Citation
Plusieurs pétitions demandant à Gérard Larcher l’annulation du colloque, un courrier dans le même sens de son homologue rwandais Augustin Iyamuremiye, des échanges téléphoniques avec un responsable de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), des articles de presse pointant l’opacité de la réunion et son vraisemblable agenda caché ont provoqué un profond malaise. L’Académie des Sciences d’Outre-Mer, qui avait accordé son patronage au colloque, l’a retiré. Le Secrétaire perpétuel de l’Académie, qui devait intervenir au début de la réunion, s’en est gardé. Et Vincent Hervouët, rédacteur-en-chef du service Etranger à TF1, et LCI, lui-même académicien, qui devait être le modérateur du colloque, s’est fait remplacer au pied levé par son collègue Marc de Miramon. Enfin le soutien affiché du Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Pais 2018, semble avoir fait « pschitt ».
Un colloque sous tension
Lundi matin au 15 rue de Vaugirard, devant le Sénat, la file d’attente du public s’allongeait, ralentie par des contrôles tatillons. Les organisateurs étaient à crans, notamment Alain-Francis Guyon, « l’interface » entre Hubert Védrine et l’association France-Turquoise. A l’intérieur, on avait mobilisé bon nombre d’officiers de sécurité pour éviter tout incident – surtout l’intrusion de perturbateurs. Le climat de psychose venait aussi de l’inquiétude du président du Sénat, qui avait exigé que l’encombrant colloque n’éclabousse pas la réputation de la haute assemblée. Une situation qui finalement profité à des journalistes dont la présence avait été refusée les semaines précédentes sous prétexte de manque de place, et qui ont finalement été acceptés. Les organisateurs ont choisi d’éviter « l’incident de trop ».
Alain-Françis Guyon agité
Les débats se sont donc ouverts avec retard dans l’hémicycle Médicis presque bondé. Les sénateurs Alain Richard et Gérard Longuet, anciens ministres de la Défense (aujourd’hui tous deux LREM) ont présenté le colloque. Treize minutes d’intervention au total, sans qu’ils parviennent à prononcer les mots « génocide des Tutsi du Rwanda ». L’occasion pour Gérard Longuet de préciser qu’il ne connaissait rien au sujet mais se devait d’être solidaire des militaires français envoyés au Rwanda sur décision politique. L’ancien ministre n’échappa pas à un lapsus en parlant de « la tragédie de Turquoise ». Les anciens hauts gradés français présents au colloque, le général Christian Quesnot, chef de l’Etat-major particulier de François Mitterrand, le général Jean-Claude Lafourcade, chef de « Turquoise », l’ancien colonel Jacques Hogard, l’ancien ministre de la coopération Michel Roussin, appréciaient.
A défaut d’un mandat allégué de Denis Mukwege, l’animateur de la journée a lancé le documentaire de l’allocution prononcée le jour de sa remise du Prix Nobel de la Paix. Ensuite, l’intervention de Johan Swinnen, ambassadeur honoraire de Belgique, portait sur « démocratie et droits de l’homme, utopie ou cheminements dans l’Afrique des Grands Lacs. » Johan Swinnen qui a été ambassadeur au Rwanda et en RDC, connait parfaitement son sujet. D’une prudence toute belge, il s’est gardé d’accabler la diplomatie française de l’époque tout en observant que l’ensemble de la communauté internationale devait faire un examen de conscience.
Le chercheur belge Olivier Lanotte s’est montré fidèle à l’intitulé de son intervention, « dépassionner le débat ». Quoique proche des chercheurs français André Guichaoua et Claudine Vidal, il a publié en 2007 un livre serein et documenté : « La France au Rwanda (1990-1994) entre abstention impossible et engagement ambivalent » (PIE-Peter Lang éditeur, épuisé). Olivier Lanotte a répondu par avance aux intervenants de l’après-midi qui osent habituellement défendre la thèse du « double génocide », provoquant un énervement visible dans le public – Alain-Françis Guyon se trémoussant sur son siège.
Passion militante
Davantage conforme aux attentes des organisateurs, l’ancien ambassadeur de France Pierre Jacquemot s’est étendu sur le « Rapport Mapping » devenu le drapeau des adversaires du régime rwandais actuel – surtout de ceux qui ne l’ont pas lu (nous y reviendrons ultérieurement). Quand à Isidore Ndaywel, professeur émérite de l’université de Kinshasa, il s’est efforcé de fournir une caution « historique » aux prises de position chauvines et xénophobes de Martin Fayulu. « Il existe un mythe du grand Rwanda », a-t-il dénoncé, avant d’expliquer que le Congrès de Berlin en 1885 avait accordé au « petit » royaume rwandais l’espace de l’ouest jusqu’au lac Kivu. Comme si le Congo avait constitué à cette époque un Etat-Nation…
Isidore Ndaywel a longuement glosé sur la façon dont la « science historique » permettait d’identifier et de catégoriser les Banyamulenge (un groupe tutsi installé au Congo depuis le XVIIe siècle) des autres Tutsi. Isidore Ndaywel publiera-t-il le texte de son intervention et s’exposera-t-il à l’analyse de ses confrères. On peut regretter que la passion militante brouille le travail de l’historien.
Hubert Védrine énervé
L’après-midi s’ouvrait sur l’intervention de Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, et surtout l’un des principaux responsables de la politique française au Rwanda (sauf l’année 1990). « Il était Secrétaire général de l’Elysée au moment de la tragédie rwandaise », tient à euphémiser Marc de Miramon, qui a lui aussi beaucoup de mal à employer le mot « génocide ».
Hubert Védrine s’efforce généralement de parler sur un ton compassé, mais il était lundi passablement énervé. « Je me félicite que ce colloque ait lieu, car à aucun moment auparavant il n’y a eu une consultation sérieuse et objective. Aussi je salue le courage et l’entêtement d’Alain Guyon et des autres organisateurs qui ont eu l’idée de ce colloque [Hubert Védrine n’y serait donc pour rien…] et l’intelligence de le remettre dans une perspective historique. C’est très important car il y a une grande ignorance là-dessus, sur ce qui s’est passé avant, sur l’héritage de la colonisation belge en RDC, sur 1972 […]. Deuxième point, tout le monde le sait, il y a eu des pressions considérables pour que ce colloque n’ait pas lieu […] Ce sont des pressions avec des méthodes staliniennes pour empêcher de parler. Comme vous Madame, par exemple (se tournant vers Judi Rever) et d’autres aussi. On vit dans une époque, le monde occidental…dans des milieux où on ne s’attendait pas à ça, C’est donc intolérable […] On ne s’attend pas à ça, la censure ! Le maccarthysme, l’étouffement des voix contraires. C’est insupportable. L’idée c’est une rencontre pour entendre des points de vue. Là, c’est l’occasion, au sujet des Grands Lacs, d’entendre des voix qui ne sont pas assez entendues en France, parce qu’on ne veut pas leur donner la parole, parce qu’ils n’ont pas accès au débat public, etc. Donc encore une fois c’était important qu’il y ait ce colloque pour que la parole soit entendue. D’autant que les arguments employés sont détestables. Les arguments qu’on a vus dans les articles, dans les pétitions, c’est « négationnisme » . C’est honteux ! C’est absolument honteux. Quand on sait ce qu’a été la Shoah, quand on sait ce que veut dire le négationnisme […] Personne à ma connaissance n’a dit qu’il y ait eu un génocide des Tutsi. Jamais. C’est honteux. Honteux . Les débats n’ont pas lieu sur l’existence du génocide. Ils ont lieu sur par exemple comment on peut qualifier les trois à quatre millions de morts du Congo après les guerres ethniques autour du Rwanda, après les guerres qui s’en sont suivi. Les rapports nombreux qui parlent de trois ou quatre millions de morts, soit de famine soit de maladie etc. Il y a un débat sur comment il faut qualifier ces morts-là […] On peut en débattre. Jamais ça ne peut remettre en cause le génocide proprement dit. C’et malhonnête. […] Un peu par force j’ai du me réintéresser au sujet […].Sur la question d’un double génocide, il faut débattre. L’histoire est une révision permanente et c’est tout à l’honneur du Sénat d’organiser cette rencontre. » …. »
Fayulu invité surprise
Hubert Védrine semble avoir été particulièrement agacé de la lettre du président du Sénat Rwandais Augustin Iyamuremiye qui pointait le caractère provocateur du colloque : « Parmi les invités, on retrouve plusieurs personnalités dont le discours et les écrits n’ont d’autre but que de faire l’apologie du négationnisme du génocide perpétré contre les Tutsi ».
En cause notamment Charles Onana, un polémiste qui fait actuellement l’objet d’une procédure pénale initiée par la Licra pour « contestation de crimes contre l’humanité » et la journaliste canadienne Judi Rever, dont les Editions Fayard ont renoncé à publier la traduction française de son livre provocateur In Praise of Blood.
Pour Hubert Védrine, la France a été, comme toujours, exemplaire et les Français doivent cesser « de faire preuve de masochisme ».
Ensuite, Jean-Marie-Vianney Ndagijimana a pourtant laborieusement répété ses thèses habituelles sur le « double génocide », le rôle admirable de la France au Rwanda et le « plan d’extermination des Hutu ». Il ajoute en évoquant le « rapport Gersony » (un document controversé) : « Entre juillet et septembre 1994, les troupes du FPR ont massacré 40 000 personnes. Pourquoi ne serait-ce pas un génocide ? »
Charles Onana, lui, s’est contenté d’égrener une série de leçons tirée de sa consultation sélective des archives bien connues de l’ONU. Et après avoir rendu hommage au polémiste Pierre Péan, qu’elle présente comme son maître à penser, Judi Rever a « oublié » de répéter sa thèse favorite que durant le génocide, ce sont des Tutsi qui ont exterminé des Tutsi pour « se victimiser ».
Le journaliste Marc de Miramon a alors annoncé un intervenant surprise, « le président élu de RDC, Martin Fayulu ». Absent du programme, celui-ci n’avait-il pas eu vent des consignes ? Fayulu s’est lancé dans une violente diatribe anti-tutsi : « Aujourd’hui, on tue à Beni. […] Aujourd’hui il y a trois cents officiers tutsi au sein des Forces armées congolaises (FARDC). Dans la Force Publique, l’armée congolaise d’avant l’indépendance, il n’y avait pas un seul Tutsi. Dans l’Armée nationale congolaise (ANC), après l’indépendance, pas un seul Tutsi. Dans les Forces armées zaïroises (FAZ, à l’époque de Mobutu), pas un seul Tutsi. Et aujourd’hui, plus de 300 officiers et plus de cent généraux tutsi ? Qu’est-ce qui se passe réellement ? Tout est dirigé par Kagame ! […] On est en train de préparer le chaos. »
Martin Fayulu a ajouté que la RDC est devenue le premier pays francophone au monde, avant la France, et que Paris devait l’appuyer de tous ses moyens diplomatiques (et autres ?).
Adolphe Muzito, l’homme qui met le feu
Le modérateur donnait ensuite la parole à l’opposant congolais Adolphe Muzito « pas prévu au programme » prétendit encore Marc de Miramon. Muzito ne répètera pas au Sénat, comme en décembre dernier, qu’il faut « faire la guerre au Rwanda » pour sécuriser l’Est du Congo, des propos qui n’ont jamais été condamnés par Martin Fayulu et que chacun en RDC conserve en mémoire. Cet ancien Premier ministre devenu un extrémiste notoire, s’en tient cette fois à des propos insignifiants.
Eradiquer les Tutsi dans l’armée congolaise ? Et ailleurs dans la société ? Une logomachie qui, pour les Français, évoque Vichy et les lois anti-juives.
Pourtant dans l’assistance personne ne relèvera les propos nauséabonds de Martin Fayulu et de ses acolytes.
Les pétitionnaires avaient-ils tort ? Le Sénat français aurait pu s’éviter ce colloque qui s’achevait par tel un déballage de haine anti-Tutsi…
Jean-François DUPAQUIER