Sous titre
Selon un rapport de l'association Survie publié jeudi 1er février, le barbouze français aurait été impliqué dans le massacre rwandais de 1994. Sous le nom de Robert-Bernard Martin
, il aurait reçu plus d'un million de francs pour ses agissements en faveur des génocidaires.
Citation
De nombreuses zones d'ombre subsistent sur ce qu'il s'est réellement passé en 1994 au Rwanda. Si certains rôles restent à définir, celui de Bob Denard ne fait plus de doute, si l'on en croit un rapport de l'association Survie. Le mercenaire aurait monnayé ses services auprès du camp génocidaire rwandais : Forces armées rwandaises (FAR) et le gouvernement à l'origine du massacre, selon ce document de 35 pages.
Si l'implication du capitaine français Paul Barril a déjà été prouvée, le rôle de Robert Denard – de son vrai nom – restait lui particulièrement flou. Pourtant, des documents ont été retrouvés lors de la fuite vers le Zaïre à l’été 1994, des FAR, ainsi que du gouvernement génocidaire. Ceux-ci font part de transactions avec une société qui n'avait - jusqu'ici - pas éveillé les soupçons : Martin et Cie. Un nom à la consonance très francophone
, souligne le rapport.
Plusieurs missions
rémunérées pour les génocidaires
Le groupe Martin aurait ainsi réalisé plusieurs missions
- toutes tarifées - au service du camp génocidaire : un contrat d'assistance technique
ainsi que des missions de reconnaissance
. Le ministre de la Défense du gouvernement intérimaire rwandais, Augustin Bizimana, expliquait par écrit au Premier ministre de l'époque Jean Kambanda (condamné pour génocide), avoir rencontré à Nairobi (Kenya) entre le 28 et le 30 août 1994 le représentant de cette mystérieuse compagnie. Le groupe Martin se disait alors prêt à déployer huit cadres expatriés
.
L’attaché de défense de l’ambassade du Rwanda à Paris, le colonel Sébastien Ntahobari, est ensuite autorisé à effectuer un versement au dirigeant de la compagnie : un certain Robert-Bernard Martin. Celui-ci reçoit alors un chèque bancaire de la BNP avec une somme de 1 086 000 francs, le 5 juillet 1994 à Paris. Le génocide est alors reconnu par l'ONU depuis plus d'un mois et demi, précise le rapport. La banque française, devenue BNP Paribas, est actuellement la cible d'une plainte pour complicité de génocide.
Robert-Bernard Martin est Bob Denard
Un Français a donc agi pour le gouvernement génocidaire rwandais durant 1994. Or, il est évident que Robert-Bernard Martin est un pseudo, et cette société, Martin et Cie, un écran de fumée. Comme le montre le site orbspatrianostra.com, créé en hommage au mercenaire français, Bob Denard a utilisé de nombreuses pièces d'identité au cours de ces campagnes militaire. Dont certaines fausses, signées au nom de... Robert-Bernard Martin (un permis de conduire français, un permis de conduire comorien ainsi qu'un passeport français), avec la même signature que celle utilisée pour encaisser le chèque de la BNP. Et attestent par conséquence que Bob Denard est bien le fameux Robert-Bernard Martin.
Dans son autobiographie parue en 1998, - modestement - intitulé Corsaire de la République, Bob Denard confessait à demi mot avoir pris part à ce massacre. Les projecteurs de l'actualité sont braqués sur le Rwanda. Depuis la mort du président Habyarimana, les ministres rwandais font savoir qu'ils redoutent un véritable génocide. (…) Je suis prêt à aller plus loin au service du Rwanda
, écrivait-il alors.
La DGSE savait
Et comme si tous ces éléments ne suffisaient pas, le rapport démontre la présence d'un proche de Bob Denard (son fils spirituel
), Jean-Marie Dessales, au Rwanda durant le génocide. Celui-ci était alors chargé de former une centaine des meilleurs soldats des forces armées rwandaises. Une mission qu'il ne mènera que partiellement, en raison de la qualité
de l'effectif fourni. C'est d'ailleurs dans cette optique que Bob Denard a cherché au même moment à acheter un avion cargo
, et se renseignait sur le prix de munitions diverses
.
Le rapport dénonce aussi les agissements des autorités françaises. Celles-ci auraient eu connaissance de certains agissements de Bob Denard, et pourraient même en être à l'origine. Les services français avec qui je suis en contact, s’inquiètent eux aussi de la situation
, écrivait-il dans son autobiographie. La DGSE avait connaissance des ambitions du mercenaire, et lui a suggéré de ne pas s'engager du côté des génocidaires. Mais qu'en est-il des autres institutions et des dirigeants français de l'époque ?
Les liens étroits entre Bob Denard et les autres autorités françaises
Les liens entre Bob Denard et ces autres autorités restent à établir. Surtout qu'il est probable qu'ils aient existé ; le corsaire de la république
était présent à la guerre du Biafra et aux Comores, où des trafics d'armes ont eu lieu de la part de certains membres de l'armée française. De plus, lors de ses deux procès, Bob Denard a reçu le soutien public de nombreuses personnalités des services ou de l’armée française
.
Malgré le fait qu'il est impensable qu’une telle opération (…) ait pu être méconnue des services secrets et de la cellule africaine de l’Élysée
, le mercenaire n'a jamais été poursuivi par l'État français pour ses agissements au Rwanda.
La politique de l'autruche à la française
Tout cela aurait dû inciter notre pays à prendre la mesure de la dangerosité non seulement de dysfonctionnements institutionnels, mais également du fonctionnement institutionnel intrinsèque à la Ve République. Pourtant, bien loin d’en tirer les conséquences et de faire évoluer nos institutions, nos responsables politiques – dont nos parlementaires – ont bien souvent préféré la politique de l’autruche
, spécifie le rapport.
Rongé par la maladie d'Alzheimer durant la fin de sa vie – jusqu'à sa mort en 2007 – Bob Denard a emporté avec lui ses nombreux secrets de guerre. Et la vérité d'un massacre gravé dans les mémoires, dont on ignore encore de nombreux ressorts.