Citation
L'attentat contre l'avion du président Habyarimana fournit, le 6 avril 1994, le détonateur de la tuerie, il n'en fut pas le motif. Commandant de la force internationale de maintien de la paix des Nations unies au Rwanda (Minuar), le général canadien Roméo Dallaire avait par avance tiré la sonnette d'alarme : le 11 janvier 1994, il envoyait un fax à ses chefs directs -- le général Maurice Baril et Kofi Annan, alors secrétaire général adjoint -- pour les informer d'un plan, appris d'un informateur local, prévoyant l'assassinat de casques bleus belges et de politiciens rwandais d'opposition en prélude à l'extermination de la population tutsie. Réponse : pas question d'intervenir et de dépasser les limites du mandat de la Minuar.
Dans son ouvrage (1), Roméo Dallaire indique avoir appris que « la France avait écrit au gouvernement canadien pour demander mon retrait du commandement de la Minuar. Il était évident que quelqu'un n'avait pas apprécié que je mentionne clairement la présence des soldats français au sein de la garde présidentielle, une instance qui entretenait des liens étroits avec les milices de l'interahamwe ».
Cette dénonciation de la complaisance de Paris envers un régime qui, depuis octobre 1990, avait multiplié les massacres « ethnistes » à travers le pays, vaut toujours à son auteur l'animosité de l'armée française et de la cellule africaine de l'Élysée. Leur fureur embarrassée est encore avivée par la publication de nombreux témoignages (de rescapés comme de génocidaires) ainsi que d'articles et de livres d'investigation plaçant « la France au coeur du génocide des Tutsis » (2). Dans la dernière période, deux responsables de l'opération Turquoise
au Rwanda (juin-août 1994) ont notamment donné de la voix.
Le général Lafourcade (3) se réfère au rapport de la mission parlementaire dirigée par l'ex-ministre Quilès, pour proclamer que si la France avait certes commis des « erreurs », elle ne pouvait être soupçonnée de la moindre responsabilité. Á cela près, soulignons-le, que ledit « rapport Quilès » est contredit par de nombreux documents contenus dans les tomes d'annexes censés l'étayer. Contradiction qui se retrouve dans les propos tenus antérieurement par le chef de « Turquoise » lui-même. Lafourcade réfuté par Lafourcade en quelque sorte. Un exemple cruel est fourni par ses confidences successives concernant la Radiotélévision libre des mille collines (RTLM) dont la propagande avait accompagné et organisé des tueries indissociablement politiques (les Hutus de l'opposition démocratique) et racistes (les familles tutsies).
La RTLM a continué d'émettre à partir de la « zone humanitaire sûre » (ZHS) constituée par « Turquoise ». Le général parle d'une erreur d'analyse dont il se juge seul responsable : « J'ai compris trop tard les effets dévastateurs de la Radio mille collines (...) Je n'ai pas assez mesuré la violence de l'impact que ce média pouvait générer. »
Peut-être, mais, interrogé en février 2006, le patron de « Turquoise », parlant de la RTLM, confiait avoir « envisagé de monter une opération spéciale, car on arrivait à la localiser. Mais cela m'a été refusé par l'état-major des armées. Je le regrette car on sait faire ce genre de chose ». Á la question faut-il voir là une décision politique, le même enfonçait le clou : « Un coup comme ça, le chef d'état-major va demander au premier ministre ou au président : Est-ce qu'on y va ?
» (4). Traduction : le refus d'interdire les émissions de la RTLM est venu soit de l'Élysée, soit de Matignon, le soldat, lui, n'a fait qu'appliquer la consigne. Ce qui est effectivement le plus crédible.
Notre journal ayant relevé cette contradiction, Lafourcade exigeait un droit de réponse pour assurer cette fois que RTLM émettait depuis Gitarama, à l'extérieur de la ZHS, et que lui-même ne pouvait donc rien faire. Trois versions d'un même fait, cela fait beaucoup pour un seul homme.
Commandant du 1er RPIMA, le colonel Tauzin (5) assure que « l'opération Turquoise
fait honneur à la France et à son armée ». Ne peuvent en douter que des esprits influençables, victimes de la « guerre psychologique » conduite par des stipendiés de l'étranger ou des professionnels de l'anti-France comme le PCF. Selon cet ancien de la DGSE, rien n'autorise à s'interroger sur l'impartialité des autorités françaises. Sa carrière personnelle n'en est-elle pas la preuve ? Il fut conseiller militaire d'Habyarimana, de 1990 à 1993, chef du Dami (détachement militaire à l'instruction), Panda envoyé encadrer les FAR (forces armées rwandaises, l'armée du régime clanique et mafieux en place à Kigali). Enfin, en juillet 1994, il confiait devant une caméra qu'en cas d'affrontement, sa consigne sera : « Pas de quartier ! » Une citation omise dans le livre qu'il a commis en ce début 2011.
Quelques dates repères
Assassinats ciblés et massacres ne cessèrent de se multiplier après 1990, ce que d'aucuns ont appelé des « répétitions générales du génocide ».
-- Octobre 90. Arrestation de quelque 8 000 Tutsis à Kigali, finalement libérés sous la pression internationale. Un premier massacre est perpétré à Kibilira.
-- Janvier 91. Massacre des Bagogwes, une communauté tutsie marginalisée du Nord-Ouest, par des émeutiers
encadrés par la garde présidentielle.
-- Mars 92. Massacres dans le Bugesera (Sud).
-- Août 92. Massacres dans la région de Kibuye (Ouest).
-- Décembre 92. Massacres de Tutsis et d'opposants hutus dans la région de Gisenyi, le fief nordiste du président.
-- Mai 93. Assassinat d'Emmanuel Gapyisi, leader du MDR, principal parti hutu d'opposition au MRND présidentiel.
-- Février 94. Assassinat de Félicien Gatabazi, leader hutu du parti d'opposition PSD.
Notes
(1) J'ai serré la main du diable, Roméo Dallaire, Libre Expression, Québec, 2003.
(2) Selon le titre du monumental dossier réalisé par Jacques Morel et publié l'an passé aux Éditions L'Esprit frappeur.
(3) Opération Turquoise. Rwanda 1994, Jean-Claude Lafourcade, Guillaume Riffaud, Perrin, 2010.
(4) Dialogue rapporté page 336 du livre de Gabriel Périès et David Servenay, Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994), La Découverte, 2007.
(5) Je demande justice pour la France et ses soldats, général Didier Tauzin, Jacob-Duvernet, 2011.
Jean Chatain