l’Empire du Malsemblait le clore symboliquement. Et le Rwanda semblait tout à coup jeter sur cet optimisme tout neuf un éclairage glauque que l’on allait tenter d’occulter par un parallèle historique mal construit. Dans ce petit pays obscur dont presque personne n’avait jamais entendu parler, on avait assisté à une poussée de
nazisme tropical. Or, au rang des deux grandes terreurs du XXème siècle (et les Occidentaux ne sont jamais parvenus à concevoir l’histoire universelle comme autre chose que des déclinaisons exotiques de leur histoire à eux, celle qui compte et qui marque les vraies scansions du monde), les deux pires horreurs avaient été le nazisme et le stalinisme. Et voilà que
la bête immonderefaisait surface en Afrique et ravivait nos pires souvenirs. Le problème, c’est que le parallèle historique collait mal : le président Habyarimana n’était pas très hitlérien (et il était mort au moment du génocide), la France gigotait frénétiquement pour expliquer que non elle n’avait pas voulu cela et que de toute manière elle n’avait rien fait, les Nations Unies, symbole du
plus jamais çapost-1945, étaient bien présentes au Rwanda, mais elles n’avaient rien fait non plus, tandis que l’Union Africaine, conscience auto-proclamée du continent, se retranchait quant à elle dans un silence assourdissant. Mais heureusement, pour pouvoir reprendre pied, il y avait le Front Patriotique Rwandais (FPR), il y avait le camp des gentils, et son chef aux faux airs de moine soldat, le Major Paul Kagame. Un vrai soulagement. Le drame avait un héros, et l’opinion publique mondiale se porta à sa rencontre, soulagée de trouver un sauveur au fond de l’abîme. Mais qui était donc ce héros ? Personne n’en savait rien. Et quant à l’ignorance vis-à-vis du Rwanda pré-génocidaire, elle était abyssale. Donc un héros inconnu sur fond de clichés africains.
carrière militairefort peu conventionnelle, qui va durer seize ans et qui le lancera à travers quelques-uns des événements les plus extraordinaires du siècle.
ougandaise– qui va le former. L’Ouganda des années 1970-1980 est une jungle parsemée de cadavres où tout le monde trahit tout le monde. La communauté internationale qui avait – à bon droit – vilipendé Idi Amin s’en lave désormais les mains maintenant qu’il a disparu. Peu importe que le dictateur Milton Obote élu lors d’un scrutin truqué approuvé par les autorités britanniques et celles du Commonwealth massacre plus de gens que n’en avait tué Idi Amin – plus de 300.000 entre 1981 et 1986 – car l’important est sauf : dans l’optique de la guerre froide, Obote est
un ami de l’Occidentet ce même s’il emploie de l’artillerie nord-coréenne – cela évite aux puissances occidentales de se salir les mains à le faire elles-mêmes.
communauté internationale, de son cynisme diplomatique et de son hypocrisie humanitaire, est le produit de son expérience des guerres civiles ougandaises entre 1978 et 1986. Et sa vision du
hérosaussi. Car, en janvier 1986, Kagame pénètre en vainqueur dans Kampala sur les talons de son chef Yoweri Museveni. Avant de voir ce militant de l’extrême-gauche anticolonialiste devenir ensuite par une série de glissements opportunistes le parfait duplicata de ce qu’il avait combattu toute sa jeunesse.
Rwandaisparmi les dix-sept premiers insurgés de 1981, l’autre étant Fred Rwigyema qui est devenu Chef d’Etat-Major de l’armée ougandaise. Deux
étrangersà la tête de l’establishment militaire du pays : peut-on imaginer meilleure assurance anti-coup d’Etat ? Kagame se tait, observe, apprend. Et il peut constater que la même ambiguïté humanitaire qui avait si bien servi Obote en son temps se poursuit. Amnesty International envoie une mission en Ouganda pour reprocher à Museveni son traitement brutal des prisonniers faits parmi les insurgés issus des ethnies nordistes qui avaient soutenu Obote pendant la guerre civile et qui poursuivent un combat sporadique. L’ONG demande la création d’une justice adaptée à traiter les cas de détention de captifs issus de la guérilla, et le Président se défausse du problème sur Kagame qui est nommé Président du tribunal itinérant des forces armées. Il remplira son rôle à la perfection et, lorsqu’il ramènera à Kampala des cadavres résultant des condamnations du Tribunal, ils seront toujours en excellent état et ne montreront aucun signe de sévices. L’homme est froid et sans pitié, mais il est efficace et sait respecter les formes.
libérationportée par la minorité Tutsie. Même si le régime Habyarimana est une dictature et même si ses opposants Hutu sont nombreux. Il compte sur son charisme et sur son ouverture aux Hutus de l’opposition pour dépasser la
restauration féodaledont parlera bientôt Habyarimana.
aux combats. Mais outre qu’il n’y eut qu’un seul tué ce jour-là – le commandant en chef – et que les détails concernant sa mort sont contradictoires, une ombre inquiétante flotte sur le meurtre du leader du FPR. Museveni, qui soutenait discrètement l’invasion, fera d’ailleurs arrêter et exécuter les deux officiers d’ordonnance de Rwigyema. Comme beaucoup d’autres épisodes de la route de Paul Kagame vers le pouvoir, celui-là ne sera jamais éclairci. La guerre dura quatre ans, et explosa dans un génocide dont le signal fut donné par l’assassinat du Président Habyarimana. Le génocide avait évidemment été planifié par les cercles les plus radicaux du pouvoir Hutu, mais nombreuses sont les accusations qui pointent du doigt Kagame comme étant l’auteur de l’attentat. Et les accusations les plus précises sont venues de Tutsi anciens membres du FPR, dont certains sont passés à une opposition active au régime Kagame. Mais l’impact mondial du génocide a opéré une sorte d’hypnose sur la communauté internationale qui se refuse à penser l’impensable concernant le libérateur du génocide. Pourtant, comme le fit remarquer le général canadien Dallaire, commandant des forces inactives de l’ONU, le chef du FPR ne semblait pas ému outre mesure par la passivité internationale. Ni d’ailleurs par le génocide lui-même. Dallaire, qui ferraillait avec New York pour essayer qu’on lui donne l’ordre d’intervenir, avait l’impression d’être plus engagé que le Rwandais. En fait, il semble bien que Kagame n’ait jamais eu trop le souci de ses concitoyens. Parmi eux, il y avait 80 000 Hutus que l’on passera par profits et pertes plus tard dans les commémorations du génocide – qui deviendra
le génocide des Tutsi. Quant aux morts Tutsi – entre 700 et 800 000 –, ils semblent avoir été plus considérés comme les
dommages collatérauxd’un processus de modernisation du Rwanda que mettra en œuvre le nouveau pouvoir post-génocidaire. Il suffit, pour s’en rendre compte, de parler avec les membres des associations de survivants Tutsi qui n’ont aucune illusion sur la question. Car le génocide a été, pour Kagame, une énorme chance politique qu’il saura exploiter avec habileté. Il a abouti à échanger une population de Tutsi
indigènes, enracinée dans la compromettante réalité rwandaise, pour une autre population de Tutsi de l’étranger, beaucoup plus éduquée, militarisée et disciplinée, qui s’avérera comme le peuple idéal du projet FPR.
d’union nationaleaprès le génocide, puis l’abolir à l’occasion d’un massacre commis par ses propres troupes (Kibeho. 1995) et finalement prendre le pouvoir absolu grâce à des scores électoraux dignes de Staline (95 % en 2003, 93 % en 2010 et 99 % en 2017). Il n’a même pas besoin de frauder, tout le monde vote réellement pour lui. La peur est telle que l’obéissance est réelle. Et la communauté internationale, prisonnière de ses remords et séduite par les progrès qu’il introduit, acquiesce. Il y aura quand même une grosse bévue : son invasion du Congo. Pourtant, cela avait bien commencé : les génocidaires survivants, réfugiés à quelques kilomètres de la frontière, ne cessaient de lancer des raids de harcèlement sur le Rwanda, aussi inutiles que meurtriers.
hérosavait un peu outrepassé son périmètre de confort diplomatique et il dut évacuer le terrain. Son échec eut même des effets secondaires inattendus, puisque la communauté internationale osa enfin regarder de plus près le parcours du FPR depuis son accession au pouvoir.
l’armée rwandaise, mais uniquement en terre étrangère. Rien sur le Rwanda lui-même et donc bien sûr rien qui concerne son chef Paul Kagame.
le plus grand criminel de guerre au pouvoir aujourd’hui. La confiance que Kagame a en lui-même se prolonge à l’aune du dédain pour la vérité qu’affiche la communauté internationale lorsque, par exemple, le Parquet de Paris requiert un non-lieu (13 octobre 2018) dans le procès contre ses proches impliqués dans l’attentat qui avait coûté la vie à Habyarimana.
démocratiséedepuis 2016 avec les exécutions sommaires de dizaines de petits délinquants (voleurs de vaches, contrebandiers, pêcheurs employant des filets illégaux…) tués par l’armée sans autre raison que de faire peur afin
d’assurer l’ordre. Lors de sa récente libération, Victoire Ingabire qui avait été condamnée à la prison à vie pour avoir oser se présenter aux élections contre Kagame, a déclaré :
J’espère que c’est le début de l’ouverture de l’espace politique au Rwanda. La réalisation de cet espoir semble malheureusement peu probable.
britannique, mais que l’on appelle
itondeen kinyarwanda. Lorsque le Colonel Tauzin déclare, alors qu’il met en défense Gikongoro,
qu’il ne fera pas de quartier si le FPR attaqueet qu’un officier lui traduit (Kagame ne parle pas français) en disant :
ça veut dire qu’il tuera tous les blessés, il se limite à observer :
C’est un peu hostile, non ?Or, aujourd’hui, le même homme houspille ses gardes du corps, gifle une secrétaire et piétine en public un ministre qui lui a déplu. Beaucoup de ses anciens camarades d’il y a trente ans sont dans l’opposition et vivent en exil. Lui et Museveni se détestent depuis que le Président ougandais a enquêté sur la mort de Rwigyema. Il fournit aujourd’hui de l’aide à une guérilla tenace qui s’est infiltrée et retranchée dans la forêt de Nyungwe. Paul Kagame est le maître du Rwanda, le seul chef d’Etat africain à pouvoir parler d’égal à égal avec les grands de la planète, et capable de peser sur les décisions de la plupart des tribunaux internationaux. C’est un pouvoir massif et solitaire, et le pouvoir absolu est absolument solitaire.
fgtquery v.1.9, 9 février 2024