Fiche du document numéro 24909

Num
24909
Date
Vendredi 5 septembre 1997
Amj
Taille
24098
Titre
Tingi Tingi-Nairobi-Bruxelles : aller simple, les Interahamwe en cavale débarquent en Belgique
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Par dizaines, des Rwandais liés à l’ancien régime affluent en Belgique. Où ils ont des relations…

Le démantèlement des camps de réfugiés rwandais au Zaïre où, parmi la masse des civils, se cachaient de nombreux auteurs du génocide, la défaite militaire des ex-FAR qui, jusqu’au bout, ont combattu devant l’armée de Mobutu, et finalement l’exode à travers l’immense Congo ne sont pas sans conséquences en Belgique : c’est par dizaines que des Rwandais arrivent désormais dans notre pays, via Nairobi, Pointe-Noire ou la République centrafricaine.

En Afrique en effet, leur sécurité n’est plus garantie : des arrestations massives ont été opérées parmi les milieux rwandais du Kenya; au Congo-Brazzaville, la guerre fait rage et d’aucuns craignent une intervention des troupes de Kabila, tandis que la situation est également instable en République centrafricaine.

En Belgique par contre, l’establishment de l’ancien régime rwandais dispose encore d’amis sûrs, de filières éprouvées, dans les milieux judiciaires, religieux, militaires, pour ne pas parler des milieux politiques mis sur la sellette par les travaux de la commission Rwanda.

C’est ainsi que l’on relève que deux groupes représentatifs du pouvoir d’autrefois prennent aujourd’hui le chemin de la Belgique : des militaires de haut grade et des commerçants importants. Les religieux, quant à eux, sont directement acheminés sur le Vatican.

La petite communauté rwandaise de Belgique, parmi laquelle se trouvent de nombreux rescapés du génocide, ne cache pas son inquiétude au vu des personnalités qui débarquent dans notre pays et qui sont souvent précédées de leur épouse. Femmes et enfants viennent en éclaireurs, puis sont rejoints par le chef de famille au titre du regroupement familial. C’est ainsi que deux épouses de colonels ont été identifiées : la femme de Laurent Rutayisire, chef des services de renseignement de la gendarmerie et qui fut mêlé à l’enquête sur l’assassinat du leader politique Félicien Gatabazi (enquête qui n’aboutit pas), ainsi que Mme Winifreda Rwamanywa, dont le mari était chargé de la logistique des ex-FAR au Rwanda puis dans les camps du Zaïre. Son nom figure d’ailleurs sur la liste des membres du haut commandement de l’armée rwandaise qui, depuis le Kivu, avaient proclamé leur soutien au Rassemblement pour le retour des réfugiés, qui réunissait des membres de l’ancien régime présents dans les camps. L’épouse du colonel Murasampongo, lui aussi signataire de la lettre au RDR, a également été reconnue en Belgique. Le colonel Musonera, qui a fait toute la campagne du Zaïre, d’octobre 96 à mai 97, est lui venu directement en Belgique, après avoir quitté Tingi Tingi grâce à la protection du général zaïrois Eluki. Il est vrai que lors du déclenchement du génocide en avril 1994, il se trouvait en Belgique, d’où il regagna ensuite la « zone turquoise », où il contribua à organiser l’exode des réfugiés vers le Zaïre. Il peut arriver aussi qu’une épouse soit trop compromise pour venir en Belgique la première : c’est le cas d’Iphigénie Mukandera, qui était chef de barrière à Butare et qui a été précédée en Belgique par son époux, Anastase Nkuranga, trésorier de l’Université nationale du Rwanda.

Une personnalité politique importante est également arrivée récemment en Belgique : l’ancien préfet de Ruhengeri, Charles Nsabagerageza, cousin du président Habyarimana, qui prit la succession du sinistre Monsieur Z, Protais Zigiranyirazo, beau-frère du président, préfet de Ruhengeri jusqu’en 1991. Le nom de Charles Nsabagerageza figure à la page 38 du rapport publié en 1993 par quatre organisations de défense des droits de l’homme, et qui dénoncent sa responsabilité dans le massacre des Tutsis Bagogwe.

Vigilance officielle



Officiellement cependant, la Belgique affirme se montrer extrêmement stricte, tant pour les Rwandais que pour les membres du clan mobutiste : les directives officielles indiquent que l’obtention d’un visa requiert pas moins de trois approbations différentes. Il apparaît cependant que des titres de voyage sont achetés en Belgique et envoyés en Afrique, que des passeurs (kényans, ougandais, zaïrois) fixent des tarifs pouvant aller de 15.000 à 50.000 FB. Il arrive aussi que les passeports des fugitifs aient été obtenus dans les pays voisins, légalement ou frauduleusement : Ouganda, République centrafricaine, Cameroun.

Les passeports kényans sont particulièrement appréciés, l’Allemagne ne réclamant pas de visa aux ressortissants du Kenya.

De source belge, on assure que les contrôles aux frontières sont stricts, mais que les aéroports des pays voisins sont fréquemment utilisés : Roissy, Amsterdam et surtout Francfort. Le Portugal se montrerait lui aussi assez « coulant ».

Les milieux rwandais de Belgique s’inquiètent de cet afflux de personnalités suspectes : des rescapés, des témoins craignent pour leur sécurité physique, d’autres s’interrogent sur les filières d’accueil, sur les réseaux de solidarité qui demeurent actifs et… dangereux.

C’est ainsi qu’un journaliste rwandais résidant en Belgique, Venuste Nshimiymana, qui a suivi assidûment les travaux de la commission Rwanda et poursuivi des enquêtes personnelles sur des sujets aussi sensibles que l’attentat contre l’avion d’Habyarimana ou la mort des Casques bleus, vient de subir un curieux cambriolage : des voleurs se sont introduits chez lui à l’heure où il conduisait ses enfants à l’école, et ont opéré vraisemblablement de 10 à 18 heures. Sans s’intéresser aux biens personnels du journaliste, ils n’ont dérobé que les documents et les disquettes relatifs à ces dossiers chauds.

Les policiers communaux, appelés sur les lieux, ont conclu qu’il s’agissait d’un travail de professionnel : pas de traces, une visite ciblée, par des gens qui savaient ce qu’ils cherchaient et qui étaient visiblement bien tuyautés…

COLETTE BRAECKMAN

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024