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La nouvelle fait l’effet d’une petite bombe. Opposition, voix de la société civile, ONG internationales peinent à digérer le changement de cap de la France qui a repris, en catimini, sa coopération avec le Burundi dans les domaines de l’éducation et de la défense.
Cette reprise date de la fin octobre 2018 avec la visite très discrète à Paris du chef de la diplomatie burundaise Ezéchiel Nibigira. Mais c’est l’ambassadeur de France au Burundi, Laurent Delahousse, qui l’a révélé en détail dans son discours de célébration du 14-Juillet dans sa résidence de Bujumbura, où sont évoqués « une reprise progressive de la coopération dans le domaine de la défense » et le « versement d’une première tranche de financement de 25 millions de dollars du Partenariat mondial pour l’éducation ».
« En reprenant une coopération militaire, la France risque de donner plus de moyens au gouvernement burundais pour accentuer sa répression », critique dans un communiqué, publié jeudi 25 juillet, le Réseau européen pour l’Afrique centrale (EurAc), qui réunit des organisations de la société civile de différents pays européens œuvrant dans la région des Grands-Lacs.
EurAc parle même d’une « décision qui affaiblit la position de l’Union européenne et remet en question l’engagement français pour les droits humains », quand la France, elle, se veut rassurante. Sur la chaîne TV5 Monde, le 24 juillet, le Quai d’Orsay a assuré que « la position française n’entre pas en contradiction avec les décisions européennes prises en vertu de l’article 96 de l’accord de Cotonou [sous lequel le Burundi a été sanctionné] », et ajoute que « le gouvernement [burundais] ne touchera pas un seul centime ».
« Position ambiguë de Paris »
Depuis le 14 mars 2016, le Burundi est sous sanctions de l’Union européenne (UE), qui a suspendu tout appui budgétaire. La mesure a été prise près d’une année après le début de la crise politico-sécuritaire, conséquence de la décision du président burundais, Pierre Nkurunziza, de briguer un troisième mandat en dépit des accords de paix d’Arusha signés en 2000. L’ONU évoquait en 2018 plus d’un millier de personnes tuées dans le pays et sa commission chargée d’enquêter reproche au régime « d’être indifférent au sort des victimes, en choisissant de protéger les principaux responsables des violations des droits humains à savoir les Imbonerakure – la ligue des jeunes du parti au pouvoir que toujours les Nations unies qualifient de milice –, les agents de police, du Service national de renseignement et des responsables locaux ». Le Burundi est aussi sous enquête de la Cour pénale internationale (CPI). La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) évoque, pour sa part, dans un rapport très documenté, des « dynamiques génocidaires » dans la répression en cours au Burundi.
Dans ce contexte, la décision de la France est très commentée dans les milieux en exil. « La France a souvent mené une politique pleine de contradictions dans notre sous-région et tient une position ambiguë sur la crise burundaise. Il y a vingt-cinq ans, elle a gardé, jusqu’au bout, sa coopération militaire avec le régime génocidaire au Rwanda. Au Burundi, elle annonce la reprise de la coopération militaire avec un régime qui est en train de commettre des crimes contre l’humanité », rappelle Pacifique Nininahazwe, l’un des leaders de la société civile en exil, qui dit ne pas être « très surpris » par cette décision. A ses yeux ce retournement pourrait se fonder sur la promesse de Pierre Nkurunziza de ne pas briguer un quatrième mandat en 2020, même si l’opposant regrette que Paris « n’ait pas attendu la concrétisation de cette promesse alors qu’il n’y a aucune garantie d’un scrutin libre et démocratique et que la France n’a noté aucune évolution sur le terrain des droits humains et sur l’exigence du dialogue interburundais ». Et d’ajouter, déçu : « La France est consciente qu’elle va appuyer militairement un régime qui tue son peuple et elle est pressée à légitimer un processus électoral antidémocratique. La seule question est : qu’est-ce qui fait courir à Paris le risque de partager la responsabilité des crimes impliquant l’armée burundaise ? »
« Diable sur la langue »
Hormis un tweet virulent de Willy Nyamitwe, le conseiller à la présidence chargé des questions de la presse, qui qualifie de « médisants qui ont le diable sur la langue » les voix qui dénoncent cette reprise de coopération, le gouvernement burundais, lui, préfère garder le silence.
A l’heure de ces remous, le Burundi est d’ailleurs sur un deuxième front avec un autre départ de feu. Le maire de la ville canadienne de Mont-Saint-Hilaire (Québec), Yves Corriveau, a présenté publiquement ses excuses à ses concitoyens pour avoir « serré la main de Pierre Nkurunziza » lors d’un voyage à Bujumbura le 11 juillet.
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Sa ville a fait marche arrière après signature d’un jumelage avec les autorités burundaises. L’édile québécois a joué la carte de l’ignorance, affirmant dans la presse canadienne « ne posséder aucune connaissance en relations internationales ». Ce qui n’est pas tout à fait le cas pour la France.
Armel-Gilbert Bukeyeneza (à Nairobi)