Fiche du document numéro 24287

Num
24287
Date
Mardi 23 avril 2019
Amj
Taille
140147
Titre
Rwanda : l'éternel retour
Sous titre
Le pays des Mille collines commémore le génocide de 1994. Renvoyant la France officielle à ses doutes, à ses dénis, à ses démons et à ses déchirements.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le Rwanda, encore et toujours. Le long cycle commémoratif ouvert à Kigali le 7 avril, jour du 25e anniversaire du déclenchement de l'ultime génocide du siècle dernier, ramène à la surface un écheveau touffu de mystères, de mensonges, de demi-vérités, d'aveux tardifs, de procès hâtifs, de dénégations furieuses et de plaidoyers outragés.

Celles et ceux qui, voilà un quart de siècle, eurent le douteux privilège de couvrir -si imparfaitement dans mon cas- le grand carnage, se voient sommés de choisir leur camp. Avec ou contre le France ? Comme si l'exercice du journalisme devait se plier à cette inepte injonction patriotique. Comme si la quête, ô combien aléatoire, de la vérité des faits enfermait chacun dans une alternative manichéenne : ou Paris fut le stratège satanique de l'innommable, ou les soldats de l'opération Turquoise, déployés à compter du 22 juin 1994, furent les anges ailés d'une épopée salvatrice.

En fait d'alternative, il nous faut godiller entre deux paraboles mythologiques : la tunique de Nessus, dont on ne peut se délester sans s'arracher des lambeaux de chairs ; et le rocher de Sisyphe, que l'on hisse sans trêve ni repos sur les contreforts escarpés de l'histoire immédiate.

Deux courriels reçus récemment dévoilent en creux l'intensité, intacte et passionnelle, de la controverse. Le premier émane de la Direction de la communication et de la presse du Quai d'Orsay. Il précise que le briefing convoqué tel vendredi d'avril et consacré aux tumultueuses relations franco-rwandaises sera placé sous le régime du deep off. Traduction en français courant : l'échange informel entre une poignée de journalistes et l'un des architectes de notre diplomatie africaine doit demeurer à ce stade strictement confidentiel.

Le second vient d'un ancien ministre des Affaires étrangères. Sans doute inspiré par une analyse de l'auteur de ces lignes parue dans L'Express sous le titre Rwanda, le faux pas de Macron, le message tend à justifier la décision du locataire de l'Elysée, invité dans les formes par son homologue Paul Kagamé, de ne pas assister aux cérémonies de Kigali.

Argument avancé, tant au Quai qu'au Château : le chef de l'Etat n'aurait pu s'aventurer au-delà de l'ébauche de mea culpa concédée en 2010 par Nicolas Sarkozy ; lequel avait alors reconnu des erreurs d'appréciation et une forme d'aveuglement. De plus, sa présence aurait suscité des attentes que nous ne sommes pas en mesure de satisfaire dans l'immédiat. Lui ne veut à aucun prix, confie-t-on dans son entourage, s'exposer à une rechute analogue à celle vécue sous Sarko.

Les exégètes de la pensée complexe du Marcheur en chef invoquent aussi les divers gages de bonne volonté offerts par Paris. Tels son engagement décisif en faveur de l'accession de la Rwandaise Louise Mushikiwabo aux commandes de la Francophonie ou, plus récemment, l'instauration d'une Journée de commémoration du génocide, l'inscription dès 2020 de celui-ci dans le programme des lycéens de Terminale et la création d'une commission d'historiens chargés de plancher deux années durant sur le rôle joué par la France au pays des Mille collines et des mille charniers entre 1990 et 1994. Mieux, les intéressés, dotés d'une habilitation secret-défense, auront accès, nous jure-t-on, à toutes les archives de la République.

Initiative louable, hélas ternie par le caractère baroque du casting de ladite commission : aucun des neuf chercheurs désignés ne peut se prévaloir d'une quelconque expertise sur l'Afrique des Grands lacs. Imagine-t-on confier un rapport sur la rafle du Vel d'Hiv' à une équipe au sein de laquelle ne figurerait aucun spécialiste reconnu de la Shoah ?

On l'aura compris : le chemin de l'apaisement s'annonce long et sinueux. Même si de précieux fanaux - livres, films, témoignages, enquêtes, procès - la balisent. Le prochain ? Un documentaire inédit de Jean-Christophe Klotz, Retour à Kigali *.

On n'en finira jamais d'y revenir. Car la tragédie ineffable est aussi un traumatisme ineffaçable.

*Diffusé le jeudi 25 avril à 23H20 sur France 3, et visible depuis le 20 sur le site Télérama.fr.

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