Lorsqu’en 2005 Pierre Péan a souhaité me voir en tant que commandant de l'opération Turquoise, alors qu'il mettait la dernière main à un ouvrage sur le génocide rwandais, ma première réaction n'a pas été l'enthousiasme.
Pierre Péan n’était-il pas celui qui avait mis à nu dans
Affaires africaines (1993) les relations, pour le moins compliquées, entre le Gabon et la France ? n'était-il pas celui qui, dans la biographie non autorisée de Jacques Foccart avait parlé du rôle de l'armée française dans la répression de la révolte des Bamilékés du Cameroun ? Pierre Péan pouvait alors ne pas apparaître, dans le milieu militaire, comme la garantie de meilleur observateur du rôle de l'armée française au Rwanda.
Un homme infiniment riche et complexe
Mais nous nous trompions. Dès ma première rencontre, j’ai pu constater que la réalité de cet homme était infiniment plus riche et plus complexe.
Pierre Péan, grand connaisseur de l'Afrique, avait sur ce continent de nombreuses relations donc beaucoup d'informateurs et d'informations et lorsqu'il a lancé son enquête qui devait aboutir fin 2005 à
Noires fureurs, blancs menteursn, il était loin de partir de rien : il savait alors que l'histoire du génocide rwandais diffusée par les médias, les ONG et la plupart des universitaires ne correspondait pas à la vérité. Quelques mois avant la parution de son livre, Pierre Péan avait déclaré à un de ses proches : «
Tu n'imagines pas les mensonges que j'ai découverts sur le Rwanda ; je vais tout dire, mais je vais en prendre plein la tête. » Sa prédiction s'est malheureusement réalisée.
En effet, la sortie de l’ouvrage fin 2005 a provoqué une violente polémique, qui, près de 15 ans après, est loin d'être éteinte. Mais rien de ce qu'avait alors révélé Pierre Péan n'a été à ce jour démenti. Toutes les manœuvres, même les plus grossières ont été utilisées pour le discréditer et rien ne lui sera épargné pendant 15 ans par les relais français du régime de Kigali. Il sera vilipendé, sali, insulté. En 2006, SOS racisme et Ibuka l'assigneront en justice pour “incitation à la haine raciale”. Il sera alors blanchi par la justice et pourtant, malgré ces jugements favorables, les accusations perdurent. Ayant bien connu Pierre Péan, et sa haine du racisme que j’ai maintes fois constatée, je ne cesserai de dénoncer ces accusations qui sont ignobles.
Les insultes perdurent post mortem
La parution en 2010 de
Carnages – Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, une enquête sur le rôle des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et d’Israël et sur les crimes contre l'humanité et de génocide commis dans la région des Grands Lacs, ainsi que
Le Monde selon K ne feront que décupler la hargne et la vindicte de ses adversaires.
Je constate encore aujourd’hui que les insultes perdurent
post mortem, indécentes et indignes, avec les tweets récents du diplomate rwandais Olivier Nduhungirehe, du ministère des Affaires Etrangères du Rwanda, de la journaliste de
Libération Maria Malagardis ou de Guillaume Ancel.
L'armée française et les cadres de Turquoise ont découvert durant ces quinze dernières années, chez Pierre Péan, un professionnel de l'information d'une haute éthique professionnelle. Comme l'a souligné, le Président de la République qui lui a rendu hommage : «
Il menait de longues enquêtes avec patience et passion, avec le souci constant de l’expertise et de la justesse », et d'une grande probité avec « sa quête inlassable de vérité (…) L’œuvre de journalisme qu’il a bâtie en plus de 50 années de carrière a révélé des trésors d’informations. Elle constitue aujourd’hui un héritage plein de leçons pour les temps présents. »
Un homme simple au meilleur sens du terme
Mes quinze années de relations avec Pierre Péan m’ont fait découvrir un homme pudique, incroyablement modeste, sans a priori, riche de ses nombreuses relations entretenues en France comme à l'étranger, grâce sans nul doute à la confiance qu'il inspirait par son professionnalisme et son humanité.
Sous un air réservé, il était un homme simple au meilleur sens du terme, droit et sensible, qui a très mal vécu, même s'il se livrait peu sur ce sujet, la violence avec laquelle il a été traité à partir du moment où il a totalement bousculé la “vérité” falsifiée sur les événements du Rwanda, les “bons” contre les “méchants”, encore étonnamment vendue tant par la grande majorité des journalistes que par une bonne partie du milieu de la recherche et certaines ONG.
Pierre Péan était un grand patriote qui avait les larmes aux yeux en entendant la Marseillaise. «
Le drapeau tricolore est en moi, je n’y peux rien, mais cet élan renouvelé depuis mes premiers pas à l’AFP me dépasse », nous disait-il alors. C’est pourquoi il est parfaitement logique qu’il ait courageusement combattu les mises en causes injustes et les calomnies proférées à l’encontre de l’armée française lors de l’opération Turquoise.
Je suis heureux et honoré d’avoir connu Pierre Péan. Et, avec moi, les soldats français lui sont particulièrement reconnaissants de son engagement pour le rétablissement de la vérité sur leur action au Rwanda. Pierre Péan était un vrai Français, un démocrate, un républicain viscéral et un humaniste, qui a fait honneur à notre pays.
Merci et adieu, Pierre, l’histoire te rendra raison.