Fiche du document numéro 24579

Num
24579
Date
Samedi 1er juin 2019
Amj
Taille
260388
Titre
Si, la France a une part de responsabilité dans le génocide au Rwanda
Sous titre
Si la France n’a pas participé au génocide du Rwanda, elle a bien une part de responsabilité dans ce dernier. J’étais sur place à l’été 1994. Réponse à Roland Hureaux.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Soldat français participant a la protection de réfugiés tutsis dans le cadre de l'operation Turquoise au Rwanda, 30 juin 1994. ©NICOLAS JOSE/SIPA / 00249540-000005

Je ne connais pas Roland Hureaux, dont je lis régulièrement et avec intérêt les articles qu’il publie sur le site de Causeur, mais je le crois honnête homme. C’est par ailleurs un homme d’expérience. Je suis persuadé, à ce titre, qu’il pense sincèrement tout ce qu’il a écrit, dans une de ses récentes tribunes, publiée ici, relative à l’accusation portée par Raphaël Glucksmann sur « la mittérrandie » dans son ensemble quant au rôle – et à une part de responsabilité – de la France, dans le génocide rwandais de 1994. Le problème est que la tribune de Roland Hureaux comporte un certain nombre de contre-vérités, qu’il m’importe de corriger, avec, encore une fois, le respect que je dois à un homme qui, manifestement, n’a voulu que défendre ses convictions.

Il se trouve que je connais bien le sujet du génocide rwandais, pour avoir été dans ce pays en mission humanitaire à l’été 1994, avec l’équipe d’une ONG française… Nous étions arrivés à la fin du génocide, et nous avons croisé d’ailleurs à Gikongoro, au Sud-Ouest du pays, où nous étions basés, les soldats de l’opération Turquoise, cantonnés à côté de nous… Habité depuis ce temps par la monstrueuse tragédie rwandaise, j’ai publié deux romans, dont le dernier, sur ce sujet, notamment la culpabilité qu’ont pu ressentir certains soldats et officiers de l’opération Turquoise, dans la fameuse « affaire de Bisesero » en particulier, culpabilité de n’avoir parfois pas pu – faute d’autorisation de leur hiérarchie – accomplir leur devoir en sauvant des civils Tutsis des massacres en cours, alors qu’ils en avaient les moyens.

Je souhaite dire aussi que Raphaël Glucksmann, quoi qu’on pense de lui ou de sa position, et j’y reviendrai, peut légitimement, également, s’exprimer sur ce sujet sensible, pour avoir co-réalisé un remarquable documentaire « Tuez-les tous ! » sur la question.

Nous devons au presque-million de personnes assassinées en une centaine de jours dans les conditions les plus atroces notre honnêteté, et la reconnaissance de simples vérités. Prenons les choses dans l’ordre, quant à la tribune de Roland Hureaux :

– Raphaël Glucksmann n’accuse pas la France d’avoir participé directement au génocide rwandais, mais d’avoir « armé, soutenu financièrement, soutenu politiquement des génocidaires », ce qui n’est pas exactement la même chose. Et il se trouve qu’en effet, le gouvernement de François Mitterrand a soutenu jusqu’au bout les autorités génocidaires au Rwanda, a livré des armes par avion à Kigali, jusqu’à ce que la ville tombe aux mains du FPR de Kagame. C’est un fait.

– La France a non seulement « entretenu une coopération militaire » avec le Rwanda de Juvénal Habyarimana, le président rwandais dont l’attentat contre son avion, le 6 avril 1994, donna le signal du génocide, mais elle a dirigé, et parfois commandé, en première ligne, l’armée rwandaise – qu’elle formait par ailleurs – dans ses combats contre le FPR. Il s’agit, notamment de l’opération Noroît, de 1990 à 1993. Le FPR, en effet formé en exil en Ouganda, le fut parce que les massacres des années 1960 jusqu’aux années 80 au Rwanda contre la minorité tutsie ont forcé une partie de cette population à fuir son pays pour survivre… Paul Kagame, son chef et aujourd’hui chef de l’Etat rwandais, avait donc des raisons, outre en effet le désir de conquérir le pouvoir, de s’en prendre par des attaques et des incursions au pouvoir et à l’armée hutue alors au pouvoir au Rwanda, compte-tenu du fait que ceux-ci massacraient régulièrement les Tutsis… Cela ne fait pas de Paul Kagame un démocrate, nous sommes d’accord, et il y aurait beaucoup à dire sur cet homme, mais enfin, lui faire porter la responsabilité du monstrueux drame rwandais est une contre-vérité trop facile. On peut dire, d’une certaine manière, que la guerre contre le FPR menée par l’armée rwandaise encadrée et dirigée par les officiers français fut, en partie, une guerre de la France au Rwanda. Surtout, la défaite de cette armée rwandaise devant le FPR suite au génocide fut vécue, par une partie de la hiérarchie militaire française de l’époque qui avait connu le Rwanda bien avant l’opération Turquoise, comme une défaite, et même la première défaite de l’armée française en Afrique depuis la décolonisation… Je ne dis pas que c’est l’absolue vérité des choses, je dis que ça a été « vécu » ainsi par une partie de cette hiérarchie… Ce qui explique la réaction, ou la position, d’une partie (attention : une partie seulement…) de la hiérarchie de l’opération Turquoise devant les massacres commis par leurs anciens « frères d’armes » de l’armée ou de la gendarmerie hutues, envers les Tutsis, soupçonnés, en vertu du principe de la guerre révolutionnaire, d’être le « bocal d’eau » dans lequel survivait la rébellion du FPR… Pour avoir le poisson, il faut vider le bocal…

– Roland Hureaux écrit que le FPR était soutenu par les anglo-saxons. Il a raison. C’est vrai. Comme il est exact, ainsi qu’il le rappelle, que se jouait dans ce conflit l’avenir de l’influence française-francophone dans cette partie de l’Afrique, face aux ambitions anglo-saxonnes. Mais cela justifie-t-il tout ? Tout n’est-il qu’un jeu d’échec où les centaines de milliers de vies humaines ne comptent pas ? Cela justifiait-il de soutenir jusqu’au bout des autorités et un appareil coupable de mettre en œuvre sous nos yeux un génocide ?

– Roland Hureaux écrit dans sa tribune que le FPR de Kagame est arrivé aux portes de la capitale rwandaise Kigali, et que « c’est alors que fut abattu, le 6 avril 1994 aux abords de Kigali, l’avion qui transportait le président Habyarimana et son collègue du Burundi ». Les évènements ne sont pas dans le bon ordre… L’avion du président rwandais a été abattu le 6 avril 1994… ce qui donna le signal, notamment par la monstrueuse « Radio-Télévision des Milles Collines–RTLM » financée par les extrémistes Hutus, du génocide des Tutsis. C’est le fait que leurs « frères » Tutsis soient en train d’être exterminés qui a déclenché l’entrée massive du FPR au Rwanda, bousculant l’armée rwandaise formée par les officiers français, et arrivant en effet jusqu’à Kigali… Il y avait bien un contingent d’environ 600 hommes du FPR à Kigali au moment où le génocide débuta, mais ceux-ci s’y trouvaient en vertu des accords d’Arusha, et n’ont rien pu faire pour arrêter les massacres, car trop peu nombreux et à peine en mesure de se protéger eux-mêmes…

– L’attentat contre l’avion du président rwandais Habyarimana, justement… Roland Hureaux écrit « qu’il fait aujourd’hui peu de doutes que cet attentat avait été organisé par le régime de Kagame ». Eh bien non. Les plus récentes enquêtes, notamment celle menée par le juge français Trévidic, pointent la responsabilité du tir du missile ayant abattu l’avion vers le camp « Kanombe » de la garde présidentielle… hutue… et donc plutôt vers les extrémistes Hutus qui refusaient la mise en œuvre des accords de paix d’Arusha signés par le président rwandais Habyarimana. En revanche, Roland Hureaux a raison de souligner que la France a poussé pour que ces accords de paix avancent et soient conclus puis mis en œuvre. C’est vrai. Tout comme il est vrai, comme le rappelle Roland Hureaux, que les troupes rwandaises, en 1996, dans l’est de ce qui était alors encore le Zaïre du maréchal Mobutu, ont commis une forme de « contre-génocide » en massacrant plus de 200 000 Hutus, dont une bonne partie génocidaires, qui s’y étaient réfugiés, par crainte, justement, de représailles du FPR… C’est vrai.

Pour le dire autrement, et c’est là où Raphaël Glucksmann aurait dû faire preuve de nuance, il n’y a jamais eu de volonté de la France, ni même du gouvernement français de Mitterrand, qu’il y ait un génocide, et encore moins d’y participer. Les soldats français, il faut le dire, n’ont pas participé à ce génocide, et se sont souvent comporté admirablement sur le terrain. D’ailleurs, je veux affirmer ici mon plus grand respect pour cette institution, et les soldats français en général, qui, avec une abnégation et un courage souvent extraordinaire, se battent pour nous protéger, accomplissant parfois le sacrifice de leur vie… Au Rwanda, l’armée française a obéi aux ordres du politique, et beaucoup de soldats et sous-officiers ont obéi également à une partie de leur hiérarchie qui ne pouvait, ou ne voulait pas, sortir du logiciel de la guerre avec le FPR, dans une opération Turquoise aux objectifs ambigus…

S’il y a eu un cynisme et un calcul de certains membres du gouvernement français de l’époque dans le soutien à un régime génocidaire, on ne peut l’étendre sans nuance à tous ses membres, ni à toute « la mittérrandie »… Les choses furent plus compliquées que cela. Quant à la responsabilité du génocide rwandais, elle incombe d’abord et essentiellement aux penseurs, théoriciens, organisateurs rwandais de celui, de « l’Akazu » (« Maisonnée » en kinyarwanda), c’est–à dire l’entourage extrémiste du président, en passant par les Interahamwe (« Ceux qui vont / font ensemble » en kinyarwanda), c’est-à dire l’organisation qui a mis en œuvre le génocide, et la terrible Radio-Télévision des Milles Collines-RTLM, qui a appelé par les ondes à commettre celui-ci…

Si la responsabilité du génocide rwandais n’est pas une responsabilité française mais bien rwandaise, il y a une part – et j’insiste bien, une part seulement – de cette responsabilité dont une partie du gouvernement de la France à l’époque a à répondre… C’est douloureux, mais il faut avoir le courage de le reconnaître.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024