Citation
Présentateur : C'est dans cette région qu'ont éclaté en milieu de semaine
dernière des troubles à caractère ethnique entre Hutus et Tutsis.
L'état de siège s'accompagne de mesures interdisant le port d'armes, les
attroupements et la tenue de réunions politiques. Quant au bilan de ces
violences ethniques, tout laisse à penser qu'il est beaucoup plus important
qu'annoncé précédemment. Des sources diplomatiques et humanitaires
confirment déjà la mort de 45 personnes et avancent le chiffre de 7 000
réfugiés. Dans la seconde partie du journal, nous recevons l'ambassadeur
de France à Kigali, Georges Martres.
Papier de Monique Mas :
Pour ce qui est des réfugiés, ils en arrivent toujours. Certains sont
blessés voire mutilés.La Croix rouge s'apprête à aller dans les
collines pour faire une évaluation.Après la localité de Nyamata, c'est
celle de Rilima, à une trentaine de km à l'est, qui est touchée. La
gendarmerie rwandaise a donc été envoyée sur place samedi, soit un
jour seulement après le déclenchement de ces pogroms. Des pogroms que les
centaines de gendarmes rwandais paraissent avoir les plus grandes
difficultés à arrêter. En tout cas, le Premier ministre a finalement
reconnu la responsabilité de la radio nationale dans ces
affrontements. L'opposition accuse également la France de laisser ses
massacres se dérouler sous ses yeux. Il faut savoir que depuis octobre 90,
une cinquantaine de coopérants militaires français instruisent l'armée
et la gendarmerie rwandaise et cela dans la guerre qui les oppose au nord du
pays au FPR. Le FPR présenté lui aussi par le pouvoir comme Tutsi
malgré sa composante hutue. Et rien n'est indifférent dans cette affaire.
La France dispose également d'une compagnie à Kigali. Elle justifie sa
présence par des pressions qu'elle exercerait sur le régime en faveur de
la démocratisation. Elle la justifie aussi par l'argument humanitaire. Mais
en tout cas pour l'heure, l'ambassadeur de France s'apprête à exprimer
son inquiétude aux autorités mais quant à l'appui des troupes
françaises au régime, il n'est pas remis en question.
Itw de George Martres, ambassadeur de France à Kigali (Monique Mas) :
Effectivement, les forces de l'ordre ont été envoyées, du moins de Kigali, que le lendemain. Selon les informations que nous avons, le calme commence à être rétabli dans la commune de Kanzenze mais ne l'est toujours pas dans celle de Gachora, à l'est de Kanzenze.
(Q. de M.M. : les troupes françaises sont présentes au Rwanda et vous-même, je vous avais rencontré il y a peu, vous m'aviez avancé l'argument humanitaire pour justifier la présence de ces troupes françaises. Comment se fait-il qu'elles n'interviennent pas, comment se fait-il que ce massacre puisse se dérouler devant les yeux de la France ?)
Effectivement, les troupes françaises sont présentes au Rwanda. Bon, elles sont présentes à Kigali et dans un nombre limité. Nous n'avons ici qu'une compagnie. Leur mission n'a pas changé depuis plus d'un an. C'est la protection des ressortissants français. Pour leur assigner un autre objectif, pour leur faire accomplir une tâche humanitaire au bénéfice de l'ensemble de la population rwandaise, et notamment à l'égard des évènements qui se déroulent en ce moment, il faudrait qu'elles reçoivent d'autres instructions qu'elles n'ont pas pour le moment.
(Q. de M.M. : alors justement, il y a aussi cinquante coopérants militaires qui instruisent la gendarmerie et l'armée rwandaise dans le cadre du conflit qui se déroule au nord. Est-ce qu'il n'y a pas une certaine responsabilité de la France, dans peut-être, l'insuccès des troupes rwandaises qui sont actuellement censées rétablir l'ordre ?)
Les conseillers militaires français que nous avons ici, aussi bien auprès de l'armée qu'auprès de la gendarmerie, n'exercent qu'une tâche d'instruction. Si l'on peut porter des critiques sur le comportement des troupes rwandaises ou des forces de l'ordre rwandaises, en tout état de cause, nos militaires ne sont pas concernés. Ils ont fait ce qu'ils ont pu pour accomplir leur tâche d'instruction et de formation mais en aucun cas, ils n'ont été directement impliqués dans le fonctionnement de cette armée ou de cette gendarmerie.
(Q. de M.M. : donc, s'il n'y a pas d'engagement militaire français pour rétablir l'ordre, est-ce qu'il y a une position française et une action française au niveau de l'humanitaire, c'est-à-dire pour soigner ces gens, pour les aider, ou quoi que ce soit ?)
Nous nous sommes réunis hier à Kigali entre ambassadeurs de la communauté occidentale pour examiner les démarches que nous pourrions faire et nous envisageons, si nos gouvernements sont d'accord, d'intervenir dès le début de cette semaine auprès du gouvernement rwandais pour lui exprimer notre vive inquiétude, pour lui demander de nous expliquer les mesures qu'il compte prendre pour mettre fin à ces exactions et surtout pour appeler son intention sur l'importance que ces évènements pourraient avoir sur l'aide internationale, plus particulièrement occidentale que nous apportons au Rwanda.
(Q. de M.M. : c'est quand même le troisième massacre qui intervient au Rwanda depuis octobre 90, c'est-à-dire aussi depuis que les troupes françaises sont présentes sur place. D'autre part, il semble que ce massacre soit intervenu après une longue campagne radio diffusée dans laquelle la radio nationale faisait état d'une liste de personnalités à abattre, dressée par des partis d'opposition et visant des Hutus. Est-ce que vous voyez les choses comme ça ? Quelle est votre position là-dessus ?)
Il est exact que cette campagne a été extrêmement vive dans les jours qui ont précédé ces évènements. Il y avait des tensions, qui de toute façon existaient depuis longtemps. Il y a eu effectivement une aggravation des conflits entre d'une part, le parti libéral, qui est considéré ici, à tort ou à raison, comme le porte-parole de la population tutsie, et les éléments les plus durs de l'ancien parti unique, le MRND. Tout ceci a effectivement culminé lorsque la radio nationale rwandaise, de manière tout à fait fâcheuse, a publié la lettre dont vous parlez, qui était une lettre qui donnait des noms de personnes menacées d'assassinat en indiquant des coupables potentiels. Ce qui effectivement était tout à fait alarmant pour la population.
(Q. de M.M. : une lettre fabriquée de toute pièce selon l'opposition et notamment selon un des deux partis.)
Notre avis, si elle n'est pas fabriquée de toute pièce, en tout état de cause, est qu'elle émane d'un comité dont nous n'avons jamais entendu parler avant.
(Q. de M.M. : donc, tout ça quand même n'est pas de nature à ressembler à un processus démocratique. Est-ce que l'attitude la France va changer après ce massacre ?)
Que ce ne soit pas de nature à favoriser un processus démocratique, certes, mais le processus, que vous aviez vous-même annoncé comme parvenu à terme. Puisque je me souviens d'une communication que vous aviez faite selon laquelle, un gouvernement de transition avait été constitué au Rwanda. Ce processus n'était malheureusement pas loin d'aboutir. Vos informations n'étaient pas tout à fait inexactes. Il n'était pas loin d'aboutir au moment où ces évènements ont éclaté et nous espérons toujours qu'il va se poursuivre. La communauté diplomatique compte poursuivre ses pressions sur le gouvernement rwandais pour que la conciliation qui était, à notre avis, bien avancée finisse par aboutir.
(Q. de M.M. : donc pressions sur le gouvernement rwandais mais également soutien à l'armée rwandaise ?)
Soutien à l'armée rwandaise, je vous ai déjà expliqué comment nous la concevions. Le soutien à l'armée rwandaise est un soutien technique, un soutien de formateurs et d'instructeurs comme nous apportons à d'autres armées d'Afrique et d'ailleurs à des armées de pays voisins comme le Burundi. Il n'y a pas de différence dans notre soutien technique au Rwanda par rapport au soutien que nous apportons dans d'autres pays de ce que nous appelons la zone du champ.