Sous titre
De 1959 à 1993, les pogroms anti-Tutsi constituent une
sanglante tradition politique, héritée de la période coloniale.
Citation
Une thèse périodiquement répétée dans les médias français prétend
faire du génocide une sorte de réaction de fureur spontanée à
l'attentat contre l'avion présidentiel, le 6 avril 1994. Cette
explication ne tient pas devant les faits : la mort de Juvénal
Habyarimana a certes fourni le coup d'envoi aux tueries, mais
celles-ci avaient été programmées, ce qu'attestent les listes remises
aux militaires et aux miliciens pour désigner les familles tutsi et
celles des Hutu de l'opposition, et également les massacres « ethnistes » ayant ponctué la période allant de la fin 1990 (début de
la guerre civile) à la fin 1993. Dans le nord du pays, à Kibuye
(ouest), ou, au sud, dans la région du Bugesera, où était concentrée
une large partie de la population tutsi. De véritables « répétitions
générales » du génocide, qui, de plus, permettaient au régime de
tester l'absence de réactions des capitales occidentales et des
Nations unies. Sans parler des appels au meurtre ouvertement diffusés
sur les ondes par la radiotélévision des Mille Collines, RTLM, que
certains Rwandais avaient aussitôt surnommé « radiotélé la mort ». La
mise en oeuvre de la « solution finale » préparée depuis l'« akazu »
(la « maisonnée », le clan présidentiel) était prévue, avec ou sans
l'attentat.
Ajoutons que les pogroms anti-Tutsi constituent une tradition
politique sanglante remontant à la domination coloniale belge, très
exactement à 1959, année dite de la « révolution sociale » orchestrée
avec la bénédiction et la participation active de la hiérarchie
catholique et des militaires de la métropole. Ils continuèrent après
l'indépendance. Un seul exemple : de décembre 1963 à janvier 1964,
plus de 10 000 Tutsi furent massacrés sur ordre des autorités mises en
place par la « République hutu », à l'époque celle de Grégoire
Kayibanda, dans des conditions d'atrocité qui préfigurent le
déchaînement de sadisme de 1994, cette fois déjà, dans l'indifférence
la plus totale de la communauté internationale. L'une des rares
réactions alors exprimées fut celle du philosophe britannique Bertrand
Russell. Il dénonçait le « massacre humain le plus horrible qui ait eu
lieu depuis l'extermination des juifs par les nazis ».