Citation
BILLETS D’AFRIQUE N° 62 - SPECIAL CONGO-K., 26 SEPTEMBRE 1998
PRIORITE
La guerre, civile et étrangère, qui s’est emparée du Congo nous est l’occasion de préciser les priorités de notre combat.
L’évolution de Survie a pu sembler étrange : des militants des droits de l’homme, à commencer par le droit à la vie, en sont
venus à centrer leur action sur la confiscation de l’indépendance et des richesses des pays africains - rejoignant ainsi souvent les
revendications de l’anticolonialisme et de l’anti-impérialisme.
C’est que, nous en sommes convaincus, la capture et la domination politiques de l’Afrique (la traite et la colonisation) ont
autorisé, pour le moins, des crimes contre l’humanité.
Avec des complicités locales, le vol des ressources des États africains empêche ceux-ci d’offrir à leurs citoyens un minimum de
protection contre la maladie et l’extrême pauvreté. Et ils n’échapperont pas à la misère sans l’édification de pouvoirs autochtones
légitimes. À l’échelle des nations, sans doute. Puis, souhaitons-le, dans un cadre plus large.
Car les grands combattants de l’indépendance africaine étaient beaucoup plus panafricains que nationalistes. Ils revendiquaient
l’autodétermination des peuples africains, mais refusaient l’esprit chauvin. Ils transcendaient l’ethnisme.
Nous-mêmes ne sommes pas vraiment nationalistes : il nous arrive assez souvent de préférer la justice à la France...
Surtout, notre boussole reste le refus du pôle négatif de l’humanité : sa faculté de sombrer de temps à autre dans l’absolue
barbarie - le génocide et le crime contre l’humanité. Si des incantations nationalistes et anti-impérialistes, même fondées sur des
ressentiments en partie justifiés, devaient prôner ce genre d’horreurs, nous les dénoncerions sans faiblir.
Nous n’angélisons pas le régime sud-africain (en train de se fourvoyer au Lesotho). Mais Mandela, au moins, a surmonté le
racisme, instauré les libertés d’association et d’opinion.
Il est vieux ? Nous croyions que c’était la sagesse de l’Afrique de les écouter...
SALVES
Acte 1: la nouvelle ‘alliance’ anti-Kabila
Au début de l’été règne une conviction assez unanimement partagée : le régime personnel, pour le moins autoritaire, de LaurentDésiré Kabila n’a pas d’assise populaire, et il multiplie ses ennemis extérieurs.
Faute d’avoir vraiment rompu avec les pratiques de Mobutu (népotisme, corruption, polices secrètes, ...), ni avec son personnel
(le ‘faiseur d’image’ Dominique Sakombi, par exemple, et une partie de l’establishment prébendier ou sécuritaire), Kabila voit se
ternir son aura de libérateur. De leur côté, ses ‘parrains’ africains (l’Ouganda, le Rwanda, mais aussi l’Angola) constatent qu’il ne
les aide guère à combattre des rébellions (ADF, milices hutues, Unita) qui, depuis le territoire congolais, préparent ou lancent des
assauts de plus en plus menaçants. Ils le soupçonnent même de mener double jeu à cet égard. Un soupçon grossi par la
désinformation ?
Dans les pays occidentaux, enfin - y compris aux États-Unis, qui favorisèrent la victoire de Kabila -, une double déception se
conjugue : l’opinion publique, à la suite des militants des droits de l’homme, trouve le nouvel autocrate congolais aussi détestable,
sinon plus, que son prédécesseur ; les milieux d’affaires déchantent, face à un régime jugé imprévisible et peu ‘fiable’.
Bref, le pronostic est alors général : ce régime va droit dans le mur. Les bonnes âmes, bien intentionnées ou très intéressées,
multiplient les conciliabules pour abréger l’agonie - rencontrant ainsi forcément ceux des mobutistes restés hostiles à Kabila.
Une nuée de pouces baissés cerne ainsi le vieux gladiateur. En Occident, tous les services de renseignement, et donc les
principaux décideurs politiques, savent que le coup de grâce va être donné. Nul, ou presque, ne s’y oppose. Les Américains
préparent sans doute un soutien logistique. L’Europe laisse partir pour de longues vacances son négociateur Aldo Ajello.
Quant à la France, qui suivait avec intérêt les manœuvres de ses amis de l’ancien régime, elle se dispose à agir, ou réagir, depuis
son balcon de Brazzaville. Sous le regard intéressé de ses vassaux africains.
Selon Le Soir (19/09/1998), elle s’est impliquée bien davantage : elle aurait « fait miroiter auprès du président ougandais Museveni
une réconciliation avec l’Afrique francophone et promis la sécurité au Rwanda (avec la fin du soutien aux militaires hutus
ravitaillés depuis le Soudan et la République centrafricaine) ». [Elle admettrait donc qu’elle favorisait ce ravitaillement... : une
auto-accusation dont la mission d’information parlementaire sur le Rwanda devrait s’emparer sur le champ !].
Acte 2: le coup manqué
Dans ce concert, le Rwanda et l’Ouganda sont très (trop) pressés. Pour des raisons avouables, et pour d’autres peut-être qui le
sont moins. Ils ont compris que Kabila ne cesse d’accroître sa distance à leur égard, mais que la rupture bien compréhensible du
cordon ombilical tourne au conflit œdipien : eux ne laissent pas assez d’indépendance (militaire, notamment), Kabila la veut à
n’importe quel prix, fût-ce celui d’une marée xénophobe. De quoi, dans un contexte post-génocidaire, dramatiser l’antagonisme.
Dans un autre registre, il semble qu’une partie des chefs militaires ougandais et rwandais, certains convertis à l’affairisme, aient
eu les yeux plus gros que le ventre : ils estimaient que leur soutien décisif à la victoire de Kabila, en 1997, valait, sinon un butin,
du moins un droit de préemption sur certaines richesses agricoles et minières de l’Est du Congo.
Ces warlords voient leur influence renforcée par l’état de guerre. Ils sont trop tolérés par la face légale des régimes de Kigali et
Kampala. Leur arrogance mène à l’aveuglement - donc à de graves erreurs. Et au mépris - parfois jusqu’au crime, tels les
massacres de réfugiés hutus en 1996-97.
À force de croire que tout se règle par les armes, on en vient à omettre des facteurs politiques décisifs. Au moins trois de ces
facteurs ont renversé le pronostic :
- la neutralité de l’Angola était indispensable à la conquête-éclair de Kinshasa, à partir de la base de Kitona ; or, à force de traiter
par-dessous la jambe l’ex-allié de 1997, le ‘feu orange’ de Luanda, considéré comme acquis, a viré au rouge ;
- les chefs de guerre rwandais ne voulaient pas voir à quel point le comportement de certains d’entre eux avait suscité de rejet
dans la population congolaise ;
- ce rejet aurait pu être tempéré par l’image des démocrates authentiques qui, désireux de renverser Kabila, ont tôt rejoint le front
de ses adversaires ; mais, à trop privilégier le langage militaire (c’est un général ex-mobutiste qui fut le premier porte-parole des
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anti-kabilistes), la constitution tardive d’une plate-forme politique a fait l’effet d’un coup d’épée dans l’eau.
Côté avouable, le passage à l’acte du Rwanda a coïncidé avec la transmission à Paul Kagame d’informations selon lesquelles le
régime de Kabila entraînait 10 000 Interahamwe - les miliciens du génocide. À Kinshasa, cet entraînement est nié par les milieux
militaires. Mais une personnalité politique affirme en tenir la preuve (Le Soir, 19/09/1998). Si la nouvelle était vraie, on s’étonne que
Kigali ne tire pas un meilleur parti diplomatique de ce casus belli incontestable. Si elle est fausse, il serait intéressant de savoir
quel service de renseignement, rwandais ou étranger, a agité ce chiffon rouge...
L’offensive contre Kabila a démarré en deux temps :
- un putsch (au moins) est tenté à Kinshasa mi-juillet, impliquant des militaires rwandais ; Kabila évite le piège (des proches
affirment qu’il a été prévenu par... la CIA 1 !) et renvoie du Congo les troupes rwandaises ;
- l’échec du putsch déclenche prématurément un scénario de guerre-éclair, à partir de Goma et surtout de la base de Kitona (au
sud-ouest de Kinshasa), conquise par voie aérienne.
Acculé, Kabila joue deux coups imparables : - sur le mode du bouc émissaire, il déchaîne l’antitutsisme latent de la population
congolaise, nourri depuis plusieurs décennies par certains milieux médiatiques, artistiques, associatifs, et même religieux 2 ; comme
souvent, le schéma raciste fait l’unanimité ; le ‘président autoproclamé’ se mue en sauveur légitimé ;
- il convainc le pouvoir angolais que la coalition anti-kabiliste fraye trop avec les mobutistes pour ne pas faire la part belle aux
alliés de ces derniers, l’Unita de Jonas Savimbi - ennemi n° 1 de Luanda ; en s’engageant au côté de Kabila, la puissante armée
angolaise retourne la situation.
En même temps, l’ex-rebelle congolais devenu Président capitalise ses vieilles amitiés prochinoises, à commencer par le leader
zimbabwéen Robert Mugabe. Il joue aussi des jalousies régionales, flattant les présidents fâchés par l’aura des Mandela et
Museveni : puisque ces deux dirigeants sont bien vus des médias occidentaux, s’en désolidariser ou les combattre démontre un
anti-impérialisme de bon aloi...
1. Ce qui tendrait à prouver (puisque le Pentagone a fourni une aide logistique aux rebelles) que le France n’est pas seule à mener des politiques incohérentes - ou
duplices.
2. Cet antitutsisme multiforme n’est pas sans évoquer l’antisémitisme de Maurras, ou de Céline, ou le Protocole des Sages de Sion (à propos du complot HimaTutsi). Il conteste l’authenticité de la nationalité des Tutsis congolais comme, en France, on contestait celle des Juifs.
Acte 3 : l’échec des tentatives de paix
La rébellion et ses alliés étrangers ont donc subi une cuisante défaite à l’Ouest du Congo et à Kinshasa. Cela réjouissait les
‘légitimistes’ et flattait la fierté congolaise, assez pour que puisse être tentée l’extinction d’un conflit incendiaire. C’était l’occasion
de rechercher un équilibre plus durable, prenant en compte les revendications légitimes des pays voisins et des forces politiques
internes. Il eut fallu que la raison l’emporte sur la passion, que suffisamment de leaders lucides, passant sur leurs différends,
calment les pyromanes. Jusqu’ici, c’est l’inverse qui semble s’être produit.
Au lieu de profiter de sa toute nouvelle popularité pour laisser les Congolais adhérer plus librement à son régime, Kabila semble
vouloir user jusqu’à la corde la fibre nationaliste qui l’a si bien servi. Non seulement il n’entend pas orienter le processus
constitutionnel dans un sens plus démocratique, mais il démontre publiquement que les appels au pogrome antitutsi n’étaient pas
un simple moment de colère : au cœur des discussions de paix de Victoria Falls, il a revendiqué la légitimité d’une mobilisation
des Interahamwe pour chasser de Kigali un « régime d’apartheid ». Le casus belli incertain devient assumé, dans une fuite en
avant aux accents forcément génocidaires. Il ne faut pas être devin pour anticiper ce que cela signifierait : une guerre totale,
embrasant une grande partie de l’Afrique, et peut-être au-delà.
Qui pourrait y mettre fin ? L’Angola, allié-clef de Kabila ? Il a aussi ses warlords, généraux corrompus par l’or noir et les
commissions sur les achats d’armes. Pour eux la guerre est une aubaine. Le Zimbabwe ? Dictateur usé, Mugabe croit avec ce
conflit retrouver une nouvelle jeunesse, il se rêve en Bolivar du continent africain.
Quant à Mandela, ses qualités mêmes deviennent un handicap : il a trop raison au milieu des passions. Il est l’exemple vivant des
vertus de la paix et de la légitimité politique. Mais que vaut un exemple face à la démagogie ? De surcroît, ni l’armée, ni la
diplomatie sud-africaines, en pleine mutation post-apartheid, ne sont vraiment opérationnelles face aux crises africaines. On vient
de le vérifier avec la lamentable intervention au Lesotho.
Acte 4 : le Soudan entre en scène
L’extension de la guerre se dessine : une visite de Kabila à Khartoum a renoué l’axe zaïro-soudanais, et le Soudan a envoyé
2 000 soldats. Entraînés dans ce pays, des réfugiés congolais ont demandé à combattre aux côtés de Kabila. Ils veulent mener la
djihad : contre l’Ouganda, qui aide les Sud-Soudanais animistes et chrétiens à se défendre du fantasme intégriste (l’islamisme et la
charia obligatoires) ; contre le Satan américain, allié de Kampala et de Kigali. Ce même Satan vient d’être récemment ‘châtié’ par
les deux attentats meurtriers contre ses ambassades à Nairobi et Dar Es-Salaam, commandités par l’ami du Soudan, Oussama ben
Laden... D’où le bombardement de représailles mené par l’armée US aux environs de Khartoum.
Le Soudan est le principal ravitailleur des guérillas anti-Kampala et anti-Kigali. Il leur offre également des bases d’entraînement.
Avec son discours attrape-tout, Kabila pourrait ainsi rallier à sa ‘vengeance’ non seulement les résurgences du Hutu power, mais le
réseau de leurs soutiens européens, les diverses branches de ‘l’internationale islamiste’ qu’Hassan el Tourabi rassemble
régulièrement à Khartoum, et tous ceux dont l’antiaméricanisme primaire est prêt à excuser un génocide. La Françafrique n’en
manque pas.
Coïncidence ? À peine quelques jours après que la France, par l’intermédiaire du chef d’état-major Kelche et du ministre
Josselin, soit venue à N’Djamena confirmer sa présence et sa coopération militaires (voir Billets n° 63), Idriss Déby aurait envoyé au
Congo-K un millier de soldats 1, en soutien à Kabila. De telles troupes, issues pour l’essentiel des confins soudano-tchadiens, ont
un lourd passif de massacres et d’exactions dans le sud du Tchad.
Le rédacteur en chef de N’Djamena Hebdo signale aussi l’arrivée, sur l’aéroport de la capitale tchadienne, de 24 avions-cargos
congolais. L’armée française n’aurait rien à voir dans ce branle-bas de combat ?
1. Selon le bihebdomadaire tchadien L’Observateur, cité par l’agence de l’ONU IRIN.
Acte 5 ? Kabila françafricain ?
Il vaut mieux avoir au feu plusieurs boucs émissaires. Au début de la guerre, la propagande kinoise dressait la population non
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seulement contre les Tutsis, mais contre la France - qui fut effectivement l’ennemie de Kabila et mijotait son éviction. En même
temps que le Congo ‘démocratique’ retrouvait les principaux alliés de la France dans la région (l’Angola, le Hutu power, le
Soudan, le Tchad, ...), le ton changeait à Kinshasa. Un ‘besoin de France’ s’exprimait de plus en plus clairement, en vue de
pousser jusqu’au bout un combat contre les voisins de l’Est, alliés des Américains.
De son côté, Jacques Chirac a envoyé un message aimable à Kabila, et l’a invité au prochain sommet franco-africain du Louvre,
fin novembre. Son correspondant régional, Omar Bongo, se montre tout aussi avenant.
La tentation est grande de jouer un épisode supplémentaire de la guéguerre franco-américaine en Afrique. À grande échelle cette
fois, car avec deux pays potentiellement très riches : l’Angola et le Congo-K 1.
Si l’on y succombe, il faudra une dizaine de missions d’information parlementaires pour s’auto-absoudre de tout le sang versé.
1. Premier bémol : le président angolais dos Santos n’est pas venu au sommet centro-africain de Brazzaville, le 24 septembre. Il aurait fait savoir à Kabila que son
rapprochement avec le Soudan « est une menace pour toute l’Afrique centrale ».
Cristal
Le directeur du cabinet de Kabila, Abdoulaye Yerodia Dombassi, est un psychanalyste proche de Lacan. Il exerçait à Paris. Nul
plus que les lacaniens ne travaille sur les relations entre l’inconscient et le langage, nul ne sait mieux ce que parler veut dire. Aussi,
quand il désignait les Tutsis comme « la vermine qui vicie et empoisonne le corps de notre nation, qu’il nous faut éradiquer » (cf.
Le Soir, 02/09/1998), il savait qu’il provoquait le racisme populaire - lequel, dans cette région, va droit au génocide. Sa culpabilité est
donc, en quelque sorte, ‘chimiquement pure’.
Ses relations le sont moins. À Paris, son amie tenait le restaurant Chez Lulu, haut lieu d’agapes et d’intrigues mitterrandiennes.
L’ex-Président y rencontrait par exemple Georges-Marc Benhamou, rédacteur en chef de Globe Hebdo - financé par un compte en
suisse d’Elf (20 millions de F), sur sollicitation élyséenne.
Cette proximité des puissants donnait à Yerodia un certain aplomb. En mai 1997, un mois avant l’insurrection de Sassou
Nguesso - le Congolais préféré de Jacques Chirac -, il allait répétant : « On aide Sassou. On lui file des armes ». La suite ne fut pas
un cadeau.
Massacres
De ce qu’on en sait jusqu’ici, la guerre civile du Congo a déjà été, des deux côtés, l’occasion de tueries et de massacres :
- chasse aux profils « nilotiques » à Kinshasa, avec élimination des personnes raflées au camp militaire de Kokolo (Libération,
22/09/1998), massacres de centaines de Tutsis au Katanga (Figaro, 07/09/1998) et peut-être dans le Nord du pays ; les troupes
angolaises, pourtant relativement disciplinées, ont commis nombre d’exactions lors de la reconquête de l’estuaire du fleuve
Congo ;
- côté rebelles, on a signalé surtout de sanglantes représailles, fin août, à la paroisse de Kasika et alentour (plus de 600
personnes) ; des assassinats et disparitions sont évoqués au Kivu, et à maints endroits des pillages et exactions.
Mais, faute d’informations, on mesure mal l’ampleur des possibles dérapages. Nombre des parties en conflit en sont fort
capables.
Il est urgent que les Nations unies mobilisent des moyens de prévention et de dissuasion. Par exemple en étendant dans le temps
la compétence du Tribunal pénal international d’Arusha.
Enquête
Maintenant qu’il a divorcé d’avec ses alliés rwandais, le régime de Kabila leur impute toute la responsabilité des massacres de
réfugiés hutus commis durant la guerre de 1996-97. Le ministre d’État Victor Mpoyo veut « révéler toute la vérité ».
Elle serait en effet bienvenue. Il suffirait de faire revenir la commission d’enquête de l’ONU, jadis entravée. Selon le ministre,
les envoyés de l’ONU « pourront travailler librement », mais seulement s’ils ne visent pas à « dénigrer le régime » et « s’ils
collaborent avec nos enquêteurs » (Libération, 17/09/1998). Une liberté surveillée, donc.
Renforts
* L’apport de troupes soudanaises et tchadiennes au régime de Kabila serait financé par la Libye.
* Dès mi-septembre, des forces du Hutu power rwandais repliées au Congo-Brazza ont commencé de traverser le fleuve pour
rejoindre les forces de Kabila.
* Selon Jeune Afrique (15/09/1998), le directeur du cabinet présidentiel Abdoulaye Yerodia a ouvert en Europe une discrète structure
de propagande politique, le Groupement d’appui et de soutien à l’action de Kabila.
* Côté rebelles, on n’a pas répugné à l’enrôlement de mobutistes, ni rechigné à accepter leur argent.
* Selon Africa Confidential, des soldats de l’Unita angolaise ont participé à l’assaut avorté contre Kinshasa.
* L’un des leaders de la rébellion, Arthur Zahidi Ngoma, a rencontré à Paris le chef du FLEC-FAC, qui combat pour
l’indépendance de l’enclave angolaise de Cabinda - une éponge à pétrole. Entremetteur : Michel Pacary, célébrité des « affaires »
françaises et africaines (La Lettre du Contient, 27/08/1998 ; cf. Billets n° 32 et 57).
* Les deux camps s’accusent mutuellement d’employer des mercenaires - sans vraie confirmation La firme sud-africaine Executive
Outcomes est annoncée un peu partout. Elle préparerait, dit-on, une offensive anti-rébellion depuis le Centrafrique. À Kinshasa, on
accuse les rebelles d’être aidés par des mercenaires serbes, colombiens et somaliens, encadrés par des instructeurs américains...
Médiateurs
La Zambie et la Tanzanie, deux importants voisins du Congo-K, ont pris bien soin de ne pas s’engager dans la guerre civile. Qui
les concerne cependant. Aussi leurs présidents, Chiluba et Mkapa, parcourent les capitales régionales à la recherche d’une issue
diplomatique. Bon vent !
(Achevé le 27/09/1998)
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ILS ONT DIT
« [Kabila n’est] certainement pas [francophobe] . À preuve, il se déplace à l’aide d’une cinquantaine de Safrane, modèle français haut de
gamme, achetées comptant à l’occasion du premier anniversaire de sa prise du pouvoir. » (Antoine BAYANDE, conseiller en
communication de L.D. Kabila. Cité par La Croix du 09/09/1998).
« La France est un pays qui a compris le sens de notre action, et je m’en réjouis » (Arthur ZAHIDI NGOMA, l’un des leaders de la
rébellion. Cité par Le Figaro du 18/08/1998).
[Une compréhension bien volatile].
« Je suis Congolais et, en cette qualité, je me demande, horrifié : à qui le tour ? Car l’ivresse de la haine est plus redoutable que les
métastases cancéreuses ! Les responsables religieux du Congo [...] devront réagir clairement à cette culture de haine et à cette
séduction du fascisme. [...] Les propos inqualifiables du directeur de cabinet présidentiel, Yerodia Ndombasi [...] ont atteint un seuil
radical. [...] [C’est] un appel génocidaire. [...]
Contre le fascisme et le racisme, nous avons à développer une citoyenneté durable [...] fondée sur le droit, la liberté, l’acceptation
responsable et sereine de l’autre comme différent » (Philippe KABONGO-MBAYA, pasteur, représentant extérieur de l’Église réformée du
Congo-K. Interview le 14/09/1998 à Jeune Afrique Économie).
À FLEUR DE PRESSE
Le Monde diplomatique, Une poudrière au cœur du Congo-Kinshasa, 07/1998 (Gérard PRUNIER) : « Le Kivu est au bord de
l’explosion et personne ne cherche les ciseaux pour éteindre la mèche ».
[Écrit fin juin, l’avertissement était plutôt pertinent. Il fut inutile.]
Le Soir (Bruxelles), Le virus de l’ethnisme fait des ravages, 26/08/1998 (Colette BRAECKMAN) : « Naguère circonscrit au Rwanda et
au Burundi, le virus de l’ethnisme se propage actuellement à travers toute l’Afrique à la vitesse d’une épidémie. Si l’on avait rêvé
de torpiller pour longtemps les projets de renaissance africaine, les espoirs de développement et de coopération régionale, on
n’aurait pu trouver mieux.
Des alliances invraisemblables et contre nature sont en train de se nouer, où l’on voit des barons du mobutisme se rapprocher des
soldats ougandais et rwandais, des émissaires zimbabwéens prendre contact avec les tenants du Hutu power au nom d’une
commune identité ‘bantoue’, tandis qu’à Kinshasa, des ambassadeurs du Mali et du Sénégal tentent de protéger leurs ressortissants,
grands, minces et confondus avec les Tutsis ! [...]
Si l’on veut éviter que l’Afrique s’embrase, d’un bout à l’autre, il est urgent d’arrêter l’escalade, de faire place au bon sens :
telles qu’elles sont formulées, les exigences des rebelles ne sont pas excessives, à savoir un gouvernement plus largement ouvert
aux forces intérieures, plus nettement engagé dans la construction d’un État de droit. Mais s’il s’agit de se tailler des protectorats
dans un immense Congo désarticulé, l’Ouganda, le Rwanda, l’Angola et les autres intervenants potentiels doivent savoir que ce
projet ouvrirait la voie à plusieurs décennies de guerre...
Si, à court terme, le Congo uni doit être stabilisé, sans doute autour de Kabila, il faut aussi, en amont, s’attaquer aux racines du
problème : si l’ethnisme est aussi virulent et contagieux, c’est que le mal n’a pas été traité en profondeur. Les auteurs du génocide
rwandais et des massacres de réfugiés n’ont pas été sérieusement poursuivis et châtiés, l’idéologie de la haine, si souvent
dénoncée, n’a pas été bannie et a même trouvé de nouvelles aires d’expansion. Si le génocide est un crime contre l’humanité, c’est
aussi parce que l’humanité tout entière peut en être affectée : le brasier africain en est aujourd’hui la preuve ».
Jeune Afrique Économie, Où sont passés les Banyamulenge ?, 14/09/1998 (Muamba BAPUWA) : « En 1996, leur soulèvement
contre Mobutu paraissait juste. Mais certes en colère contre Kabila, qu’ils accusent de n’avoir pas respecté ses promesses lors des
négociations relatives à leur soulèvement de février 1998, ils n’étaient pas prêts à déclencher la guerre le 2 août 1998, soucieux de
faire d’abord des alliances locales au sein d’une population hostile aux Tutsi. Par la force des choses, leurs parrains rwandais ayant
décidé d’aller en guerre, ils ont dû aussi s’y engager. [...]
Faute d’avoir une organisation qui les représente, [...] ils sont constamment pris entre le marteau et l’enclume [...] Ils seront à
terme les grands perdants de cette guerre ».
[Le 24/08/1998, Colette Braeckman indiquait dans Le Soir : « Dans la semaine du 6 août[...], trois commandants banyamulenge tentèrent de
s’informer sur l’objectif réel de cette guerre à laquelle on leur proposait de participer. Mal leur en prit : ils furent abattus... »].
Le Monde, Le Congo-Kinshasa s’installe dans une logique de guerre longue, 16/09/1998 (Rémy OURDAN) : « [Lors d’une offensive sur
Goma le 14 septembre,] Dans le centre-ville, les Mai-Mai, en chantant et en dansant, accompagnés de civils, y compris des femmes et
des enfants, ont semé la terreur, pillé des maisons, commis des assassinats, sans réellement inquiéter les militaires. [...]
Une stratégie de chaos dans le Kivu serait [...] logique. [...] Kinshasa pourrait être tenté par une déstabilisation progressive du fief
des rebelles. [...]
Aux premières heures de l’attaque de Goma, les habitants murmuraient que la « libération » était arrivée. [...] Dans la rue, malgré
les balles qui sifflaient au-dessus des têtes, une vieille femme chantait en dansant : « On va tuer tous les Tutsis ! ».
POINT DE VUE
Le Congo-Kinshasa serait-il frappé de malédiction ? On serait tenté de le croire depuis l’éclatement de la rébellion, début août.
En quelques semaines, l’offensive rebelle a fait vaciller le régime de Kabila installé au pouvoir depuis quinze mois, à la suite
d’une autre rébellion où étaient déjà engagés les mêmes protagonistes. Ainsi donc se sont nouées et dénouées en moins de deux
ans, au gré des intérêts géopolitiques et économiques (notamment miniers), des alliances qui se révèlent totalement opposées aux
aspirations du peuple congolais, en quête d’un pouvoir légitime et d’un meilleur usage des ressources communes.
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Cette flambée de violence qui endeuille le pays dévoile d’épineux problèmes politiques : Kabila n’a pas su ou voulu traiter les
conséquences des contradictions qui ont émaillé sa conquête du pouvoir. Dès 1996 en effet, les agendas politiques des uns et des
autres étaient trop différents - même si toutes les parties ont instrumentalisé le sort des populations congolaises rwandophones,
particulièrement les « Banyamulenges ».
Comme en 1996, ceux-ci ont pris les armes pour se défendre contre les exactions des militaires. Par son incohérence, le
gouvernement actuel leur a fourni arguments et prétextes. Aux problèmes politiques, le gouvernement répond par des incitations
virulentes à la haine ethnique, comme si on pouvait fonder et consolider l’unité du pays en faisant appel à l’irrationnel. À ce
nationalisme chauvin qui contraint le pays à se ranger servilement derrière un « sauveur », il faut opposer le discernement d’un
patriotisme pétri de sens civique et qui rassemble les citoyens autour de l’État républicain.
Le pays affronte ces problèmes dans un vide institutionnel vertigineux créé et délibérément entretenu par le régime actuel. Seul
un ordre juridique prenant en compte les demandes sociales des citoyens et leur garantissant la sécurité pourra offrir un cadre
institutionnel approprié, où discuter des problèmes du pays, où amorcer un dialogue républicain entre le pouvoir, les forces
sociales et politiques, et le mouvement associatif.
La situation paraît bloquée. Le Congo serait-il frappé de malédiction ? Non ! Il n’existe pas de fatalité en histoire. Ce sont les
hommes - acteurs sociaux lucidement engagés dans le cours des choses - qui façonnent le devenir des sociétés.
Oui, c’est le moment de se replonger intelligemment dans notre mémoire historique, dépouillée des falsifications et
mythologies qui ont perverti l’intelligence du politique pendant 32 ans. Nous y « découvrirons », émerveillés, comment dans le
passé le peuple congolais a su déjouer à plusieurs reprises les pièges de l’ethnicisation du champ politique, tendus par des régimes
décadents.
Les Belges ont tenté de dresser les Lubas contre les Luluas au Kasaï, et les Bangalas contre les Bakongos en 1959-60, au
moment où les Congolais amplifiaient leur lutte d’émancipation politique. Le 4 février 1960 paraît dans le quotidien Courrier
d’Afrique de Léopoldville (Kinshasa) un mémorandum signé par six étudiants (Lubas et Luluas) de l’Université Lovanium. Il
s’agit de Martin Bakole, Barthélémy Dipumba, Félicien Ilunga, Ferdinand Kazadi, Marcel Tshibamba et Étienne Tshisekedi. Ils
proposèrent des solutions pour endiguer la violence et apaiser les esprits.
En 1992, Mobutu a toléré - encouragé - les pogroms contre les Balubas au Katanga, espérant ainsi déstabiliser Tshisekedi.
Les intellectuels congolais politiquement avisés et pétris d’éthique conscientisante ont une lourde responsabilité en ce temps
d’incertitude, où le peuple ne sait plus à quel saint se vouer. Il leur faut le rejoindre dans ses luttes sociales et politiques, afin de
promouvoir ensemble un environnement culturel qui féconde un projet politique alternatif, réellement porteur d’espoir.
Le mouvement d’étudiants fut un pôle de résistance à la dictature mobutiste, délibérément situé hors du prisme déformant de
l’ethnicisation du politique. Souhaitons que l’appel lancé par le Pasteur Philippe Kabongo [cf. extraits ci-dessus] soit entendu !
Anicet MOBÉ-FANSIANA, membre du groupe Défis.
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Groupe Justice et Libération (Kisangani), La guerre du Congo à Kisangani et les violations des droits de l’homme du 2 août au 17 septembre
1998, 18 p.
Une relation des événements à partir d’une région coupée des médias. Les faits en eux-mêmes sont instructifs, mais aussi l’analyse, qui réussit à
se distancier des passions.
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OCTOBRE 1998 - ISSN 1155-1666 - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE - ABONNEMENT : 80 F (ÉTRANGER : 100 F)
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