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La guerre d’agression contre le Congo, lancée par les armées rwandaise et ougandaise avec la bénédiction des Etats-Unis, commence le 2 août 1998. Le 14 août, l’ambassade américaine évacue tout son personnel : c’est le signal que l’attaque de Kinshasa est imminente. La presse occidentale estime que Kabila sera fini dans les semaines à venir. Le mardi 25 août 1998, Kabila retourne à Kinshasa. Il déclare : « Tout le monde doit se tenir prêt à faire face à l’ennemi. Dans chaque village, les gens doivent prendre les armes, même des armes traditionnelles, des arcs et des flèches, des lances, etc. L’important, c’est d’écraser l’ennemi, sinon, nous allons devenir les esclaves de ces petits Tutsi. »
Ce mardi-là, à partir de minuit, des combats violents éclatent, d’une part, entre les armées zimbabwéenne et congolaise qui défendent Kinshasa, et d’autre part, des troupes rwandaise, ougandaise et rebelle qui se sont s’infiltrées dans les environs de la capitale, côté aéroport.
Le mercredi 26 août, tout peut basculer. On estime que plus de 1.000 soldats ennemis ont pénétré la zone Est de Kinshasa. Avec un peu de chance, ils pourront occuper l’aéroport ou l’endommager gravement. Mais la grande question est celle-çi : est-ce que les agresseurs sont capables de mener une campagne de guérilla urbaine dans la capitale ? Ondekane déclare ne pas être inquiet, car ses soldats connaissent « très bien la technique de guérilla traditionnelle ou de guérilla urbaine. Nous allons harceler Kabila à Kinshasa, personne ne pourra travailler dans la capitale, et Kabila n'y sera pas en sécurité ».
Les agresseurs et leurs alliés, peuvent-ils implanter des groupes de combat dans les différentes communes, ce qui obligera l’armée zimbabwéenne et angolaise de pilonner les quartiers où ils se retranchent ? Peuvent-ils provoquer ainsi des carnages et des tueries qui offriront un prétexte aux puissances impérialistes afin d’intervenir pour « raisons humanitaires » ? Les Etats-Unis, la France et l’Angleterre ont amené 2.500 soldats aux portes du Congo. Est-il possible que des troupes étrangères viennent ainsi renverser le rapport des forces entre les agresseurs et la coalition Congo?
Bizima Karaha déclare le 26 août : « Nos troupes ont attaqué l’aéroport de Ndjili et contrôlent certains quartiers de la ville. Nos forces se battent à l’intérieur de Kinshasa.. Au moins 50 soldats zimbabwéens ont été tués à Kasangulu. Aujourd’hui, les Zimbabwéens et les soldats de Kabila sont en débandade à Kinshasa, ils fuient et nous allons tout libérer. »
Comment les jeunes ont défendu leurs quartiers ?
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Le mercredi matin, très tôt, des centaines de rebelles sont entrés dans les quartiers de Masina. Clément, 35 ans, y tient une boutique. A un journaliste de l’AFP, il a fait un témoignage capital : « Les rebelles sont entrés mercredi vers trois heures du matin en passant par petits groupes par le Mont Caly et Ndjili-Brasserie. Lorsqu'ils sont entrés ici, les rebelles nous ont dit qu'ils devaient chasser le président Kabila et installer Mgr Laurent Monsengwo au pouvoir. Ils ont annoncé aussi qu'ils allaient reconduire Etienne Tshisekedi au poste de Premier ministre ».
Notre ami Mputu a été très actif lors de la résistance à Ndjili. Nous lui avons demandé de réunir une vingtaine de jeunes qui ont combattu les rebelles. Voici ce qu’ils nous ont dit.
« La résistance a été essentiellement spontanée. Au quartier Dix, on récupérait les agresseurs en fuite, ils étaient dispersés et fatigués. Nous en avons tué deux. Chacun dans son coin cherchait qui peut nous protéger. Les gens d'une rue savent qui est valable, qui a une bonne moralité. »
« Il y a eu d’abord un appel de la part de Yerodia au nom du gouvernement. La base de Kitona était prise par l'ennemi et Yerodia nous a interpellés : Mettez-vous debout. Le mercredi 26 août, vers 10 h 00, des mamans sont venues de l’Eglise en disant : On a tué deux militaires des FAC. On ne sait pas si c’étaient les rebelles ou s’ils se sont tués entre eux. Puis nous avons entendu des coups de feu. J'ai lancé un appel à la vigilance dans la rue. S'il y a un militaire, demande ce qu'il est venu faire, puisqu'on a appelé tous les FAC à rentrer dans les casernes. Nous nous sommes regroupés, il y avait un vieux de l’Equateur avec un arc et des flèches, un autre avec une machette. Nous avons envoyé des jeunes militaires en civil bavarder avec les militaires qui se trouvaient sous les eucalyptus. Nos gens leur ont dit : Tous les militaires de Kabila ont pris la fuite, oui, nous voulons que Kabila parte. Ils ont observé le nombre et le type d’armes qu’ils avaient, les munitions. Ils nous ont tout rapporté. »
« Les associations sportives des Quartiers Sept et Huit ont joué un grand rôle. Nos gens s’efforçaient de découvrir des rebelles pour les tuer. Des rebelles donnaient de l’argent pour recevoir des habits civils pour se confondre dans la masse. On les reconnaissait aussi au fait qu’ils avaient des pieds gonflés et ils étaient sales. Quand on voyait de petits groupes, on les questionnait : D’où venez-vous ? Ils avaient des difficultés pour parler. On demandait leur identité, ils n’avaient pas de papiers. D’autres montraient des documents sans cachet. »
« De jeunes soldats sont arrivés vers St Thérèse. Les gens pensaient que c’étaient des Angolais venus appuyer Kabila et ils applaudissaient. Mais ces soldats ont dit : A dix heures, nous ferons partir le pouvoir. Les gens se sont retirés. A la Place St-Thérèse se trouvait un camion couvert d’une bâche. Des jeunes ont décidé d’ouvrir. Il y avait des biscuits et des armes. Certains jeunes commençaient à manger, d’autres prenaient les armes. Ils ont appris sur place à les manier et les ont amenés dans les quartiers. Un garçon avait même pris deux armes. Trois soldats sont passés, ils avaient des difficultés pour s’exprimer en français et ils demandaient la voie vers l’aéroport. On les a envoyés dans la direction opposée. L’ami qui avait deux armes a crié Halte !
. Les soldats se sont retournés et le garçon les a tués tous les trois. Ensuite ils ont été brûlés. Le camion appartenait aux FAC. Mais nos militaires avaient pris la fuite. Toutes ces armes auraient pu tomber aux mains des rebelles. »
A partir de mercredi midi, les quartiers de Matete, Masina, Ndjili et Kingasani sont bouclés par les soldats congolais à la recherche de rebelles.
Au Congo, dans le passé, on a rarement vu une armée entrer dans une ville sans que la population, prise de peur, se campe dans ses maisons. Depuis le début de l'agression, en trois semaines, Kabila a réalisé un véritable miracle. Les mains nues, dans tous les quartiers, dans toutes les rues des jeunes se sont levés pour attaquer et tuer les rebelles infiltrés. « Chaque fois que nous voyons un rebelle, nous le brûlons vif », dit un habitant de Masina à un journaliste de l'AFP. Quand les agresseurs ont vu quelques cadavres carbonisés, ils ont vite perdu leur arrogance et leur brutalité. AFP rapporte qu’à Lemba, environ 200 rebelles, anciens soldats des FAC, se sont rendus mercredi aux autorités militaires.
Ce n’est pas la « haine du Tutsi » qui mobilisait les masses : des jeunes rebelles et des ex-FAZ ont été brûlés vifs par leurs copains du quartier. A Masina, on raconte qu’un père a vu son fils rebelle rentrer dans la parcelle et demander d’être sauvé. Le père a appelé les militaires et son fils a été tué devant ses yeux.
Ces agresseurs sont comme de la vermine
Mercredi toujours, en annonçant l'instauration du couvre-feu à Kinshasa, Abdoulaye Yerodia, a indiqué que cette mesure était prise « pour permettre aux FAC de mener à bien l'éradication et l'écrasement total de cette vermine des envahisseurs rwandais et ougandais. Le couvre-feu sera maintenu jusqu'à nouvel ordre tant que les Forces armées se livreront à leurs tâches patriotiques de faire rendre gorge et d'écraser l’infâme que représentent les envahisseurs rwandais et ougandais ».
Yerodia soulève toute la population, il la mobilise pour « éradiquer la vermine » qui menace la survie de chaque Kinois, qui se prépare à des carnages dans la population civile qui ne se rendra jamais à l’occupant. Ces gens sont de la « vermine » parce qu’agresseurs. Le style trahit la grande culture de l’homme. On y trouve des souvenirs de Voltaire et de la révolution française. Mais certains, beaucoup moins cultivés, y verront des signes d’une dérive fasciste.
Le jeudi, des centaines de rebelles dispersés en petits groupes se cachaient toujours dans les quartiers, traqués par la population et l'armée congolaise. De nombreux corps calcinés de rebelles jonchaient plusieurs rues des quartiers proches du centre-ville. Des rebelles ont même été tués Place de la Victoire, au cœur de Kinshasa. C’est dire que les agresseurs ont profondément pénétré la ville et qu’ils ont été traqués partout par la population.
Vendredi à midi, des rebelles entrés par petits groupes dans Masina, Ndjili et Kimbanseke, campaient encore sur leurs positions. Les FAC et alliés poursuivaient les actions de ratissage. A ce moment, le nouveau chef d'état-major général des Forces armées congolaises, le commandant Joseph Kabila, a fait une déclaration à la radio. « Nous lançons un appel patriotique aux soldats congolais impliqués dans cette aventure rwandaise contre notre pays à déposer les armes immédiatement et à regagner les rangs de l'armée régulière ». Il a également invité la population à s'« abstenir de toute violence à l'égard des soldats qui se rendent ».
Le correspondant de l’AFP : « Samedi, les actes de vengeance de la population contre les rebelles et leurs complices ont presque cessé à Kinshasa où deux jours auparavant, des corps de rebelles ont été retrouvés calcinés dans les rues ».
Dès le vendredi, des dizaines de milliers d'habitants de ces communes ont quitté leurs habitations, portant des sacs ou des valises sur la tête. Parmi eux, de nombreux enfants ou / et personnes âgées. Le long du Boulevard Lumumba, une marée humaine marchait sous le regard des militaires et des policiers postés aux différents barrages. Dans cette marée humaine, il n’y a pas de signes de panique, les gens restent étonnement calmes. Les « rebelles » ont définitivement perdu la bataille dans le cœur des Kinois.
Comment Eric David a-t-il pu tomber si bas?
Cette véritable épopée de la résistance populaire fait toujours la fierté des Kinois. Son secret, c’est que toute la population s’est mobilisée pour défendre Kabila et le gouvernement nationaliste. Dans toute la ville, aucun infiltré à réussi à se cacher et à échapper à la vigilance populaire. En deux jours, une population sans armes a réussi à terroriser des militaires jadis si craints. Ce qui a poussé des centaines d’agresseurs à se rendre. Que se serait-il passé si les agresseurs avaient réussi à s’établir durablement dans une partie de la ville ? Il n’y a pas de doute que leur guérilla urbaine dans une ville de plus de six millions d’habitants et la campagne militaire pour les défaire, auraient fait des milliers de morts parmi les civils. Là, on aurait eu un véritable carnage, alors que la terreur populaire du collier a été très sélective, efficace et de courte durée.
Et pourtant, la résistance populaire s’est attirée les foudres des Rwandais, des Américains et de tous ces défenseurs d’un ordre mondial injuste marchant sous la bannière de l’Humanitaire. Pourquoi des actes de résistance qui, en Europe, lors de l’agression fasciste, seraient passés dans les livres d’Histoire en caractères d’or, sont-ils dépeints, au Congo, comme des preuves d’un génocide ? De quelle folie intellectuelle un homme pourtant connu pour son sérieux comme Eric David, professeur de Droit international à l’ULB, est-il pris lorsqu’il observe et analyse la résistance à Kinshasa ? Et qu’est-ce qui fait que ses paroles grotesques sont prises au sérieux dans des milieux universitaires en Europe, alors qu’elles provoqueraient clameurs indignées parmi les six millions de Congolais de Kinshasa ?
Voici les paroles d'Eric David: « Lorsque le chef de cabinet de Kabila parle de vermine et de microbe, on assiste à un phénomène qui est sociologiquement bien connu, de dévaluation, de déshumanisation, de réification de l'adversaire. C'est un phénomène que l'on a déjà souvent observé. Les Turcs parlaient comme ça des Arméniens, les nazis des Juifs. » « Sociologiquement » ceci constitue un enchaînement de bêtises. Le professeur n’ignore pourtant pas que les Belges sous l’occupation germanique en 1914-1918 et en 1940-1944 utilisaient des mots encore plus fort pour maudire les Allemands. Le professeur bruxellois semble ne pas vouloir comprendre ce que son collège « parisien », Abdoulaye Yerodia, exprime pourtant en toute clarté : sont à considérer et à combattre comme de la vermine et des microbes les agresseurs et les occupants armés qui viennent priver 50.000.000 de Congolais de leur souveraineté et de leur indépendance, tout en commettant des massacres à grande échelle dans les villages et villes qu'ils occupent. Faire une comparaison entre la résistance légitime de tout le peuple congolais contre l’occupation de sa patrie et la terreur bestiale exercée par des régimes fascistes contre des populations entières, est une véritable infamie.
Sur cette lancée, le professeur David est fermement décidé à perdre complètement le nord. Il juge Yerodia coupable d'« incitation à commettre des crimes de guerre ». Ce qui est réprimé par la loi belge du 16 juin 1993, loi qui, tenez-vous bien, « s'applique à des étrangers pour des faits commis à l'étranger ». Bref, Yerodia, « s'il mettait le pied sur le sol belge, pourrait parfaitement se voir décerner un mandat d'arrêt pour répondre devant un juge belge de ses appels au meurtre ». « Même chose pour Kabila, qui, pour l'omission à prévenir un crime de guerre, pourrait être poursuivi pénalement chez nous! » Autant dire que Eric David prêche un droit international qui interdit aux peuples agressés et terrorisés par les puissances impérialistes et leurs alliés, de défendre leur patrie et leur liberté.
Et puis le bouquet : l’héroïsme de tout un peuple qui traque et élimine des agresseurs en uniforme militaire, devient génocidaire ! Tout à fait sérieusement, le professeur déclare : « Je pense que nous sommes bien ici en présence de faits de génocide. Lorsqu'on appelle les gens à poursuivre et à exterminer d'autres personnes en fonction de leur appartenance à un groupe qui est bien défini, à savoir le groupe tutsi, nous sommes en présence effectivement d'un fait que l'on peut qualifier de génocide ». Comment un homme intelligent peut-il tomber si bas ? Il y a là des phénomènes de manipulation idéologique à analyser dans les sociétés capitalistes, des manipulations véritablement diaboliques qui amènent imperceptiblement des hommes intelligents à percevoir ce qui est vrai, juste et libérateur comme faux, criminel et génocidaire.
Jamais Yerodia n’a appelé à « exterminer » des gens parce qu’ils appartiennent à l’ethnie tutsi. De mère congolaise, de père sénégalais, compagnon du cubano-argentin Che Guevara, parisien pendant plus de vingt-cinq ans, Yerodia est le prototype du véritable internationaliste. Yerodia s’est attaqué à des agresseurs, des occupants. Ils venaient du Rwanda. Mais ce n’étaient pas n’importe quels Rwandais. C’étaient exclusivement des Tutsi rwandais. Les Hutu rwandais n’étaient pas dans le coup, pas plus que les Juifs allemands ne faisaient partie de l’armée d’occupation allemande en France. Et, comme les Congolais s’en prennent aux Tutsi, la résistance française s’en prenait aux Allemands. Non à cause de leur nationalité, mais parce que les agresseurs qu’elle voyait parader dans les territoires occupés étaient les seuls Allemands auxquels le peuple français était confronté.