Fiche du document numéro 2439

Num
2439
Date
Mercredi 7 avril 2004
Amj
Taille
113420
Sur titre
Privat Rutazibwa témoigne de la première nuit du génocide. Vécue depuis la base implantée par le FPR, conformément aux accords d'Arusha.
Titre
Kigali, nuit du 6 au 7 avril 1994
Sous titre
Rwanda
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La soirée de ce 6 avril 1994 est calme et la température plutôt
douce. Je viens juste de raccompagner un ancien collègue de classe au
Zaïre, Kanamugire Longin, réfugié et installé à Bujumbura (Burundi)
depuis le déclenchement de la guerre civile au Rwanda en octobre
1990. Nous avions passé ensemble tout l'après-midi à célébrer nos
retrouvailles et nos souvenirs d'enfance. Ce fut la dernière fois que
je le voyais. Longin sera l'une des innombrables victimes du génocide
qui était déclenché quelques heures plus tard.

Cela faisait presque une heure que j'avais repris place à la terrasse
du grand bar du Comité national de développement (CND), siège du
parlement devenu garnison du FPR en pleine capitale au terme des
accords d'Arusha. Soudain le commandant du bataillon, Charles Kayonga,
nous dit de mettre un terme aux attroupements. Ceux qui suivaient la
radio nous communiquèrent aussitôt la nouvelle. L'avion ramenant
Habyarimana de Dar-es-Salam venait d'être abattu. Le gouvernement
annonçait un couvre-feu illimité, et ordre formel était donné aux
habitants de Kigali de ne pas sortir de leurs maisons le
lendemain. Seules étaient autorisées à circuler les forces de
l'ordre. Et les miliciens du régime, bien entendu.

Déjà au soir du 6 avril, certains de ceux qui quittaient le CND pour
rentrer chez eux furent interceptés par la garde présidentielle (GP),
dont la garnison se trouvait à proximité. Nous pouvions entendre les
coups de feu qui les abattaient. De la centrale téléphonique du CND,
officiels et autres agents continuaient à s'informer auprès des
familles et des politiciens pour connaître l'évolution de la
situation. Très souvent, la communication était interrompue à l'autre
bout du fil par des tirs nourris et des cris d'épouvante.

Dans la même nuit du 6 au 7, les lignes téléphoniques du CND furent
brusquement coupées. Au fil des heures, le bruit des coups de feu et
les cris des victimes s'intensifiaient à travers toute la ville. Des
tirs de mortier commençaient à s'abattre sur notre
bâtiment. Instruction fut alors donnée de descendre dans la cave. Une
cave énorme puisque nous étions plus de 150 personnes à y trouver
refuge. La violence de cette nuit avait surpris au CND une centaine de
civils, habituellement résidant dans la ville.

La matinée du 7 avril était pluvieuse. Les tirs de mortier sur le CND
s'étaient interrompus. Les agents de renseignement de l'Armée
patriotique rwandaise (APR) parvenaient à se connecter sur les
fréquences radio de l'armée gouvernementale. Ils pouvaient donc savoir
avec plus ou moins de précision quand commençaient et quand
s'arrêtaient les opérations de pilonnage du CND et ainsi réglementer
les déplacements des civils à l'intérieur du bâtiment.

Nous pouvions remarquer l'exaspération des soldats de l'APR, dont un
grand nombre avait des familles dans la ville. Ils écumaient de rage,
observant les tueurs circuler sans entraves à travers la ville pour
massacrer les leurs. C'est seulement vers 16 heures que l'ordre leur
fut donné de sortir pour engager les combats. Nous les avons alors vus
passer comme des éclairs avec leurs Kalachnikovs.

À aucun moment, ni moi ni les autres locataires civils du CND n'avons
cru que l'ennemi pourrait envahir la garnison. D'expérience nous
savions que l'armée gouvernementale, techniquement encadrée par les
Français, misait plus sur l'artillerie que sur les combats
d'infanterie dans lesquels l'APR excellait. Il suffisait donc de se
mettre à l'abri des mortiers.

Au cinquième jour, un autre bataillon de l'APR atteignit Kigali en
provenance de Byumba. Les soldats de Alpha bataillon avançaient en
file indienne dans la vallée de Nyarutarama sous nos regards
éblouis. Ils avaient marché durant quatre jours pour porter secours au
bataillon du CND. Les forces gouvernementales continuaient à semer la
désolation au sein de la population civile. Les soldats de l'APR ont
tenté plusieurs opérations commando de sauvetage. Comme celle du
centre pastoral Saint-Paul, d'où plus de cent rescapés furent
tirés. Dans de nombreux cas, ils arrivaient trop tard, ne recueillant
que de rares survivants. Parmi ceux-ci, des dirigeants politiques de
l'opposition, des femmes violées, et parfois des bébés abandonnés à
côté de leurs mères tuées. Les rescapés transitaient rapidement par le
CND ou par le stade Amahoro avant d'être évacués vers Byumba.

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