l'accueil du cortege funebre: il y a les cadeaux,
i. Sekere.
2.
Ibid.
3.
BAUMANN,
P. 224.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
7I
la construction de la hutte, la veillee, les soins apport6s i la d6pouille
enveloppee d'une nouvelle peau, la fermeture de l'enclos et le d6part
de la d6l6gation. II s'agit manifestement de rites d'anniversaire destines 'aretenir les mizimu royaux pres de leurs momies, de les apaiser.
Ce role propitiatoire revenait sp6cialement aux biru, sous l'6gide un peu distante - de Kiranga. C'est un sentiment dominant de peur
qui se cache sous le masque joyeux de ces fetes funebres.Maisle muzimu
royal a d'autres visages.
2.
La reincarnationde l'esprit royal chezle successeur:
umwami aho avuye hima uwundil.
On a vu que le roi (( c6dait le tambour )), qu'il (( s'en allait )), qu'il
disparaissait )),mais que dans le vocabulaire des Barundi il ne ((mourait ))jamais. II y a l 6videmment une affirmation de la permanence
du royaume. Bien plus le deces du roi etait autrefois, si l'on peut parler
ainsi, organis6, pour eviter qu'une mort naturelle ne vienne plonger
le pays dans le d6sarroi et le d6sordre. Cet 6v6nement constituait un
peu, comme disaient les ritualistes du Rwanda, un retour 'aune ((situation devenue normale ))2. La mort 6tait, en effet, rituelle et son moment
6tait choisi par les sorciers et les notables de la cour. On retrouve li
une r6alit6 bien connue des monarchies de l'ancienne Afrique noire,
depuis M6ro6oiule roi Arkakamani aurait fait scandale en refusant le
suicide rituel command6par les pretresdu dieu-bMlier
Amons,jusqu'aux
monarques lunda ou des pays du Zambeze astreints au meme destin,
selon diff6rents auteurs4.Au Burundi on disait: ((umwami aranyoyen
"
le roi a bu )). La boisson 6voqu6e 6tait un hydromel empoisonn6
(aranyoye ubuki)5. Un t6moin nous confirma, encore r6cemment,
cette version h propos de Mwezi Gisabo:
aY en a-t-il qui pensent que Mwezi est d6c6d6 parce qu'il a vu le Tanganyika ?
Non, parce que Mwezi est d6c6d6 quand son temps 6tait arriv6, parce qu'il
6tait tr'es Ag&.
I1 est mort de vieillesse ou d'une autre maladie ?
I1 est mort d'une maladie qui venait d'apparaitre seulement; ce n'est pas
A cause de la vieillesse.
I. ((Lorsqu'un roi disparait un autre est intronis6 )); soit: a Le roi est mort,
vive le roi! ))- proverbe cit6 par F. M. RODEGEM, Sagesse kirundi, Tervuren,
i96i,
P. 319.
2. D'HERTEFELT
et COUPEZ, P. 205.
3. Cet episode est 6voqu6 par Diodore de Sicile qui appelle ce roi Ergamenes.
C'est 1'6poque (mIIesiecle avant notre ere) oiu les rois de Kouch ne se font plus
enterrer a Napata pr6s du grand temple d'Amon du Djebel Barkal, mais a
A ce sujet, cf. par exemple F. et U. HINTZE, Alte Kulturen in Sudan,
MWro&.
Leipzig, I966, P. 23.
4. BAUMANN et WESTERMANN, pp. 143 et I85.
5. SIMONS.
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JEAN-PIERRE CHRE'TIEN
72
-
Connais-tu le nom de cette maladie ?
Puisqu'on disait qu'ils buvaient du miel.
-
Ils buvaient
du miel ?
Du miel, oui ! Au mwami on donne du miel. C'est d'ailleurs pour cette raison
qu'ils ont demand6: ' Puisqu'il veut faire l'6levage d'un taureau, il lui donnera
quel nom ? ' Les notables r6pondirent: 'Bugingoburageze '. Tu comprends qu'il
connaissait que le temps de s'effacer 6tait arriv6, parce que son enfant etait
grand et voulait remplacer son pere sur le trone.
Que penses-tu de ceux qui rapportent que les sorciers lui auraient conseill.
de se suicider ?
Cela ? Je l'ai entendu, je l'ai appris de ceux qui etaient avec lui, des sorciers
qui 6taient avec le mwami Mwezi. D'ailleurs, celui qui m'en a donn6 les d6tails,
c'est un sorcier qui 6tait avec le mwami Mwezi au moment oiu il a rendu l'ame,
le nom qu'il porte est Mabango.
Donc il est mort de ce qu'il avait bu et non d'une maladie quelconque ou
de vieillesse ?
- Mais oui, c'est exactement cela.
Tu dis qu'il n'est pas mort d'une maladie mais plut6t de ce qu'on lui avait
donn6 ?
C'est cela ! Parce qu'on disait que le mwami s'est donn6 du miel. Comme le
sorcier me l'a dit, il parait qu'on aurait essay6 le miel ailleurs et que qa n'avait
pas eu d'effet. Les sorciers disaient: ' S'il boit le miel sur une colline qui s'appelle
Nyamutenderi, alors le miel aura des effets. '
C'6tait du vrai miel ou autre chose qu'on appelait miel?
C'est le nom et c'est ainsi qu'il faut l'appeler, c'6tait du poison. )'
-
Ce suicide correspondaitau moment ou le fils designe par les dieux
(et par les intrigues des courtisans et des reines) comme devant heriter
du tambour, 6tait devenu assez grand. En principe, ce prince h6ritier
avait k6 emmene dans une province eloignee, pour y etre 6lev6 en
toute s6curit6. On racontait que r6gulierement il mettait les pieds
dans un panier de farine et que ce panier, envoy6 h la cour, permettait
au roi r6gnant de suivre la croissance de son successeur. Quand ces
pieds avaient atteint la taille de ceux d'un adulte et que le souverain
se sentait fatigue, celui-ci devait r6pondre aux injonctions de son
entourage, et un Muhutu pr6paraitle miel. Evidemment ce rituel n'a
suivi. Mais il est frappant de constater que
peut-etre pas toujours Wt6
l'anniversaire du d6ces de chaque roi est fixe au meme mois lunaire
de la fin de la saison des pluies et que la saison seche etait pr6cis6ment
une p6riodecreuse dans le calendrieragricole, pendant laquelle le deuil
royal (avec l'inaction qu'il representait)offraitle moins d'inconv6nients.
Or Mwezi Gisabo est bien mort en pleine saison seche, le 2I aoCuti9082.
On a finalementl'impressionque le mwami mourait pour que le royaume
continue 'avivre en la personnede son fils.
i. B.A. Le nom donn6 au dernier taureau du roi est significatif: Bugingoburageze veut dire a la decision est arriv6e i terme )),c'est-4-dire exactement a le
temps de mourir est arrive )).
(II3-II5).
2. Cf. DZA Potsdam, Reichskolonialamt, Bd. 70I
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
73
Le culte fundraire presentait de ce point de vue un autre aspect
que le but propitiatoire 6voqu6 plus haut. I1 offrait une garantie de
transmission normale de l'esprit royal d'un mwami i l'autrel. Cet
esprit n'est pas seulement l'ombre de tel ou tel roi parti vers la Kibira,
c'est une Ame,une force de vie, attach6e au titre meme de roi, au tambour du Burundi2,et qui doit se r6incarnerchez le successeur au cours
de c6r6monies d'intronisation qui mettent pr6cis6ment fin au deuil
national. La 16gende du ver prend alors tout son sens. Ce ver est
l'agent de la r6incarnation,car ensuite il finit par devenir, dit-on, un
lion (ntare en kirundi) dont le rugissement symbolise l'avenement du
successeur3. D'autres parlent d'une m6tamorphose en un python
(isato)4. Un culte aurait existe a la cour a l'6gard de ce python sacr6,
surnomm6Bihiribigonzi (((aux mille replis ))).Une vestale (comparable
a la vestale du tambour sacr6, Muka Karyenda), appel6e Jururyikagongo, aurait eu la charge de veiller sur ce python, d6positairede l'Ame
de l'ancetre et protecteur du nouveau pouvoir. Donc la personnedu roi
mort est n6faste et ne peut etre abord6epar ses successeurs,mais il y a
chez les rois une sagesse liee h leur fonction et h6r6ditaire.Cette sagesse
est toujours vivante et elle-meme est source de vie: il n'est pas mals6ant de l'6voquer et de lui rendreun culte ala cour. Cela nous rappelle
un peu le ((genie d'Auguste ))chez les Romains, un g6nie qui d6bordait
largement la personne privee de l'empereur, mais qui exprimait aussi
la confiance de la population a l'6gard de son souverain. Cela nous
rappelle aussi, pour rester en Afrique, le serpent-g6nie, protecteur de
la famille de forgerons d6crite par le Guin6en Camara Laye dans
L'enfant noir; le pere de famille y r6vele a son fils ((Mon nom est
dans toutes les bouches, et c'est moi qui regne sur tous les forgerons
des cinq cantons du cercle. S'il en est ainsi, c'est par la grAceseule de
ce serpent, g6nie de notre race. ))5
L'animal de la terre par excellence qu'est le serpent a souvent repr&sent6 la force b6n6fique des ancetres; mais la taille peut varier: le
python du Burundi 6tait Ala mesure de la puissance royale.
I. Les gardiens du Rwanda etaient appels banyamugogo (GORJU, P. 42),
et un de nos t6moins employa le terme de nyamigogo A propos de Buruhukiro
(Barajenguye). Le mot umugogo d6signe les perches lat6rales d'une litiere, mais
aussi une passerelle, un pont. Selon MEYER (P. I85), ((.difier le lit mortuaire .
se disait kutarura, verbe qui signifie en gen6ral if construire un pont )o.S'agit-il
d'un hasard de vocabulaire ou d'un symbolisme ?
2. Se reporter h La philosophie bantoue de P. TEMPELS, Paris, I949.
3. MEYER; SIMONS; GORJU.
4. VAN DER BURGT, P. 565.
5. Camara LAYE, L'enfant noir, Paris, I953, P. 2I.
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3. Une monarchie de l'au-dela: ingoma y'abirul.
Les birut offraient donc 'a la monarchie une double garantie: celle
d'empecher les esprits des rois defunts d'errer et de devenir malfaisants, celle d'assurer la transmission de la vertu royale au sein de la
dynastie. Mais il etait donne aux bami defunts de jouer un role plus
positif que celui de ceder la place et, si l'on peut dire, de rester sages.
Leurs esprits se reincarnaient aussi de fa?on durable dans une ligne'e
de personnages qui travaillaient pour le bien du royaume en devenant
comme des doubles des rois: il s'agit des biru eux-memes. Nous avons
essaye de reconstituer la genealogie de leur famille, ce qui a donne
les resultats presentes dans le tableau p. ci-dessous
ou GIKOHWA
KIMERE
MWAGAZI
(NtareI)
ou MURAGUZA
MURAMUKA
(NtareI)
Y
(Ntare
X
,(Mwezi I
CIZA
(Mutaga
I)
NDIKUMWAMI
(Mutaga
I)
4
Z
SEHIZANYE
(MweziI)
KINYANGE
(NtareI)
MPAZE
RUSHATSI
(Mwambutsa
I)
MITARI
(MweziI)
RWAMARUHEZE
(NtareI + Ntare11)
NSESANYI
KANYONI.
(Mwambutsa
I)
4
MAKWANGU
GISANABAGABO
(MweziI + Mwezi11)
(Mutaga
I)
4
SEKERE
(Mutaga
I)
MURONKWA
1
BARAJENGUYE
(MweziI et 11)
4
BANYAGA
(NtareI et 11)
4
NDAHABAYE
(NtareI et 11)
1
NZORUBARA
(Mutaga
I1)
14+
RUTEYE
(Mutaga
11)
4
NZIKONANYANKA
(Mwambutsa
I)
?
(Mwambutsa
I)
Ce tableau a ete etabli d'apres les renseignements donnes par les gardiens et,
en particulier, par Sekere et Ruteye, et d'apres quelques notes de B. ZUURE, P. 26.
Le nom de chaque gardien (en capitales) est suivi du nom du roi qu'il garde
(entre parentheses). Les fleches en traits pleins designent des filiations sures, les
pointilles des filiations hypothetiques. II y a en effet beaucoup d'hesitations et
de contradictions au-dela de la troisieme g6neration. L'emploi du terme ufrerea
en kirundi 'a propos des cousins germains et issus de germains et meme a propos
de rapports d'oncle 'a neveu vient souvent compliquer la situation: par exemple
Sekere qualifie Ndikumwami de (( frere )) de Mitari aussi bien que du pere de
celui-ci ! D'autre part, en tenant compte de la chronologie courte de J. Vansina
concernant les bami, nous sommes oblige neanmoins de supposer le plus souvent
une generation intermediaire, oubliee par les temoins, entre le legendaire Muramuka et la generation de Ciza et de Kinyange. Les noms de rois soulignes permettent de suivre leur ((accueil ))progressif 'ala Kibira. L'existence de branches
specialisees par nom de roi ne fait aucun doute.
i. (( Le royaume
des biru. )
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Le principalinteret de cette g6n6alogieest de reveler le partage des
responsabilit6s entre les biru, selon les noms des rois. Mis h part
Mwambutsa qui est un cas spdcial, puisqu'il fut seul du nom a etre
accueilli chez les biru, et Mutaga qui pose un probleme particulier,
nous constatons que la lign6e responsable d'un Ntare ou d'un Mwezi
accueille ensuite les autres bami d6nomm6s Ntare ou Mwezil. Bien
plus, chacune de ces lign6es s'assimile litt6ralement au mwamiaccueilli,
puisque les Biru portent de pere en fils le nom de ce mwami. ((Moi,
j'6tais Mutaga )),nous affirme Sekere. On se rappelle que le temoin de
Buhonga, d6ja'cite, nous parlait d'un jeune homme qui (( prenait le
nom du mwami )).Un mwiru confirme nettement cette regle
Mais comment le choisit-on [le gardien] ?
On le choisit
dans cette famille
et on regarde si son pere a d6ja accueilli
un autre roi. Par exemple, maintenant, c'est moi qui ai accueilli Mwezi, cela
signifie que mon fils recommencera a accueillir un autre roi du nom de Mwezi.
Mais A ma mort, c'est lui qui sera charge de garder le tombeau que je gardais.
Cet enfant recevait-il le roi en h6ritage ?
Oui, son pere lui disait: ' C'est toi qui seras l'hMritier,et les autres enfants
te craindront et te respecteront. Quand je mourrai, tu garderas bien le secret;
quand je mourrai, tu prendras ce nom. ' Les autres deviennent simplement des
notables (abashingantahe). )),
Le cas de Mutaga est difficile a 6lucider: Sekere semble se plaindre
d'une usurpation, il affirmeque c'est lors des difficultes qu'il eut avec
le chef Baranyanka, apres la mort de Mutaga II, que Nzorubara profita de la situation pour intriguer aupres des autres biru et s'installer
h Ramvya. L'histoire n'est pas claire, mais il en ressort que la s6paration des nganzo des deux Mutaga apparait comme anormale. 1 ne
devrait y avoir que quatre gardiens, un par nom royal, chaque gardien
etant comme le double des rois portant ce nom. L'esprit royal semble
donc se subdiviser en quatre figures fondamentales et les diff6rents
bami sont autant d'avatars d'une de ces figures. ( Quand Ntare reviendra )), disaient les vieWilesgens! Ces quatre hypostases du mwami
&taient d'ailleurs symbolis6es par les quatre tambourins qui, selon
certains informateurs,entouraient toujours le tambour royal Karyenda.
De ce point de vue, les biru assuraient donc non seulement la succession
normale de la dynastie, mais aussi une v6ritable immortalit6 de la
monarchie, en incarnant ses quatre visages en permanence.
L'espece de dd6lgation royale accord6e aux biru s'exprime dans
certaines legendes dtiologiques.L'ancetre des biru, un certain Gikohwa,
aurait sauvd la vie de Ntare I Rufuku (ou Rushatsi) lors d'une guerre
contre le Rwanda. Sa famille aurait alors reSu en recompensela charge
I. I1 s'agit des ((rois qui se r6petent )), comme disait Sekere.
2.
Barajenguye.
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d'accueillirles bami d6funts. Et, au cours d'une autre guerre contre le
Rwanda, Ntare I serait mort pr6cis6ment au nord du Mugamba:
(( A l'origine, il y eut une guerre contre le Rwanda. Nos ancftres avaient
particip6 A cette bataille en compagnie du roi. Au moment o' les ennemis aIlaient
s'emparer du roi, un de nos ancetres le prit sur son dos et monta sur un arbre.
Les ennemis passerent en dessous de l'arbre sans toutefois voir le mwami. D6s
que ces ennemis partirent, il descendit de l'arbre avec le roi. Et c'est alors que le
mwami d6clara: 'Cette personne qui vient de me sauver la vie, quand je serai
mort, vous construirez pour moi chez elle, afin qu'elle me conserve, qu'elle me
garde. Et je lui legue tout ce que je possede, vaches et autres objets. Je les
donne A Gikohwa. ' Gikohwa se disait: ' Celui qui s'impose au milieu des jeunes
gens, jusqu'A ce que les collines s'effondrent ! ' ,,1
c Ntare I en allant A la guerre a dit: ' Si vous remarquez que l'arbre tombe
de tel ctM, il faudra le laisser de ce cot&l I ' Puis ils se sont battus entre le
Rwanda
et le Burundi.
0,
Des lors, les biru constituerent une dynastie parallele, revigor&een
quelque sorte a la mort de chaque mwami par l'intronisation d'un
jeune gardien et par son mariage avec la ((reine ))mystique choisie chez
les Bahanza. On notera que ce dernier clan serait, avec ceux des Bajiji
et des Bavumu, une des trois plus anciennesfamilles hutu du Burundi3:
elle fournissait h la cour des chasseurs et des domestiques4,elle approvisionnait le roi en miel5; selon certaines traditions le fondateur du
royaume du Burundi, Ntare Rushatsi, aurait ete lui-meme un Muhanza
emigre un moment au Buha6. On voit qu'il y a autour de cette famille
une aur6ole monarchique qui marque aussi les biru.
Le pays des biru fait figure lui-meme de royaume. I1 est presque
ind6pendant: ni le roi ni les grands chefs ne peuvent y p6n6trer, il
assure l'immunit6 aux criminels poursuivis par les autorites; les biru
y gouvernent avec l'aide de sous-chefs dependants d'eux, ils possedent
des tambours, l'embleme meme du pouvoir royal. En outre, ils ont le
droit de s'emparer des vaches qu'ils rencontrent lors de leurs voyages
vers la cour ou qui s'6garent sur leurs terres, ils peuvent requerirles
services des sous-chefs des r6gions avoisinante$7.Li-haut, a l'or6e de
la grande foret, entre la Ruvubu et la Mwogere,ils ont constitu6 une
sorte de petit royaume qui s'accroit de regne en regne (puisqueles bami
sont deposes chaque fois un peu plus au sud). C'est une sorte d'Etat
i. Barajenguye. La derniere phrase est un 6loge triomphal que Gikohwa se
d6cerne; elle releve du genre litteraire des amazina.
2. Ibid. L'arbre symbolise le roi.
I, P. 53.
3. BOURGEOIS,
4. RODEGEM,i965, p. 89.
5. Selon Sekere. On connait l'importance du miel dans la fabrication de la
boisson de luxe qu'est l'hydromel, sans parler du breuvage ultime des bami...
6. VANSINA.
7. Sekere; Barajenguye; Ndahabaye.
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des rois morts, de royaume de l'au-deh, une sorte d' ((autre-Burundis
qui serait gouvern6 par une communaute de quatre rois mythiques
(Ntare, Mwezi, Mutaga, Mwambutsa,((tels qu'en eux-memes l'6ternit6
les change ))...).Ce royaume mystique n'est pas coup6 du Burundi des
vivants, il en assure meme la protection face h l'ennemi traditionnel:
le Rwanda. Les nganzo d6limitent la frontiere et la protegent
magiquement:
Pourquoi a-t-on choisi ces endroits-la?
Lorsque le premier roi du Burundi mourut, il fut enterre lW.Puis celui qui
le suivit ne d6passa pas cette limite. Et chaque fois qu'un autre meurt, il va au
mEme lieu. C'6tait la limite du Rwanda. Ceux du Rwanda ne d6passaient jamais
le tombeau du mwami du Burundi.
- D'apres toi, les rois du Burundi ont 6t enterr6s &la limite en vue d'empecher les rois du Rwanda de traverser ?
Oui ! E-]
Ne saurais-tu pas si c'est lIa qu'ils se battaient souvent quand ils venaient
attaquer le Burundi ?
L'id6e d'enterrer les rois t la frontiere du Rwanda et du Burundi serait
venue du mwami du Burundi. II aurait dit ceci: ' Quand je serai en guerre, si
je meurs & un endroit quelconque, vous me laisserez il, et Il ,a sera la limite. '
I1 faut aussi noter que les tombeaux des rois sont situes dans la region du
Mugamba; il n'y avait pas de tombeaux en bas, dans le pays. ),1
Un autre t6moin, non mwiru lui-meme, est encore plus explicite
I - Si le mwami s'appelait Mwezi, le mwiru prendra le nom de Mwezi; s'il
s'appelait Mutaga, il prendra le nom de Mutaga 6galement.
Pourquoi les tombeaux royaux sont-ils &la limite du pays ?
C'6tait pour d6signer les frontieres du royaume. Les tombeaux royaux
devraient indiquer aux descendants quelles furent les limites du pays. D'ailleurs
Mutaga avait r6clam6 une partie du Rwanda en disant que l'autre Mutaga avait
W tuWau Rwanda et que, par consequent, la frontiere devrait 6tre il ou il
mourut !
-Mais
pourquoi les tombeaux sont-ils places vers le nord et non par exemple
du cot^ de Ngozi ou d'Ijeri ?
-C'etait dans le but d'arreter les Rwandais... Plus au sud, il y avait la rivibre
Kanyaru qui servait de frontiere et d'autre part des Baganwa tres importants
s'y 6taient fixes. Ainsi on a mis ces tombeaux ici pour rappeler 6ternellement
aux Rwandais que c'est en territoire du Burundi. ))2
Le Burundi de l'au-delk prot6geait le Burundi temporel. En I892
encore, lorsque Oscar Baumann, apres avoir remont6 la Ruvubu,
repartit vers le sud, il passa aux yeux des Barundi pour avoir ((rebrouss6
chemin ))devant le nganzo de Ntare !3
Par ailleurs, le nord du Mugambaest 6voqu6 dans de nombreuses
i. Barajenguye.
B., deja cit6. a Plus au sud n designe en fait l'est, c'est-4-dire la frontiere
rwandaise au nord du Buyenzi et du Bweru.
3. Cf. notre article d6jA cit6 des Cahiers d'Etudes Africaines.
2.
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JEAN-PIERRE
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16gendesrelatives a la fondation du royaume du Burundi: selon une
tradition, Ntare Rushatsi, venu du Rwanda, y aurait tu6 un serpentfaiseur de pluie qui regnait sur les Barundi; Ntare aurait aussi fait
jaillir la source de la Ruvubu avec un marteau de cuivrel; les tambours Karyenda du Burundi et Kalinga du Rwanda auraient W tailles
dans un arbre de cette r6gion2.Avec le Nkoma au sud-est et la r6gion
de Bukeye-Banga au centre, nous nous trouvons ici au cceurhistorique
de l'ancien Burundi. Certains nganzo correspondentaussi a des toponymes caract6ristiques: (( Muganza )) (de la meme racine kuganza),
((Remera ))qui d6signe l'arbre d'oiul'on tire les tambours et qui signifie
aussi (( lourd )), ((pesant )), et nous rappelle le mythe du roi choisissant
lui-meme son emplacement3. Le pays des biru fut autrefois une des
regions-clefsdu royaumedes premiersbami.Le Burundi du XVIIIesiecle
couvrait d'ailleurs une superficie plus restreinte que l'Etat actuel: il
correspondait(cf. carte i) aux r6gionsde la crete Congo-Nil et, dans ce
contexte, la frontiere du nord-ouest avec le Rwanda alors en pleine
expansion etait cruciale. On peut se poser une autre question: la mission confiee aux biru ne r6vele-t-elle pas un ancien pouvoir de cette
famille hutu, de la meme fa~on qu'au Rwanda les ritualistes Batsobe4
passaient pour avoir autrefois r6gn6sur le Gisaka ? Les Bajiji ne furentils pas un des clans qui favoriserent la constitution d'un royaume
unissant les populations des collines du Burundi vers la fin du
xvIIe siecle, afin de resister aux pressions venues du Rwanda et du
Buha ?5
La r6giondes nganzoest un t6moin de l'ancienBurundi. Elle a garde
la trace de l'importance de la mystique royale dans l'unite politique
de ce pays. On a vu l'extraordinaireo diffusion))de l'ame des rois, sous
la forme d'ombres des morts, d'une vertu vitale du mwami, des entit6s
monarchiques incarnees par les biru. Ceux-ci assurent, sous l'6gide
de Kiranga, le grand interm6diaire entre les hommes et Imana, la
bonne entente entre les esprits des morts et les esprits de vie pour le
plus grand bien du pays. Leur royaume funebre est le thMtre de fetes
joyeuses, il ne connalt pas le deuil, il voit triompher (kuganza) magiquement la puissance des rois. 11garantit mystiquement la permanence
du Burundi. Les auteurs de la p6riode coloniale ont surtout mis en
I. ZUURE, P. 26.
2. Barajenguye.
3. Sur Remera, cf. notamment RODEGEM, i965, P. 13I.
4. D'HERTEFELT et COUPEZ, P. 493.
5. Sur l'histoire de cette partie de l'Afrique orientale entre les XVe et
XVIIIe siecles, cf. OLIVER and MATHEW, Pp. I80-I9I; VANSINA, I962, PP. 84-88.
On pourra comparer nos conclusions sur le royaume mystique des biru avec les
analyses de G. K. GARBETT, (( Religious Aspects of Political Succession among
the Valley Korekore )), in E. STOKES and R. BROWN, eds., The Zambesian Past:
Studies in Central African History, Manchester, I965. On y retrouvera, chez les
Shona, les notions de provinces mystiques et de m6diums des ancetres royaux.
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TOMBEAUX DES BAMI DU BURUNDI
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valeur les cloisonnements sociaux de ce pays et ont insiste sur les tares
d'une monarchie de plus en plus d6g6n6r6e.Mais il faut se replacer
dans le Burundi d'avant l'Europe, d'avant le commerce et 1'ecriture,
dans un pays enracin6 dans la nature, dans les realites agraires et
pastorales et inspire par l'animisme. Le r6le exceptionnel des biru
nous revele a la fois la complexite de l'ancienne soci&t6politique du
Burundi et le mode rustique et magique selon lequel elle r6ussit alors
a acqu6rirune cohesion profonde.
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