Fiche du document numéro 19141

Num
19141
Date
Mercredi 30 août 1995
Amj
Taille
115440
Sur titre
Quatre ministres révoqués en plus de Faustin Twagiramungu
Titre
La crise au Rwanda compromet le retour des réfugiés
Sous titre
Les ministres hutus sont victimes de leur affrontement avec le général Kagamé.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La crise s'est approfondie à Kigali, avec le limogeage de quatre ministres, annoncé par la radio nationale. En plus du Premier ministre Faustin Twagiramungu, ont été remerciés le ministre de l'Intérieur Seth Sendashonga, un Hutu membre du Front patriotique, le ministre de la Justice Alphonse-Marie Nkubito, le ministre de l'Information Jean-Baptiste Nkuliyingoma, un Hutu membre du même parti que le Premier ministre, le Mouvement démocratique républicain, ainsi que Mme Immaculée Kayumba, ministre des Transports et des communications, une Tutsie membre du FPR.

La radio a annoncé que d'autres tâches seraient confiées à ces ministres sortants. Comme la veille dans le cas de M. Twagiramungu, l'annonce de la démission de ces deux ministres avait précédé l'annonce officielle de leur limogeage.

Les partis politiques ont immédiatement entamé des consultations pour proposer des remplaçants au président de la République Pasteur Bizimungu et une nouvelle équipe pourrait être formée dans les prochains jours. Il s'agit là du premier remaniement majeur depuis la mise en place du gouvernement d'union nationale formé en juillet 1994 au lendemain de la victoire militaire du Front patriotique qui mit fin au génocide. S'inspirant de l'esprit des accords d'Arusha, qui prévoyaient le partage du pouvoir, le FPR avait proposé aux principaux partis d'opposition de former un gouvernement de coalition, en excluant cependant l'ancien parti du président le MRND et la tendance power (extrémiste hutu).

Premier ministre désigné par les accords d'Arusha et à ce titre symbole de la continuité, M. Twagiramungu se voyait proposer le poste avec pour tâche de remettre son pays brisé sur la voie de la réconciliation et de la reconstruction. Mais depuis plusieurs mois la tension était latente entre le Premier ministre qui - peut-être déjà dans une perspective électorale - se voulait le porte-parole des Hutus, et le vice-président et ministre de la Défense Paul Kagamé, avant tout soucieux d'assurer la sécurité du pays et d'obtenir la justice et le châtiment des coupables.

Les circonstances ne favorisèrent pas l'entente entre les deux hommes : le Premier ministre, malgré les appuis dont il jouissait à l'étranger, ne réussit pas à mobiliser rapidement une aide internationale significative, tandis que le ministre de la Défense constatait avec amertume que dans les camps de réfugiés les auteurs du génocide demeuraient impunis et menaçants. Au fil du temps, M. Twagiramungu, qui a le verbe haut, se présenta comme le défenseur des Hutus, sinon l'homme du dialogue avec les réfugiés. Voici quelques temps le RDR (Rassemblement pour le retour des réfugiés) qui se présente comme le porte-parole des exilés hutus (et des anciennes forces armées) transmettait au Premier ministre et au ministre de l'Intérieur les conditions posées pour le retour au pays, parmi lesquelles la réorganisation de l'armée et la tenue rapide d'élections.

La tension croissante de ces dernières semaines a été provoquée par les abominables conditions de vie de plus de 50.000 prisonniers, par l'insécurité croissante, par les exactions commises par certains militaires et demeurées apparemment impunies. Kagamé fut rendu directement responsable de ce manque de discipline de son armée sinon de l'assassinat de plusieurs leaders hutus, comme le préfet de Butare et deux sous-préfets. Le Conseil des ministres de vendredi dernier a vu l'éclatement des tensions, lorsque le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre affrontèrent directement le général Kagamé, lui reprochant les tueries commises dans le pays par des éléments de l'Armée patriotique. L'« homme fort » du Rwanda pour sa part reprocha à ses collègues leur incompétence sur certains dossiers et les lenteurs dans le fonctionnement de la justice et l'ouverture des procès.

Démission ou révocation ? Les deux mouvements coïncidèrent dans le départ des ministres précités. Depuis lors malgré le calme apparent la tension politique est vive : il semblerait que le téléphone de M. Twagiramungu ait été coupé et que des militaires gardent son domicile.

Si Bruxelles a réagi avec prudence, le ministre allemand des Affaires étrangères Klaus Kinkel a grandement déploré la démission du Premier ministre, qui, a-t-il souligné, s'était fortement engagé pour la réconciliation. Dans les camps de réfugiés, cette révocation a renforcé les craintes des Hutus, qui, redoutant les représailles, refusent de rentrer dans leur pays. Les opérations de rapatriement entamées par le HCR sont à nouveau au point mort. Cependant le temps presse : à Genève, le Premier ministre zaïrois a fait savoir au HCR que le rapatriement des réfugiés rwandais devrait être achevé pour le 31 décembre prochain.

COLETTE BRAECKMAN

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