Fiche du document numéro 2443

Num
2443
Date
Jeudi 8 avril 2004
Amj
Auteur
Taille
163891
Sur titre
Rwanda
Titre
Témoignage d'un rescapé : Leur guide était un tueur
Sous titre
Un rescapé de Bisesero dénonce le comportement des forces françaises lors de leur venue sur place dans le cadre de l'opération Turquoise.
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Bisesero, au lieu-dit Nyamako, où se trouve le mémorial érigé en
hommage aux Tutsi qui résistèrent ici aux troupes venues les exterminer.
Non loin de là, un hangar, véritable hypogée martyrium provisoire. Il
contient des centaines de crânes et des ossements divers, dans l'attente
de leur inhumation dans neuf bâtiments récemment construits, qui
parsèment le flanc de ce sommet, le plus élevé du site, proche du lac
Kivu, frontière avec la République démocratique du Congo voisine. Durant
les années suivantes, des commandos d'interahamwés et de FAR (les forces
armées rwandaises de l'ancien régime génocidaire), réfugiés dans ce
pays, débarquaient périodiquement de nuit pour assassiner le maximum de
survivants susceptibles de témoigner contre eux et leurs dirigeants.

Damascène Ntaganire m'accueille en compagnie de quelques autres
rescapés, tous anciens résistants. Ils seraient ici environ 300,
relogés dans des maisonnettes hâtivement construites à leur intention. À
l'écart des hameaux situés au pied de la colline, où, précise mon
interlocuteur, des participants aux massacres d'avril-juillet 1994
continuent d'habiter en toute impunité. « Lorsque nous nous croisons sur
une piste, nous ne nous adressons jamais la parole ; souvent ils font
demi-tour pour nous éviter
 ». L'ami qui a bien voulu me servir
d'interprète, Damascène ne parlant que le kinyarwanda, me glisse à
l'oreille : « Sans doute certains rêvent-ils du moment où ils pourront
reprendre le travail de 1994
 ».

« Les meurtres ont commencé dans la nuit du 8 avril, raconte
Damascène. Après des réunions organisées par des notables locaux dans
des maisons dont tous les Tutsi étaient tenus écartés. Après chacune de
ces réunions, les participants saccageaient et pillaient nos habitations
et abattaient nos vaches. Les massacres ont commencé aussitôt, par les
vieux et les enfants en bas âge.
 » De petits groupes de miliciens,
dirigés par ces notables, ratissent la colline de jour, « jamais la nuit ». Vers le 10 avril, « nous avons décidé de former la résistance. À
l'initiative d'Aminadabu Birara, un rescapé de 1963
(l'un des massacres
ethnistes périodiques qui ont rythmé l'histoire des deux républiques
successives jusqu'au génocide d'avril-juillet 1994 - NDLR). Il a pris le
commandement jusqu'à ce qu'il soit tué, pas longtemps avant la fin des
combats. Nous jetions des pierres sur les attaquants. Lorsque ceux-ci
s'emparaient de l'un d'entre nous, ils se vengeaient en le faisant
mourir lentement : le premier jour, ils lui coupaient les tendons des
pieds pour l'immobiliser ; le second jour, les mains ; le troisième
seulement, ils l'achevaient en lui tranchant la tête.
 »

Un certain nombre de miliciens trouvent la mort au cours de ces combats
inégaux, « et nous avons pris dix-sept kalachnikovs, mais il n'y avait
pas d'anciens militaires parmi nous et nous ne savions pas nous en
servir
 ». Durant toute cette période, des réfugiés tutsi continuaient
d'arriver, « Bisesero était déjà connu pour son aptitude à la résistance.
En face, il y avait les interahamwés, la police, la gendarmerie,
l'armée, tout ce qui avait une arme à feu arrivait ici. Vers la
mi-avril, un garde présidentiel (GP) vient reconnaître les lieux. Il a
été abattu par la résistance. D'autres GP prennent la suite.
»

13 mai, les génocidaires reçoivent des renforts de Gisenyi et de Cyangugu



« Les
collines sont encerclées et il y a eu des massacres atroces. Sans doute
la moitié d'entre nous trouvent la mort, peut-être 30 000. L'autre
moitié continue la résistance. Jusque vers la fin juin, lorsque les
Français arrivent à leur tour
 ». Vers le 26 juin, croit se souvenir
Damascène. « Ils étaient dans un véhicule et s'arrêtent chez Kabanda, un
commerçant. Quand nous commençons de discuter avec eux, ils nient les
morts et nous avons dû leur montrer trois cadavres, dont un entièrement
découpé, pour qu'ils changent leur langage.
 » Ils retournent ensuite à
Kibuye et ne reviennent que plusieurs jours après, « entre-temps, on a
continué de nous massacrer. De jour et de nuit, cette fois
 », poursuit
le rescapé, se déclarant convaincu que « les Français étaient de
connivence avec les milices qui fouillaient la brousse avec des chiens
et nous tuaient. Quand ils sont revenus, ils avaient un guide qui était
l'un des tueurs. Ils sont restés environ une semaine, nous ont distribué
quelques habits et donné à manger pour deux jours tout juste. C'est
seulement vers la mi-juillet que leurs camions nous ont emmenés sur un
site où le FPR était là.
 »

J. C.

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