Fiche du document numéro 2580

Num
2580
Date
Jeudi 16 juin 1994
Amj
Auteur
Taille
174076
Titre
Intervenir au Rwanda
Sous titre
«~Point de vue~»
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
L'effroyable tragédie qui frappe le Rwanda est l'un des conflits les
plus meurtriers de cette fin de siècle. L'horreur des massacres, la
détresse de ceux qui en réchappent bouleversent les plus blasés. Il
serait trop simple d'expliquer l'enchaînement du drame en déplorant je
ne sais quelle « fatalité africaine » de la violence.
Rappelons tout d'abord ce qu'était le Rwanda avant que le Président
Habyarimana ne soit assassiné. Après des années de tensions ethniques
et de lutte pour le pouvoir politique, un espoir est né : le
Président, les Hutus modérés et le FPR avaient accepté de se parler et
d'envisager un pouvoir partagé, renonçant ainsi à la tentation de
l'affrontement militaire. Les accords d'Arusha du 4 août 1993,
auxquels la diplomatie française avait apporté sa contribution en
persuadant le chef de l'Etat rwandais d'ouvrir le système politique et
en organisant les premiers contacts entre les autorités et le FPR, en
sont la preuve. Ceux, dans un camp ou dans l'autre, qui ne voulaient
pas de ces accords, précisément parce qu'ils laissaient une chance à
la paix et écartaient une solution militaire, ont tout fait pour
retarder leur mise en oeuvre. Tout, jusqu'à l'irréparable :
l'assassinat du Président qui avait accepté d'écouter la voix de la
modération.

Aujourd'hui, le Rwanda affronte un conflit à la fois ethnique et
politique. Il faut parler de génocide, car il y a bien volonté
délibérée des milices actives, dans les zones gouvernementales,
d'abattre les Tutsis, hommes, femmes, enfants, blessés, religieux, en
raison de leur seule origine ethnique. Mais dans le même temps se
livre une lutte sans merci pour le pouvoir, où les modérés ont été les
premières victimes des extrémistes hutus et où la branche militaire du
FPR a choisi la victoire totale et sans concession.

Rien de cela n'est tolérable. Et tout le monde dans ce chaos porte sa
part de responsabilité. La France, dit-on volontiers ; mais pas la
France seule. La politique que nos gouvernements ont menée depuis
plusieurs années au Rwanda n'a certes pas été infaillible. Les
centaines de milliers de victimes que l'on déplore aujourd'hui en
démontrent tragiquement les limites. Mais on ne peut tolérer qu'un
soupçon quelconque puisse peser sur l'esprit dans lequel la diplomatie
française a travaillé au Rwanda.

La France n'a jamais soutenu une ethnie rwandaise contre une
autre. Elle ne cesse de marteler une évidence : il ne peut y avoir de
solution politique qui consisterait à ce qu'un seul parti confisque le
pouvoir aux dépens de tous les autres. Ceci était vrai du parti du
Président Habyarimana et vaut tout autant pour le FPR : il n'y aura
pas de règlement durable en dehors d'un pouvoir partagé. Cette
position de principe contrarie ceux qui, dans chacun des camps rêvent
de gouverner seuls, sans dialogue. Si nous avions réussi à convaincre
le Président Habyarimana d'accepter le compromis, les extrémistes de
son clan ne l'entendaient pas ainsi et ont agi pour empêcher le
Président d'appliquer sérieusement les accords d'Arusha.

Mais la communauté internationale avait-elle pris suffisamment
d'assurances pour que ces accords soient mis en oeuvre ? Je ne le
crois pas. Il y a un an, la diplomatie française avait mené une
campagne de sensibilisation intense pour appeler à l'envoi d'une force
des Nations unies, force prévue dans ce qui allait devenir les accords
d'Arusha. Disons-le : l'indifférence internationale à l'égard du
Rwanda était alors totale. Il fallut des mois pour que les Nations
unies s'installent à la frontière ougandaise, puis pour constituer la
première mission des Nations unies au Rwanda (MINUAR) et qu'elle parte
à Kigali. Qu'en est-il aujourd'hui ? Les Etats concernés (membres du
Conseil de sécurité, pays de la région) ont-ils vraiment tiré les
conséquences du drame que vit le Rwanda ? J'aimerais le croire. La
MINUAR renforcée n'est pas encore sur le terrain. N'accusons pas les
Nations unies : il faut des contingents et, si les pays africains ont
courageusement répondu à l'appel, il faut les équiper. Le gouvernement
français a dégagé 20 MF pour cela ; j'espère que d'autres prendront le
relais et agiront vite. Rien ne doit ralentir le déploiement des
Casques bleus, qui seul permettra de sauver des vies.

Il ne suffit pas d'appeler la présence des Nations unies de ses voeux
pour se donner bonne conscience. Il faut agir. Sur plan humanitaire,
cela va de soi. La France a été le premier pays à mobiliser une aide
conséquente, qui dépasse aujourd'hui 30 MF, et à la faire parvenir à
ses destinataires : ponts aériens, soutien à la Croix-Rouge, au HCR,
aux ONG, envoi d'infrastructures aux camps de réfugiés, mise en place
d'une antenne du Samu mondial, aucun moyen, aucun canal n'est négligé
pour venir en aide aux populations civiles.

Mais l'action humanitaire d'Etat sans projet politique trouve vite ses
limites. Notre vision de la solution à la crise rwandaise, nous
l'avons développée au Conseil de sécurité, avec succès. Nous l'avons
également fait connaître aux pays proches du Rwanda, en dépêchant
auprès de leurs autorités notre ambassadeur au Rwanda, Jean-Michel
Marlaud, que j'avais personnellement mandaté pour cette mission
indispensable. Au sommet de l'OUA à Tunis, la France a vivement
encouragé la rencontre des chefs d'Etat africains les plus concernés,
qui a enfin pu avoir lieu.

Si la France s'est déclaré favorable à une réunion rapide des chefs
d'Etat des pays voisins du Rwanda, c'est que les interactions entre
les pays de la région et la perméabilité des frontières sont une
réalité qu'on ne peut ignorer et qui peut jouer un rôle pacificateur
ou au contraire contribuer à un embrasement général. A l'heure
actuelle, la Tanzanie, le Burundi subissent des flots de réfugiés et,
pour ce dernier pays, les risques de déstabilisation sont grands. Il
serait particulièrement injuste que le sens des responsabilités,
démontré depuis le début de la crise par les dirigeants burundais,
soit battu en brèche par la contagion des extrémistes. S'agissant de
l'Ouganda et du Zaïre, il est indispensable que leurs dirigeants
fassent preuve d'un même esprit constructif et prennent toutes les
mesures pour empêcher que le conflit soit alimenté depuis leur
territoire. Un embargo obligatoire sur les armes a été voté par le
Conseil de sécurité avec notre plein soutien. Il doit être respecté
par tous.

Quel sera l'avenir du Rwanda ? Cessez-le-feu, fin des massacres sont
un préalable à toute chose. Il faudra aussi créer les conditions d'un
retour des réfugiés. A tout cela, les Nations unies peuvent grandement
contribuer. S'imposera alors la nécessité d'une reprise du dialogue
politique, quelle que soit la situation militaire sur le terrain. Je
souhaite que la volonté de paix l'emporte, et avec elle le souci de
réconciliation nationale entre les Rwandais de bonne volonté. Ceci
exclut naturellement ceux qui ont commis, encouragé ou couvert des
massacres. Avant tout, il faut les identifier afin de les exclure de
toute négociation sur l'avenir d'un pays qu'ils ont contribué à
détruire. La France n'aura aucune complaisance à l'égard des assassins
ou de leurs commanditaires. La France, seul pays occidental représenté
au niveau ministériel à la session extraordinaire de la Commission des
droits de l'homme à Genève, exige que les responsables de ces
génocides soient jugés.

Nous soutenons au contraire les modérés qui, malgré les persécutions
dont ils ont fait l'objet, ont survécu - et, c'est la fierté de la
France, souvent avec notre aide - et sont prêts à jouer leur rôle dès
lors que les conditions en seront à nouveau réunies. Ils n'y
parviendront pas seuls. Le devoir de la communauté internationale est
de les protéger, de les soutenir, de faire en sorte que leur voix soit
entendue et celle de tous les extrémistes étouffée.

C'est un véritable devoir d'intervention que nous avons au Rwanda. Il
n'est plus temps de déplorer les massacres les bras croisés mais de
prendre des initiatives. L'urgente nécessité de l'intervention
internationale doit nous conduire à faire preuve d'imagination et de
courage. Si la MINUAR tarde à arriver au Rwanda, pourquoi ne pas
utiliser une partie des 18 000 Casques bleus encore présents en
Somalie et qui pourraient rapidement rejoindre Kigali ? J'ai proposé
ce schéma au Secrétaire général des Nations unies, qui y est favorable
dans son principe. Nous oeuvrons par l'entremise de notre représentant
permanent à New York.

Si tout cela ne suffisait pas, la France est prête avec ses principaux
partenaires européens et africains, à préparer une intervention sur le
terrain afin de mettre fin aux massacres et de protéger les
populations menacées d'extermination.

Aucune solution ne doit être écartée pour que cesse la tragédie
rwandaise. La France entend prendre toute sa part à cet effort.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024