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Le général canadien, Roméo Dallaire commandant des casques bleus, avait
prévenu les Nations unies de l'imminence des massacres sur la population
Tutsi et des Hutu de l'oppostition. En vain.
Le général canadien Roméo Dallaire commandait en 1993-1994 la Force
internationale de maintien de la paix des Nations unies au Rwanda. En
clair, il était le chef des casques bleus présents sur place lorsque se
déchaîna le génocide et que la communauté internationale décida de lui
retirer l'essentiel de ses hommes pour le laisser isolé, sans moyens
pour intervenir de quelque façon que ce soit. Une sorte de témoin à la
Kafka : censé assurer la paix et le bon suivi des accords d'Arusha, il
se retrouve condamné à assister, passif, à la tuerie d'un million
d'hommes, femmes et enfants, de plus en butte aux critiques venues de
New York le sommant de s'expliquer sur le pourquoi de son inertie face
aux événements et, simultanément, de ses revendications en matière de
renforts humains et matériels jugées déraisonnables par la hiérarchie de
l'ONU ainsi que les capitales occidentales, dont Paris et Washington.
Dans un ouvrage dont l'édition en français est sortie récemment (1),
Roméo Dallaire raconte le désarroi et le sentiment de culpabilité qui
furent et restent les siens, sa révolte devant l'attitude de démission
de la communauté internationale, jouant avec lui au chat et à la souris,
alors qu'il ne cesse de l'informer sur la descente aux enfers de tout un
pays voulue et programmée par le régime en place à Kigali.
Car Roméo Dallaire avait tiré la sonnette d'alarme et s'interroge
toujours sur les raisons de la surdité qui lui avait alors été opposée.
Une interrogation qu'il a encore réaffirmée lors de son audition par le
Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha. Le 11
janvier 1994, il envoyait un fax à ses chefs directs - le général
Maurice Baril, conseiller militaire du secrétaire général Boutros
Boutros-Ghali, et Kofi Annan, alors secrétaire général adjoint aux
opérations de maintien de la paix des Nations unies et, à ce titre,
grand patron des casques bleus - pour les informer d'un plan, appris
d'un informateur local « bien placé », prévoyant notamment l'assassinat
de casques bleus belges et de politiciens rwandais d'opposition en
prélude à l'extermination de la population tutsi. Roméo Dallaire
rapportait que son informateur avait précisé que 1 700 hommes de la
milice extrémiste hutu, les interahamwe (« ceux qui frappent ensemble »), entraînée dans des camps à l'extérieur de Kigali, envahiraient au
signal donné la capitale par équipes de quarante. Ajoutant que le même
avait assuré que ces unités étaient aptes à tuer « mille personnes en
vingt minutes ». Réponse de Kofi Annan : pas question pour vous
d'intervenir et de dépasser les limites du mandat de la MINUAR. Plus
l'ordre d'informer le président Juvénal Habyarimana des accusations de
l'informateur, alors que le fax identifiait le chef de l'État et ses
proches comme les premiers instigateurs de la tuerie annoncée.
Dans son ouvrage, Roméo Dallaire indique avoir appris par la suite que « la France avait écrit au gouvernement canadien pour demander mon retrait
du commandement de la MINUAR. Il était évident que quelqu'un avait lu
mes rapports et n'avait pas apprécié que je mentionne clairement la
présence des soldats français au sein de la garde présidentielle, une
instance qui entretenait des liens étroits avec les milices de
l'Interahamwe (...). Mon franc-parler avait dû irriter suffisamment les
Français pour qu'ils prennent cette mesure insolente et tout à fait
inhabituelle de demander mon renvoi ». Il conclut en disant qu'il avait
alors « pris note du fait qu'il me faudrait surveiller attentivement les
Français du Rwanda, continuer à questionner leurs motifs et enquêter sur
la présence des conseillers militaires français au sein des unités
d'élite de l'AGR (armée gouvernementale rwandaise) et leur implication
possible dans l'entraînement de l'Interahamwe ».
Jean Chatain
(1) Roméo Dallaire : J'ai serré la main du diable, 685 pages (Éditions
Libre Expression, décembre 2003).