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LE REMODELAGE DE L’ESPACE CULTUREL RWANDAIS PAR L’ÉGLISE ET
LA COLONISATION
Paul Rutayisire
Mémorial de la Shoah | « Revue d’Histoire de la Shoah »
2009/1 N° 190 | pages 83 à 103
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ISSN 2111-885X
ISBN 9782952440981
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LE REMODELAGE DE L’ESPACE CULTUREL
RWANDAIS PAR L’ÉGLISE ET LA COLONISATION
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Dans le débat actuel sur les responsabilités des confessions religieuses, surtout de l’Église catholique, dans le processus qui a
conduit au génocide et aux massacres de 1994, il est courant d’entendre dire, comme le fit l’ancien archevêque de Kabgayi,
Mgr Perraudin, que l’Église catholique a respecté les institutions
traditionnelles qu’elle a trouvées en place2. Or, comme nous le
verrons plus loin, les missionnaires étaient porteurs de nouveaux
modes de communiquer, de penser, de vivre, de se comporter, de
croire, etc., qu’ils ont propagés. Ces nouveaux modes devaient nécessairement avoir un impact sur l’univers traditionnel. Toujours dans
le but de disculper l’Église catholique, d’autres brossent un tableau
positif, qui insiste sur les progrès matériels et moraux réalisés grâce
à l’action de l’Église3. La réalité historique est plus complexe.
Dans les lignes qui suivent, le terme « culture » sera entendu dans
un sens large, comme un tout qui inclut les connaissances, les
croyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes, etc., bref toutes les
habitudes acquises par la personne humaine en tant que membre
d’une société. La culture est par conséquent constituée de l’expérience dynamique de la vie et de la survie que les membres du
groupe sont appelés à entretenir, à maintenir et à transmettre au
profit de chacun et de tous. Tout groupe humain, uni par une langue
commune et par d’autres formes d’expression, possédant une même
conscience historique ainsi qu’une gestion de la vie obéissant aux
1. Université nationale du Rwanda.
2. La Croix, 9 octobre 1995.
3. Urumuri rwa Kristu, n° 30, pp. 6-10.
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Chaque culture garde sa pertinence dans la mesure où elle satisfait aux attentes fondamentales des membres du groupe qui se
reconnaissent en elle. Cela suppose l’existence d’un dynamisme
continu en son sein. Finalement, la culture est le résultat dynamique
d’un échange permanent entre les membres d’une entité culturelle et
leur milieu. La culture rwandaise n’échappe pas à cette règle. Elle ne
se limite pas à l’ensemble des valeurs léguées par les ancêtres qui
doivent être transmises. Elle est liée à la vie et à la survie du peuple
rwandais qui se caractérisent aussi par une interaction permanente
entre ce dernier et son environnement. Dans cet environnement sont
comprises les valeurs léguées par les ancêtres, non pas sous la forme
d’un dépôt intangible, mais comme des conceptions et des approches
de la réalité valables en leur temps et pour leur milieu. Les observations suivantes couvrent une période qui va de l’installation des
premiers missionnaires catholiques au Rwanda, en février 1900,
jusqu’au recouvrement de l’indépendance (en 1962) et elles se focalisent sur le rôle de l’Église catholique, l’un des piliers du système
colonial, dans le remodelage de l’espace culturel rwandais.
Les mécanismes de la désarticulation de la société rwandaise
Les puissances coloniales ont présenté leur entreprise comme la
volonté de « développer et d’amener à leur niveau » les peuples
encore arriérés. Mais la colonisation s’est avérée être « une nouvelle
forme d’exploitation où le Noir va être utilisé, non plus dans les
plantations d’Amérique, mais dans celles de son propre pays4 ».
Contrairement aux extrémistes hutu qui, en l959, ont fait l’apologie
de la colonisation belge et de l’évangélisation en dénonçant uniquement le « colonialisme indigène », celui exercé par les Tutsi, le
Rwanda n’a pas échappé à la « situation coloniale » même s’il y est
entré tard.
4. Egelbert MVENG, in Bulletin de théologie africaine, 1984, p. 302.
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mêmes normes et valeurs, constitue une entité culturelle. Dans ce
sens, on peut affirmer que le Rwanda précolonial était une entité
culturelle. Car il remplissait toutes ces conditions.
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L’occupation de l’espace
Le programme missionnaire est avant tout une entreprise
humaine de conquête dont la complexité des déterminations allie
très souvent, en une cohérence savante, des prétextes évangéliques
à des intérêts d’appropriation des biens et d’expansion.
En ce qui concerne le Rwanda, c’est après son premier voyage
dans le pays qui l’a mené à la cour de Nyanza et dans le
Bwanamukali pour fonder la première mission catholique, Save, au
sud du pays, que Mgr Hirth a établi un véritable plan d’occupation
que ses missionnaires ont suivi presque à la lettre. Ce plan consistait
à occuper, dans les plus brefs délais, les zones les plus peuplées, stratégiquement importantes au point de vue politique et économique ou
pour la communication entre les missions, et des endroits susceptibles d’attirer l’attention des protestants. Plus précisément, ces
« points principaux » étaient alors le centre du Gisaka, le sud du
Kivu, le Bugoyi et la boucle de Nvabarongo5. Jusqu’en 1905, les
5. Lettre de Mgr Hirth au supérieur général, 20 février 1900.
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Le Rwanda est resté quasi fermé aux conquérants arabes et
européens jusqu’aux dernières années du XIXe siècle. Le comte von
Götzen l’a traversé pour la première fois en 1894. Les autres explorateurs l’avaient contourné sans y pénétrer. Entre-temps le pays
avait, sans le savoir, perdu son indépendance et de nombreux
territoires suite au dépècement du continent africain lors de la
conférence de Berlin (1884-85). Contrairement à Jésus de
Nazareth, qui s’est réfugié en Afrique (en Égypte) avec ses parents
pour échapper à la persécution ordonnée par Hérode (Mt 2, 13-23),
les premiers missionnaires, catholiques et protestants, sont arrivés
en Afrique avec un esprit de conquête et de domination, un esprit
repérable dans les stratégies de l’occupation de l’espace, le mépris
affiché à l’égard des dominés ou des évangélisés, l’usage de la
force et de la contrainte, la priorité accordée aux intérêts des
dominateurs (colonisateurs et missionnaires), etc. Explicitons ce
constat par quelques exemples.
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Il en est allé ainsi sous la coordination du père Classe, vicaire
général de Mgr Hirth (délégué pour les missions du Rwanda) depuis
1906. Les missionnaires se sont établis où ils voulaient, conformément
à leurs critères et à leurs priorités. Aucun site ne leur a été imposé
comme cela a été dit et écrit6. Les demandes de terrains (pour poste de
mission ou pour succursales) des missionnaires catholiques étaient
rarement refusées par les autorités civiles (coloniales et autochtones).
En 1928, l’administration coloniale belge provoqua un incident
– qu’elle regretta ensuite – avec Mgr Classe, en voulant imposer à
toutes les confessions des modalités d’acquisition et d’occupation des
terrains ainsi que des distances à respecter entre les concessions accordées, et ce dans le souci de limiter les abus et d’offrir à toutes les
confessions les mêmes chances d’évangélisation. Car les demandes de
terrains des protestants étaient systématiquement refusées.
L’administration fut obligée de revenir sur sa décision à cause de la
réaction virulente de Mgr Classe et de se conformer à ses contrepropositions, qui ne laissaient qu’une petite place aux protestants.
À la veille de l’indépendance, les missions catholiques dominaient
tout l’espace national au moyen de centres d’importance inégale, de
postes de missions, de succursales principales et secondaires, d’établissements scolaires, etc. Seules quelques zones furent laissées aux
protestants. Ces centres, auxquels il faut ajouter les centres administratifs, furent les principaux foyers de rayonnement de la nouvelle
civilisation, autrement dit des pôles de diffusion de nouvelles idées,
de nouvelles manières de vivre et de nouveaux comportements,
introduits par les colonisateurs et les missionnaires. L’agitation politique des années 1950 fut aussi principalement localisée dans ces
centres et dans leur environnement immédiat.
6. On le dit surtout, mais sans preuve, pour les cinq premières missions. C’est la thèse de
l’emplacement des missions à la périphérie, dans des régions supposées hostiles, par la cour
(lire par exemple Bernard LUGAN, « L’Église catholique au Rwanda, 1900-1976 », in Études
rwandaises, 1978, p. 10).
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missions fondées (Zaza, Nyundo, Rwaza, Mibirizi et Kabgayi) se
conformaient au programme de Mgr Hirth, légèrement modifié du
fait de la fondation imprévue de Rwaza.
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Les perceptions des missionnaires
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Entre les Pères Blancs du cardinal Lavigerie et les Allemands, la
méfiance régna, pour plusieurs raisons : la différence de confession, les Allemands étant d’abord vus par les Pères Blancs comme
des protestants ; la différence de nationalité, les premiers missionnaires étant majoritairement des Français ; les options politiques
des premiers missionnaires qui paraissaient aux responsables de
l’administration coloniale contraires aux options gouvernementales. Malgré ces différences, les Allemands et les Pères Blancs
maîtrisèrent, pendant les 16 ans qu’ils vécurent ensemble, leurs
conflits internes et posèrent, dans le respect de leurs intérêts
respectifs, les bases de la domination et de l’exploitation du
Rwanda. Avec les Belges, que les missionnaires catholiques considéraient comme des « alliés naturels » parce que ressortissants d’un
pays dit « catholique », la concertation devint complicité dans la
gestion. Des secteurs entiers de la vie nationale, tels que l’éducation et la santé, leur furent totalement ou partiellement confiés à
leur demande ou par suppléance à la faiblesse du système administratif colonial.
Quand les missionnaires n’intervenaient pas directement (dans le
domaine politique et économique, par exemple), ils étaient
consultés et leurs avis étaient écoutés. On peut signaler leur rôle
actif dans la refonte totale de la structure administrative traditionnelle, entreprise dès 1928, par la création de la chefferie et souschefferie en remplacement des trois batware traditionnels, celui du
bétail, de la terre et des armées. Cette réorganisation devait conduire
à la « tutsisation de l’administration » territoriale et être l’une des
causes des crises successives que le pays connut depuis 1959. Le
stéréotype hamite-tutsi sur lequel se basait cette réforme se transforma en préjugé qui, progressivement, entraîna des mesures de
discrimination à l’égard des Hutu.
Les modalités d’intervention des missionnaires dans cette
réforme ne peuvent être décrites avec précision que pour quelques
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Les missionnaires, à la fois religieux/chrétiens, patriotes et complices
de l’entreprise coloniale
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Dans cette restructuration administrative, Mgr Classe a choisi ses
alliés parmi les Tutsi qu’il considérait comme les plus actifs et les
plus capables d’entraîner les masses populaires vers le catholicisme.
Plus tard, à la veille de l’indépendance, Mgr Perraudin allait prendre
appui sur les mouvements extrémistes hutu, jugés comme le meilleur
soutien de l’Église. Il voulait sauver l’Église en la dissociant des
exactions causées par l’administration coloniale et ses alliés tutsi.
Certains ont voulu conférer un rôle conservateur à Mgr Classe et un
rôle progressiste à Mgr Perraudin. Pourtant le discours des deux
évêques est identique sur le plan des préjugés. Il est construit selon
le modèle antagoniste du hamite/bantou et vise la suprématie de
l’Église au Rwanda. La mission des deux évêques est la même :
permettre à l’Église catholique d’être prépondérante dans la politique
du Rwanda moderne (colonial et postcolonial).
Les missionnaires ont importé leur vision du monde et de l’histoire
Pour beaucoup d’Européens, le XIXe siècle fut une époque d’ouverture, de progrès et de triomphe de la raison. L’histoire n’était plus
un perpétuel recommencement, mais une marche en avant vers un
mieux-être et une plus grande compréhension de la réalité grâce à la
science. Dans certains domaines, la fantaisie se mêla à la science.
Ainsi l’anthropologie à laquelle se référaient les colonisateurs et les
missionnaires érigea-t-elle les différences raciales et culturelles en
inégalités fondamentales.
7. Par exemple dans le Diaire de Rwaza, juin 1931, p. 434.
8. L’exemple de Mulindahabi dans le Buganza (Diaire de Zaza, mars 1935).
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cas. Mais il est certain qu’ils étaient consultés par la Résidence et
les administrateurs avant toute création d’une chefferie ou d’une
sous-chefferie7. Il est certain aussi que les missionnaires étaient
consultés sur les candidats aux postes de chefs et de sous-chefs.
D’une manière générale, les amis et les protégés des missionnaires
ont été nommés ou promus. Enfin, il y avait des menaces réelles de
destitution qui pesaient sur les Batware « anti-missionnaires »8, non
baptisés ou convertis au protestantisme. Sur ce point, le procès fait
à la colonisation doit être celui de l’évangélisation.
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C’est à travers les lunettes de cette théorie de 1’inégalité congénitale entre les races que la société rwandaise fut étudiée par les
premiers ethnographes, dont la majorité était des missionnaires.
Dans leurs affirmations, les nouveaux venus firent en sorte que tous
les Rwandais soient des étrangers dans leur pays. Ainsi firent-ils
venir les Bahutu du Tchad, les Batutsi du nord-est de l’Afrique et les
Batwa9, en principe premiers habitants, durent désormais vivre dans
un pays organisé par deux groupes. Cette construction pseudoscientifique, malgré son inexactitude, reste la clef de lecture du passé
pour certains Rwandais et partenaires étrangers. Pourtant, elle est
contredite par la réalité dès sa formulation. Ainsi, d’après les écrits
des premiers missionnaires, l’accueil que leur a réservé la population,
partout où ils se sont installés, variait selon qu’il s’agissait des
Bahutu ou des Batutsi. Les premiers se seraient montrés, dès les
premiers contacts, « complètement dévoués », tandis que les seconds
auraient affiché une attitude franchement hostile10. Pourtant, les
signes de rejet des occupants (par exemple les pillages répétés des
caravanes des missionnaires, les rumeurs d’attaques et les attaques
proprement dites, comme celle opérée contre la mission de Rwaza en
1904) se sont manifestés dans presque toutes les missions, surtout
dans le Gisaka, le Bwanamukali’ et le Mulera11. La tension a pris fin
après l’arrivée d’une quarantaine d’auxiliaires armés (principalement
des Basukuma) chargés d’assurer la protection des missionnaires. Ces
faits démentent l’explication évoquée plus haut qui consiste à
réduire la résistance des Banyarwanda vis-à-vis des missionnaires à
une affaire ethnique. Ces incidents sont une preuve de l’hostilité
dont les missionnaires étaient l’objet, non seulement de la part des
dirigeants batutsi, mais aussi de toute la population. Cette résistance
a été cassée par la supériorité de la force dont l’usage fréquent ne
pouvait pas faire disparaître les causes du malaise.
Les nouveaux mythes créés (bantu et hamite) servaient aussi les
intérêts et les objectifs des colonisateurs et des missionnaires qui
avaient besoin d’un groupe dominant et historiquement légitimé
9. En kinyarwanda, le préfixe ba indique le pluriel, mu le singulier. (N.d.l.R.)
10. Père Barthélemy au supérieur général, 22 mai 1900.
11. Chronique trimestrielle, 1901, p. 87 ; Diaire de Save, septembre 1901, p. 81 ; juillet-août
1901, p. 8 ; Père Hurel, Histoire de la mission de Save, 1909, pp. 5-9 ; Diaire de Rwaza, févrieravril 1904 ; Père DUFAYS, Pages d’épopée africaine : jours troublés, Bruxelles, 1928, pp. 34-41.
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Le catholicisme devint alors religion d’État, et les Rwandais se
convertirent par suivisme et pour obéir à un ordre venu d’en haut
(du colonisateur, du missionnaire, de l’auxiliaire indigène ou du
parent) plus que par conviction. Le catholicisme devint ainsi une
religion massive ou sociologique, dans laquelle les manifestations
extérieures et les œuvres « entreprises pour Dieu » l’emportèrent sur
les engagements personnels. Ce catholicisme fut présenté pendant
longtemps comme le signe du progrès et l’idéal chrétien réalisé : le
Rwanda a été qualifié par la presse missionnaire de « nation chrétienne », de « royaume chrétien » et même de « république chrétienne ». Le génocide a apporté un démenti à toutes ces
constructions idéologiques qui cachaient mal leurs limites et leur
nuisance.
La théologie missionnaire n’a pas échappé à ce schéma raciste.
Cela transparaît dans la lecture biblique qui est à l’origine de la thèse
de la malédiction des Noirs. Pour certains missionnaires, le sort des
Africains était le résultat du péché de Cham, fils de Noé qui s’est
rendu coupable en contemplant la nudité de son père12. Depuis lors,
une malédiction pesait sur les descendants de Cham. Au concile de
Vatican I, un groupe d’évêques missionnaires demanda la levée de
cette malédiction. Pour ces évêques, l’infériorité des Noirs était
d’ordre ontologique. Tandis que pour d’autres, il s’agissait d’un
retard qui pouvait se rattraper par un effet d’humanisation produit
par des agents civilisés. On peut classer dans ce dernier groupe
Mgr Hirth et Mgr Classe. Car plus que d’autres missionnaires qui
travaillèrent au Rwanda et qui étaient davantage marqués par le
12. Genèse IX, 18-28.
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pour gouverner et convertir les Rwandais à la nouvelle religion.
Conformément à leur fondateur, les Pères Blancs avaient comme
stratégie de convertir d’abord les dirigeants pour gagner plus facilement le peuple : un principe bien connu dans l’histoire du christianisme européen. Le projet ne s’est pas réalisé tout de suite comme
souhaité parce que le groupe-cible ne percevait pas encore le
moindre intérêt dans les changements qu’on lui proposait. Ce fut le
cas à partir de 1917 et surtout durant les années des conversions
massives (1928-1934).
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racisme, ils voulurent dès le début associer les Rwandais convertis au
travail d’évangélisation ; ils luttèrent pour créer un clergé et des
congrégations religieuses autochtones, beaucoup parmi leurs
confrères missionnaires n’étaient pas acquis, au départ, à la nécessité de cette œuvre. Les contacts ne firent pas disparaître le racisme
des missionnaires à l’égard des Rwandais (même à l’égard de leurs
auxiliaires), qui était fortement ancré dans leurs esprits. L’inverse est
aussi vrai.
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Hegel disait que « le nègre représente l’homme naturel dans toute
sa barbarie et son absence de discipline13 ». Au Rwanda, le père Brard
(Telebura) disait qu’il ne fallait pas « chercher la grandeur morale
chez les Noirs ». Le Rwandais était pour lui, comme pour bon nombre
de ses confrères, un être « naïf », « d’une intelligence grossière », ce
qui est un signe d’un « péché particulier », « un être excessivement
attaché à sa tradition » (plus superstitieuse qu’historique) et un
« paresseux par nature »14. La religion du Rwandais était « naïve »,
marquée par le « matérialisme » et le « spiritisme » (précisons qu’il
voit partout des esprits malfaisants). Bref, « tout y est enfantin, naïf,
simple, c’est la crainte qui domine15 ». Le missionnaire ne pouvait
attendre rien de bon d’un être pareil. C’est pour cette raison qu’il
s’est employé à faire « table rase » de ses pratiques et ses croyances
et à créer une autre identité religieuse.
Ces clichés et préjugés ne sont pas propres aux missionnaires qui
ont travaillé au Rwanda. On les trouve chez tous les missionnaires.
Ce langage n’exprime pas le message religieux, mais plutôt un fait
social qui doit être mis en rapport avec les conditions objectives qui
le permettent et qui sont celles-là mêmes qui permettent la colonisation : l’expansion économique et culturelle européenne. Tout un a
priori culturel a investi la mission pour justifier le travail de conversion des Noirs et les enrôler dans la culture occidentale. Le discours
13. Cité par Maniragaba BARIBUTSA, Les Perspectives de la pensée philosophique bantu rwandaise après Alexis Kagame, Butare, 1988, p. 22.
14. Père BRARD, Notes, 1902, pp. 26-27 ; lire aussi Père CLASSE, « À travers l’Afrique équatoriale », in Les Missions catholiques, 1902, pp. 437-438.
15. Père BRARD, Notes, op. cit., p. 23.
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Les missionnaires partageaient les préjugés sur les Noirs
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missionnaire est un discours pour l’Occident et destiné à étayer la
politique coloniale. L’Église ne soutenait pas seulement la colonisation, comme on le dit couramment. Elle s’intégrait dans le
programme de colonisation établi par les métropoles au nom de la
civilisation. Les principes d’évangélisation n’ont jamais supprimé les
motivations nationales16.
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Le rapport du catholicisme missionnaire avec la culture rwandaise
en général, et la religion traditionnelle en particulier, fut particulièrement conflictuel. Le christianisme missionnaire s’est présenté
comme un absolu auquel il fallait adhérer et qui ne devait pas être
souillé par des compromissions avec les croyances locales. Cette
intolérance se manifestait aussi à l’égard des confessions concurrentes : les différentes dénominations protestantes et l’islam. Les
convertis devaient renoncer à leur identité culturelle et manifester
leur zèle dans la chasse aux signes du paganisme. Tous les moyens
étaient bons, même les plus injustes et humiliants, pour faire table
rase de la religion traditionnelle, d’où la campagne de la chasse aux
sorciers et aux guérisseurs traditionnels, la destruction des amulettes
et de tout qui était en rapport avec le culte des morts (kuragura,
guterekera et kubandwa).
La place de Dieu (imana), en particulier, fut source de conflit
entre les missionnaires et les Rwandais. Les missionnaires étaient
convaincus qu’il était impossible aux sauvages d’acquérir une idée
convenable de la « vraie divinité », puisqu’ils n’admettaient, disaientils, que des puissances mystérieuses. Le terme imana était pour eux
impropre à désigner le Dieu de la Bible à cause de ses multiples sens.
Effectivement, imana pouvait signifier la chance (kugira Imana), un
animal divinatoire (poussin, bélier, agneau), un arbre, une personne
à cause de ses qualités morales (ni Imana y’u Rwanda). Un missionnaire du Burundi tenait des propos applicables au Rwanda en
disant : « Ce que les Barundi vénèrent sous le nom d’imana ne
16. V. Y. MUDIMBE, L’Odeur du père, Paris, Présence Africaine, 1982, p. 117.
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Un exemple de la pratique de la « table rase »
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Les premiers missionnaires du Rwanda et du Burundi n’ont pas
compris les différents sens d’imana dans le contexte culturel. Ils s’en
sont méfiés et ont imposé un mot swahili, moins souillé pour eux,
celui de mungu (dans certains premiers textes mulungu). Mais les
Rwandais et les Burundais ont continué à utiliser imana pour
nommer l’ tre suprême. À cause de cette résistance populaire et de
certains travaux de chercheurs rwandais, les responsables de l’Église
catholique ont réhabilité imana et l’utilisent désormais dans les
textes religieux. Les missionnaires ont inculqué cette intolérance à
l’égard de la culture et de la religion traditionnelles aux premiers
lettrés et aux convertis rwandais à tel point que l’acculturation
pouvait se poursuivre sans eux.
L’aliénation culturelle est étroitement liée à la colonisation et à la
christianisation. Mgr Aloys Bigirumwami faisait, à la veille de sa
mort, ce bilan poignant : « Je regrette d’avoir, pendant des années,
propagé le christianisme en l’opposant à la religion traditionnelle.
J’ai longtemps combattu la religion traditionnelle, sans avoir
compris les raisons profondes de ce combat […]. Je regrette d’avoir,
avec les autres, suspendu le christianisme dans les branches du
paganisme comme on suspend une ruche dans les branches d’un
arbre. Il est clair que dans ces conditions, l’arbre et la ruche ne
peuvent communiquer18. » Peu d’ecclésiastiques ont fait comme lui ce
cheminement douloureux mais libérateur de retour à la culture traditionnelle. Les contacts viciés par le triomphalisme de la culture et de
la civilisation européenne témoignent « d’une fraternité malheureuse
et refusée entre le Blanc européen et le Noir africain19 ».
17. Diaire de Mugera, mars 1899. Il s’agit du père Van Der Burgt, qui a mené également une
campagne contre les « amasunzu » qu’il considérait comme « diaboliques », des « signes
immondes et superstitieux » (père Van Der Burgt, lettre au supérieur général, 11 avril 1908).
18. Mgr Aloys BIGIRUMWAMI, Umuntu, Nyundo, 1983, p. 29.
19. MUDIMBE, L’Odeur du père, op. cit., p. 106.
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correspond pas du tout à l’être suprême au sens orthodoxe de vrai
Dieu […]. Imana, c’est simplement la collectivité des esprits (mauvais)
ou des mânes. » De cette observation, il concluait qu’il y aurait
hérésie si imana était utilisé dans la prédication et l’instruction religieuse. Il était préférable de propager un autre terme pour « couper
court à toute équivoque17 ».
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Centré sur le remodelage de l’univers traditionnel et sur la chasse
aux fétiches et aux sorciers, le message missionnaire n’a pas été
élaboré pour s’adapter aux conditions de vie des dominés et des évangélisés. Dans son contenu, le christianisme missionnaire était calqué
sur le modèle chrétien de la métropole. Il a davantage hérité de ses
faiblesses que de ses qualités. Le christianisme des missionnaires était
le fruit de la contre-réforme, hanté par la peur de l’erreur. Son
manque d’ouverture philosophique et théologique l’a enfermé dans
un dogmatisme cérébral aux dépens d’une lecture sereine de la réalité.
Transféré dans les pays christianisés, il a été transmis de manière
rigide. Il fallait apprendre par cœur des notions philosophico-dogmatiques sans rapport avec les réalités locales, sans en comprendre le
sens. L’évangélisateur n’attendait que la restitution fidèle du contenu
enseigné20. Le problème de l’assimilation du contenu religieux
enseigné par les premiers convertis ou par les chrétiens actuels reste
encore entier. Les méthodes d’apprentissage de la nouvelle religion (la
catéchèse) n’ont pas été conçues pour susciter des réponses personnelles à partir des expériences vécues ni pour former des esprits
critiques. Elles ont été élaborées pour cultiver la soumission dans un
climat d’intolérance, de mépris et de violence. Le missionnaire a
abordé la terre de mission avec le projet de conduire les païens à la
connaissance de la « seule vérité ». La connaissance qu’il avait de la
foi s’inscrivait dans une tradition où s’est longuement élaboré le
langage qu’il a repris à son compte. Sa sensibilité a trouvé sa forme
et son épanouissement dans un climat familial et culturel. La transmission de la « vérité universelle » ne pouvait se faire qu’à travers
l’expérience particulière qu’il en avait. Par conséquent, la mission et
le missionnaire ne sont pensables que par référence au milieu originel
qui les a rendus possibles. Le problème est maintenant de savoir ce
que signifie exactement la foi qu’il croyait proclamer.
Le missionnaire n’avait pas toujours conscience de faire un transfert culturel. De bonne foi, il croyait livrer les normes de l’Écriture
sainte. Or sa parole paraphrasait les Évangiles à la lumière de l’his20. VAN DER MEERSCH, Le Catéchuménat au Rwanda de 1900 à nos jours, Kigali, 1993.
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Paradoxalement, c’est cette même fraternité qui est supposée être au
cœur du message missionnaire.
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Les résistances
Les changements intervenus et les résultats obtenus au Rwanda
par le christianisme missionnaire sont considérables. Alors qu’au
début du XXe siècle, tous les Rwandais appartenaient à la religion
traditionnelle, à la fin des années 1950, ses adeptes étaient estimés
à 40 % de la population, le reste de la population se répartissant
entre chrétiens et, pour une petite minorité, musulmans. Dans la
suite, le bloc « imaniste » n’a cessé de se réduire : 24 % de la population selon le recensement de 1978. Vu de l’extérieur, l’objectif de
« la table rase » semble avoir été atteint. Effectivement, les cultes
institutionnalisés et donc visibles (comme ceux de Lyangombe ou de
Nyabingi) ont beaucoup souffert de la répression coloniale et
missionnaire. Ils ont été réduits à la clandestinité : ils étaient célébrés dans le secret loin des regards des chrétiens zélés, des auxiliaires des missionnaires et des colonisateurs. Les cultes familiaux,
tels que guterekera (le culte des ancêtres) ou kuraguza (la consultation des devins), ont mieux résisté parce que, noyés dans le quotidien, ils étaient difficilement contrôlables. Leur résistance est
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toire de sa société. Le missionnaire était prisonnier à la fois d’un
ensemble complexe d’énoncés théologiques et dogmatiques, de son
origine ethnique, de sa culture et de sa formation. Il ne parlait pas
d’un Jésus-Christ originel, mais d’un Jésus-Christ « enculturé ». Les
missionnaires n’avaient en réalité aucune révélation à dévoiler qui
ne soit pas essentiellement de l’ordre des acquis de leur propre expérience humaine. Le contact violent du Rwanda avec l’Occident a
provoqué une rupture dans les modes d’être, de penser et de vivre
dont on mesure encore mal 1’importance et les conséquences. Mais
il est clair que le christianisme missionnaire, essentiellement extraverti, a créé une dépendance matérielle et spirituelle dont les héritiers des missionnaires ne parviennent pas encore à se libérer. Ce
faisant, il a plongé la société rwandaise dans une crise grave qui
dure toujours, dans la mesure où il l’a contrainte à un abandon
progressif de son système de références économiques, culturelles et
morales pour en adopter un nouveau.
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Bien que confiants en la supériorité de leur « sainte religion », les
missionnaires redoutaient l’emprise des croyances traditionnelles sur
la vie quotidienne des Rwandais. Ils étaient conscients de leur enracinement car leurs fidèles chrétiens continuaient à pratiquer le kuraguza et le guterekera, même à la veille du baptême. Ceci « pour
détourner de leur personne tout mauvais sort que pouvait leur jeter
la réception du baptême21 ». Dans les années 1934-37, en pleines
conversions massives, un missionnaire disait que « les pratiques
païennes (étaient) revenues22 ». Il s’agissait plutôt d’une extériorisation de ce qui se faisait en cachette. Car il était de notoriété publique
que ceux qui avaient été baptisés, étant avancés en âge, continuaient
à pratiquer leur religion traditionnelle en même temps que la
nouvelle. Mgr Classe se montrait compréhensif à leur égard parce
que, disait-il, on ne peut exiger d’eux l’abandon total « des remèdes
qui sauvaient autrefois » : l’important était qu’ils accordent la liberté
à leurs enfants23.
Le cas de Musinga
Contrairement à ceux qui menaient une double vie, chrétien le
jour et païen le soir, le mwami (roi) Yuhi Musinga est resté fidèle à
sa religion jusqu’à en être victime : ce comportement lui a coûté son
trône et le pire des châtiments, jusqu’à mourir en exil forcé. Les
rapports de Musinga avec les Européens (colonisateurs et missionnaires) ont connu plusieurs péripéties que nous ne pouvons rappeler
ici de façon exhaustive. Nous nous limiterons à la période belge24.
Avant 1925, le mwami était considéré comme anti-belge, et ceux qui
ont vécu près de lui le confirment, mais pas anti-missionnaire : c’est
Mgr Classe lui-même qui le dit dans sa lettre du 10 mars 1923. Son
hostilité aux Belges était due à la politique dirigée contre lui sous
21. Diaire de Mibilizi, septembre 1909, p. 59.
22. Père GASSER, lettre au supérieur général, 7 février 1937.
23. Mgr CLASSE, Un document, une épopée, p. 193.
24. Pour plus de détails sur le règne de Musinga, lire la thèse d’Alison DES FORGES, Defeat is
the only bad news. Rwanda under Musinga, 1896-1931, Yale University, 1972.
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attestée indirectement par les plaintes répétées des missionnaires et de
leurs auxiliaires contre la persistance de ces cultes, présentés, même
aujourd’hui, comme un des obstacles majeurs à l’évangélisation.
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Dans cette épreuve de force, le roi partait perdant, non seulement
à cause de la puissance des Européens, mais aussi et surtout parce
que la classe dirigeante était divisée entre ceux qui, pour des raisons
politiques et économiques, avaient opté pour le rapprochement avec
les Européens (abahababyi) et ceux qui restaient fidèles à la cour
(inshongore). Le refus du roi de collaborer avec les Européens dans
les limites qui lui étaient imposées valut à ce dernier des sanctions
de la part du gouvernement colonial, encouragé en cela par Mgr
Classe. Celui-ci, avant de demander ouvertement la destitution de
Musinga, n’avait cessé de parler de « radicalisme anti-catholique »,
surtout à partir de 1927. En tenant ces propos, le vicaire apostolique
cherchait davantage à nuire au mwami, en brossant de lui un
portrait répugnant dans le but de l’éloigner de la scène politique,
qu’à décrire une réalité beaucoup plus complexe. Certes, le mwami
restait toujours attaché à sa religion traditionnelle, mais, et c’est
l’avis de tous ceux qui ont vécu près de lui durant les dernières
années de son règne, il n’était plus un obstacle pour ceux qui
voulaient se faire baptiser. Cela est corroboré par le mouvement de
conversions massives qui commençait à se dessiner, et par le fait
qu’il y avait beaucoup de catholiques parmi le petit nombre de bagaragu qui lui était resté fidèles.
Dans les milieux gouvernementaux, l’éventualité de la destitution
de Musinga fut envisagée dès 1926 mais reportée. Elle devint plus
précise en 1929, dans une lettre du gouverneur Postiaux au ministre
des Colonies. Il y écrit : « Je puis conclure que le gouvernement ne
s’exposerait dans le Rwanda à aucun mécompte en reléguant Musinga
et en lui servant une pension qui ne devrait certes pas atteindre […] la
somme impressionnante que représente le 20e de l’impôt perçu dans le
Rwanda et le tribut que lui payent en nature des sujets sur lesquels il
n’exerce plus en réalité d’autre autorité que celle que nous nous éver-
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l’occupation militaire et aux limitations portées à ses pouvoirs traditionnels. Pour l’affaiblir et l’amener à plus de coopération, l’autorité
coloniale s’attaqua d’abord à son entourage, dont la première
victime fut le mwiru Gashamura, exilé au Burundi en mars 1925.
D’autres personnalités influentes à la cour furent frappées de
mesures semblables. Mais le roi resta ferme sur ses convictions.
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Dans sa correspondance, Mgr Classe tenait des propos identiques
à la même période27. Il s’engagea dans une campagne de dénigrement
contre Musinga en prenant bien soin de distinguer « l’autorité des
Batutsi » de « l’autorité de Musinga ». Son choix était clair : provoquer la disparition de la dernière et maintenir la première. C’est dans
ce contexte qu’il vanta plus qu’auparavant, et avec une exagération
qui fut lourde de conséquences, les qualités innées des Batutsi pour
le commandement et leurs capacités intellectuelles exceptionnelles,
supérieures à celles des Bahutu28. Un choix qui cachait mal un calcul
bien réel. Les Batutsi en question étaient de nouveaux dirigeants,
récemment promus au rang de chefs et de sous-chefs à cause de leur
ethnie (tutsi) et de leur adhésion aux ordres des colonisateurs et à la
nouvelle religion propagée par les missionnaires catholiques. Alors
pourquoi fallait-il destituer Musinga ? D’après le prélat, parce qu’il
était devenu anti-européen en réaction à la perte de ses pouvoirs
« absolus ». II était égoïste et arbitraire, disait-il, incapable de
gouverner le pays. C’était un semeur de divisions qui écoutait trop
sa mère et ses flatteurs29, un être « amoral » et « dégénéré », aux appétits sexuels débridés, et enfin un homme sans amour paternel qui
persécutait ceux de ses enfants qui fréquentaient les Européens et les
missionnaires30. Nombre de ces accusations sont difficiles à vérifier
25. Lettre du 28 mai 1929.
26. Ibidem.
27. Paul RUTAYISIRE, La Christianisation du Rwanda (1900-1945), Fribourg, Éditions universitaires, 1987, pp. 167-196.
28. In L’Essor colonial et maritime, 4 décembre et 21 décembre 1930.
29. Alexis KAGAME, Un abrégé de l’histoire du Rwanda de 1852 à 1972, Butare, Éditions
universitaires du Rwanda, 1975.
30. Il faisait allusion à son fils Rwigemera et ses filles, Bakayishonga et Musheshambugu
(Mgr Classe, lettre au gouverneur Voisin, 15 janvier 1931).
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tuons à lui conserver : les chefs de province les plus puissants s’étant
virtuellement affranchis et parfaitement adaptés au régime nouveau
où l’autorité européenne s’est substituée entièrement […] à celle beaucoup moins appréciée du Mwami25. » Les reproches du gouverneur sont
vagues. Le roi est identifié à « un être sans moralité ni conscience, qui
ne voit et ne veut voir que […] les avantages matériels qui constituent
l’apanage et les moyens de satisfaire une ambition dans laquelle n’interviennent ni le sentiment du devoir à remplir, ni la moindre préoccupation intéressant le sort de ses sujets26 ».
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Conformément au scénario indiqué par Mgr Classe, Musinga et sa
mère quittèrent Nyanza le 14 novembre 1931. Le soir de leur départ,
Rudahigwa fut désigné roi, en dehors du cadre traditionnel, au cours
d’une réception organisée par Mgr Classe qui ne réunissait que les
responsables de l’administration coloniale. Les cérémonies d’intronisation de Mutara III Rudahigwa eurent lieu le 16 novembre 1931. Le
remplacement de Musinga par son fils ne fut pas une simple révolution
de palais. Il provoqua un changement profond dans les institutions du
pays. Les missionnaires célébrèrent l’avènement du « Royaume
moderne et chrétien du Rwanda31 ». La monarchie restait toujours en
place, mais sa fonction avait complètement changé sous l’effet des
restructurations imposées et définies par la puissance coloniale et par
les missionnaires. En effet, au moment de sa destitution, Musinga ne
gouvernait plus. L’isolement de ce dernier s’était accentué sous l’action
combinée du gouvernement, des missionnaires et de ses adversaires
politiques rwandais. II avait été abandonné par une partie de ses
enfants, les biru et les notables (batware) retenus par des multiples
charges administratives : ces derniers ne venaient plus à la cour pour
guhakwa comme le prescrivait la coutume. La cour était presque déserte
et le faste d’antan avait complètement disparu. Les cérémonies rituelles
ne se pratiquaient que symboliquement et secrètement « en présence de
quelques obscurs fonctionnaires restés, à l’instar des reliques, auprès du
monarque naguère puissant32 ». La monarchie traditionnelle avait donc
perdu son sens non seulement auprès des Européens, mais aussi auprès
de la nouvelle génération des dirigeants indigènes.
La résistance culturelle des Rwandais
Beaucoup de Rwandais convertis ont servi loyalement leurs
initiateurs à la nouvelle religion parce que c’était la voie appropriée
31. Louis DE LACGER, Ruanda, Kabgayi, 1957, p. 533.
32. KAGAME, Un abrégé de l’histoire du Rwanda, op. cit., pp. 182-183.
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du fait de leur caractère intime. Mais elles furent diffusées par l’autorité coloniale (par exemple à la SDN) comme étant les causes véritables de la destitution de Musinga. La plupart de ces accusations
n’étaient pourtant que des rumeurs diffusées dans le cadre d’une
campagne de dénigrement systématique et sans morale.
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Mais les missionnaires et les colonisateurs furent aussi les pionniers du passage des langues et des cultures africaines de l’oralité
à l’écriture. Ils déployèrent des efforts remarquables dans l’étude de
la culture rwandaise. Mais l’ambiguïté de leur entreprise réside
dans le fait que ces efforts étaient aussi destinés à combattre ces
cultures. Reste qu’ils ont formé des Rwandais qui ont ensuite
dénoncé cette domination et qui l’ont combattue. II faut donc
aborder les crises provoquées par la colonisation et par la christianisation non dans un esprit de plaintes et de revendication, mais
en étant fasciné par la résistance dont firent preuve les populations
et les cultures africaines. Ces cultures furent perturbées, mais elles
n’ont pas disparu. C’est ainsi que la religion traditionnelle demeura
prégnante parmi les Rwandais33. Des enquêtes ont montré que
beaucoup de chrétiens, y compris des intellectuels, étaient revenus
aux rites traditionnels de kuraguza, de guterekera, de kubandwa et
à nyabingi. Les chrétiens vont à la messe et reçoivent les sacrements sans pour autant renoncer aux conseils des médiums traditionnels. Pour la première fois, des Rwandais ont même osé
critiquer publiquement le christianisme en le considérant comme
une religion d’origine européenne, introduite pour détruire la religion traditionnelle34. Le christianisme n’est plus accepté comme
une réalité allant de soi. La religion traditionnelle habite encore des
vies et des événements autrement que comme symboles vides.
C’est, pour beaucoup d’Africains et de Rwandais, un mode d’être
fondamental, un savoir et une histoire. Les gens n’abandonneront
pas facilement les croyances et les pratiques dites « païennes » aussi
33. André KARAMAGA, L’Évangile en Afrique. Ruptures et continuité, Morges, Cabedita, 1990,
pp. 170-171 ; L’Église du Rwanda vingt ans après le concile Vatican II, Kigali, Pallotti-Presse,
1986, pp. 40-47.
34. Par exemple Maniragaba BALIBUTSA, Les sacrifices humains antiques et le mythe christologique, Kigali, 1983.
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pour faire face aux problèmes provoqués par les changements, par
exemple les sentiments d’angoisse et d’insécurité largement
répandus parmi les colonisés. À un certain moment, ils eurent même
l’espoir de partager les secrets du Blanc et d’être leur égal. Mais
c’était une illusion : car en dépit du mythe de la fraternité, un fossé
séparait toujours le Rwandais et le missionnaire.
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longtemps qu’ils seront convaincus de leur efficacité objective et
persuadés que le christianisme n’est pas assez armé pour offrir les
mêmes assurances. Le christianisme missionnaire reste, malgré les
destructions qu’il a occasionnées, à la surface des réalités rwandaises, et pour autant la religion traditionnelle, obligée d’évoluer
dans l’informel, ne peut plus constituer une alternative à la modernité envahissante.
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La colonisation et la christianisation ont opéré des modifications radicales dans la société rwandaise. Le remodelage culturel
n’en est qu’un aspect. Mise en rapport avec le génocide des Tutsi
de 1994, cette restructuration, si profonde soit-elle, n’est pas la
cause immédiate de ce dernier. Car bien des pays colonisés et christianisés avec la même violence que le Rwanda, ayant connu un
même niveau d’acculturation, n’ont pas basculé dans la « Solution
finale ». Il y a donc des facteurs plus déterminants qui ont aggravé
les effets de la colonisation et de la christianisation, et qui ont
précipité la société rwandaise dans le chaos. Le génocide est le
résultat de tout un parcours historique de la société rwandaise.
Parmi les facteurs explicatifs, le remodelage dont il a été question
plus haut est un élément essentiel. Un lien étroit relie en effet la
transformation de la mémoire collective traditionnelle opérée par
le projet missionnaire et le génocide. Le discours missionnaire, par
ses stéréotypes, son idéologie et ses mythes, a fabriqué une
nouvelle mémoire/identité qui reste problématique. Les ruptures
furent si profondes que la synthèse culturelle demeure flottante : la
tragédie rwandaise de 1994 est une illustration de la désarticulation créée par la crise culturelle.
Dès le départ, le missionnaire a défini son ennemi : il s’agissait
essentiellement des pratiques sauvages des païens. Pour les
combattre, il utilisa plusieurs armes, notamment le pouvoir économique à travers la fondation d’œuvres de bienfaisance (écoles,
hôpitaux, menuiseries, etc.), le pouvoir politique, la contrainte et la
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Les restructurations culturelles et le génocide des Tutsi
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force ainsi que des moyens propres (catéchuménat, institutions
religieuses, prédication, etc.). Le groupe de convertis (abakristu)
s’est constitué en opposition aux païens (abapagani). Il y avait d’un
côté les sauvés et de 1’autre les damnés. Les nouveaux convertis se
définissaient aussi comme des étrangers aux valeurs culturelles de
leurs ancêtres qu’ils dénigraient systématiquement. Ils se réunissaient entre eux, se fréquentaient et se mariaient entre eux. Le
nouveau statut des convertis allait de pair avec le port des signes
symboliques nouveaux (chapelets, médailles, croix, noms chrétiens, etc.) et la conscience de former une nouvelle catégorie
sociale. En bref, les convertis se définissaient par l’exclusion des
autres, les païens. De nouvelles catégories identitaires furent introduites dans la mémoire collective : hamite/bantou, hutu/tutsi/twa,
le discours qui mettait l’accent sur la responsabilité individuelle
devant Dieu, la séparation du sacré et du profane sur la base d’une
vision dualiste de l’univers jusqu’alors étrangère au symbolisme de
la société du Rwanda précolonial, la création d’une nouvelle
généalogie avec, comme ancêtre éponyme, Jésus-Christ et la figure
du Père Blanc qui remplaçait celle du père biologique et de shebuja
dans le système traditionnel de clientèle d’ubuhake et d’ubukonde35.
Le discours sur le génocide trouve sa forme structurante dans la
philosophie manichéenne du prosélytisme chrétien. L’Église est
parmi les forces qui ont contribué à la création de l’idéologie et des
pratiques politiques qui ont marginalisé le Tutsi jusqu’à son élimination physique dans la « Solution finale » de 1994. Comment ? Par
tout ce travail sur les représentations de l’autre (en développant des
stéréotypes, des clichés et des préjugés) qui sont devenues des représentations sociales et qui ont inspiré des actions et des comportements. Dès lors que la structure de la société rwandaise avait été
transformée en structure bipolaire (manichéenne), que les Rwandais
étaient classés en ennemis ou en amis, le génocide devenait possible.
Le système des valeurs qui a rendu le génocide possible existait
depuis l’imposition de la nouvelle identité. Le Parmehutu, parti
soutenu par les missionnaires dès 1959, avait une vision bipolaire
35. Lire à ce sujet Josias SEMUJANGA, Récits fondateurs du drame rwandais. Discours social,
idéologies et stéréotypes, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 79.
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36. Ibidem, p. 148.
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fondée sur l’opposition irréductible entre les Hutu et les Tutsi : un
contenu nouveau élaboré suivant le schéma religieux d’exclusion.
L’originalité de son leader, Grégoire Kayibanda, et de ses amis du
clergé est d’avoir défini la politique rwandaise en termes de conflit
de races où l’une doit fatalement opprimer l’autre. Depuis 1959, « un
large seuil d’acceptabilité »36 de l’exclusion du Tutsi de la vie
communautaire avait été atteint.