Citation
Le chef de l’Etat rwandais Paul Kagame est exaspéré par la
dernière initiative du juge antiterroriste Jean-Marc Herbaut de
rouvrir l’instruction judiciaire sur l’attentat contre l’avion du
président Habyarimana. Une rupture des relations diplomatiques
avec la France – la seconde en dix ans – est à l’agenda du
Rwanda. Avocats de l’Etat rwandais, Léon-Lef Forster et Bernard
Maingain décryptent en exclusivité pour AFRIKARABIA ces derniers
développements. maingain-forster
AFRIKARABIA : – L’instruction judiciaire ouverte à Paris sur
l’attentat du 6 avril 1994 qui a coûté la vie au chef de l’Etat
rwandais de l’époque, Juvénal Habyarimana, et à l’équipage
français de l’avion, semble à l’origine de la nouvelle crise
diplomatique entre Paris et Kigali. Pourquoi ?
Léon-Lef FORSTER : – Il faudrait rappeler tous les errements de
l’instruction confiée en 1998 au juge Jean-Louis
Bruguière. Résumons. Les premières plaintes étaient déposées avec
la participation active de monsieur Paul Barril, dont
l’implication possible dans l’attentat a fini par faire l’objet
d’investigations – mais ce ne fut pas le cas durant des années
puisque ce témoin « suspect » était traité comme un informateur
privilégié. Cette manipulation initiale de l’instruction en a
entraîné bien d’autres. Bruguière était le premier vice-président
de la section d’instruction « lutte anti-terroriste » du tribunal
de grande instance de Paris, à une époque où le fonctionnement de
cette unité était pour le moins très personnalisé et
artisanal. Et suspect de perméabilité aux ingérences
politiciennes. « Une instruction uniquement à charge »
Jean-Louis Bruguière a appliqué une feuille de route que l’on peut résumer
ainsi : prouver que l’Etat français n’était en rien responsable ou
co-responsable du génocide des Tutsi du Rwanda ; prouver au contraire que
l’attentat avait été commis à l’instigation du chef de la rébellion FPR, Paul
Kagame, ce qui eut pour effet direct de provoquer le génocide des Tutsis et de
l’emporter militairement sur le régime Habyarimana mis au ban de la communauté
internationale[i].
Bernard MAINGAIN : – Sur la foi d’extravagants « témoins »
souvent mus par leur opposition au gouvernement du Rwanda, le
juge Bruguière a mené une instruction uniquement à charge, sans
même se rendre au Rwanda, sans enquête balistique, sans
confrontations, etc., dans le plus grand secret. Les gestes
élémentaires qui s’imposent à tout magistrat instructeur dans le
cadre d’une gestion professionnelle de l’instruction n’ont pas
été posés pendant des années….
« Une lecture racialiste de l’histoire du Rwanda »
Le point d’orgue a été l’ordonnance de soit-communiqué (une sorte de résumé de
l’instruction), divulguée en 2006 à grand renfort de tapage médiatique et peu
après la parution d’un livre flétrissant la communauté Tutsi, le livre de
Pierre Péan, « Noire fureur, blancs menteurs ». Il s’agissait d’un véritable
réquisitoire contre Paul Kagame et ses collaborateurs les plus proches, ces
derniers faisant l’objet de mandats d’arrêt internationaux.
A peu près à la même époque, on a appris que Jean-Louis Bruguière avait mené
diverses démarches auprès de Carla Del Ponte, présidente du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda (TPIR) pour qu’elle inculpe Paul Kagame, protégé
de la justice française par son statut de chef d’Etat.
AFRIKARABIA : – L’ordonnance de soit-communiqué rédigée par Bruguière, et que
l’on trouve sur internet, a parfois été comparée aux « Dix commandements du
Hutu », le bréviaire de la haine des extrémistes hutus rwandais ?
Bernard MAINGAIN : – Ce n’est pas une bonne comparaison. L’ordonnance réécrit
l’histoire récente du Rwanda. Le manifeste est un outil de propagande
génocidaire. Cependant, il y a un point commun entre les deux textes que vous
citez : la volonté de diaboliser les Tutsi, en quelque sorte « responsables de
leurs propres malheurs ». De part et d’autre une lecture racialiste de
l’histoire du Rwanda. La diffusion en 2006 de « l’ordonnance de soit-communiqué
», où le juge Bruguière s’octroyait un statut d’historien réécrivant l’histoire
du Rwanda en dégainant des clichés racistes d’un autre âge, a provoqué
stupéfaction et colère à Kigali. « Pointer les carences de l’instruction, les
manipulations de témoins… »
C’est l’ordonnance de la rupture des relations diplomatiques car l’histoire du
Rwanda mérite un autre regard…et en France, il y avait suffisamment d’initiés à
la réalité du génocide pour ne pas commettre une accusation aussi grave…
AFRIKARABIA : – Relations rétablies trois ans plus tard… ?
Léon-Lef FORSTER : – En mars 2007, Jean-Louis Bruguière décida se de présenter
aux élections législatives et dut se mettre en congé de la magistrature. Son
adjoint, le juge Marc Trévidic, lui succéda. Sans entrer dans tous les détails,
disons que très rapidement les énormes failles du dossier apparurent :
l’absence d’expertise balistique, l’absence de confrontation avec les personnes
mises en cause, l’absence de reconstitution sur le terrain… Après l’arrestation
en Allemagne et l’extradition vers la France de Rose Kabuye, chef du protocole
de la présidence rwandaise, nous avons pu accéder au dossier et pointer les
carences de l’instruction, les manipulations de témoins. « Les officines
françaises de désinformation et leurs agents avaient perdu une part de leur
nocivité »
Le juge Trévidic a fait un travail de grande qualité, un travail de
marathonien. Il a renvoyé dans les cordes tous les faux témoins en se fondant
sur des preuves fortes et indiscutables. L’analyse balistique menée sur terrain
et dont les résultats ont été rendus publics en 2012 a démontré que les tirs de
missiles contre l’avion du président Habyarimana provenaient du camp Kanombe où
se trouvait la Garde présidentielle (GP) rwandaise… ainsi que quelques
militaires français, ou de ses abords immédiats, donc près de la résidence
présidentielle, elle-même fortement gardée par la GP.
Les expertises complémentaires ont validé cette analyse, sans parler de
l’analyse des experts de l’académie militaire de Londres commandités par la
commission Mutsinzi. Ces travaux disculpaient le Front patriotique dans
l’attentat du 6 avril 1994, puisque la thèse de Masaka survendue médiatiquement
et qui constituait l’ossature de tous les témoignages directs était mise à
néant. Le mensonge apparaissait au grand jour. Par ailleurs, depuis 2007, avec
l’élection de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, nous étions dans la logique d’un
réchauffement diplomatique avec la France. Ceci n’était pas neutre
judiciairement : les officines françaises de désinformation et leurs agents
avaient perdu une part de leur nocivité. Cet affaiblissement de la pieuvre des
complicités des extrémistes hutu était en route et l’on pouvait espérer une
évolution de la situation en France. Ceci ne concernait pas seulement le
présent dossier… « La révélation de l’expertise balistique a été vécue comme un
coup de tonnerre par les manipulateurs du dossier judiciaire »
Bernard MAINGAIN : – Le juge Trévidic a levé les mandats d’arrêt qui pesaient
sur les proches de Paul Kagame, même s’ils restaient mis en examen. Aussi les
relations diplomatiques ont-elles été rétablies en 2009. En février 2010,
Nicolas Sarkozy est venu au Rwanda et a reconnu « les graves erreurs » de la
France. L’année suivante, Paul Kagame est à son tour venu en visite d’Etat à
Paris. La révélation de l’expertise balistique a été vécue comme un coup de
tonnerre par les manipulateurs du dossier judiciaire.
Léon-Lef FORSTER : – Le climat entre les deux Etats semblait apaisé. Au niveau
judiciaire, nos clients attendaient en confiance une clôture de l’instruction
et une ordonnance de non lieu bien méritées. « Il faudra un jour rendre public
le cadastre de ces officines pro-Védrine et pro-Habyarimana dans l’appareil
d’Etat français »
AFRIKARABIA : – Pourquoi le juge Trévidic, assisté de Nathalie Poux, n’a-t-il
pas prononcé un non-lieu après l’expertise balistique et ses compléments, par
exemple la révélation, dès 2009, que la revendication de l’attentat par le FPR,
longtemps l’alpha et l’oméga de Bruguière, était un « montage » du
Renseignement militaire rwandais, à la manœuvre avant et pendant le génocide ?
Bernard MAINGAIN : – Nous acceptons les contraintes judiciaires d’une clôture
dans des dossiers de cette importance : obligation de poser tous les actes pour
s’assurer que l’instruction est complète, possibilités de recours contre nombre
d’actes d’instructions, observations et recours au moment de la clôture, etc.,
etc., … Ceci dit, les difficultés rencontrées par la défense peuvent être
datées politiquement. Chacun a pu observer, lire, entendre, voir dans tel
documentaire, après l’élection de François Hollande, le retour des mêmes
officines, des mêmes agents de désinformation. Il est clair aussi que les hauts
gradés français actifs au Rwanda ou à l’Elysée , avant le génocide, et qui
défendent bec et ongles la thèse Bruguière, ont retrouvé l’oreille du pouvoir.
Il faudra un jour rendre public le cadastre de ces officines pro-Védrine et
pro-Habyarimana dans l’appareil d’Etat français et même ailleurs. « Nous avons
été déçus que les juges français n’aient pas prononcé le non-lieu
qu’attendaient nos clients »
Croit-on au hasard lorsqu’on découvre que la démarche d’un avocat pour la
première réouverture de l’instruction en octobre 2014 a été soutenue par Pierre
Péan tandis que l’avocate de Monsieur Kayumba se trouve avoir été, – pur hasard
? – le conseil d’un haut gradé français inquiété pour ses connivences avec les
milieux génocidaires, et qui avait lancé une procédure contre le garde des
sceaux rwandais ?
Léon-Lef FORSTER : – Pourquoi le cacher : nous avons été déçus que les juges
français, obligés de quitter la cellule antiterroriste à proximité du terme de
leur mandat – dix ans – n’aient pas prononcé le non-lieu qu’attendaient nos
clients.
AFRIKARABIA : – La Garde des Sceaux Christiane Taubira, qui connaissait bien le
dossier et qui s’était rendue à Kigali à plusieurs reprises, ne semble pas
avoir fait preuve de beaucoup de détermination… ?
Léon-Lef FORSTER : – Il ne vous a pas échappé que Christiane Taubira, qui
devait représenter la France pour la vingtième commémoration du génocide à
Kigali, le 7 avril 2014, s’est vue interdire ce déplacement au dernier moment
par le Premier ministre, sous le prétexte du contenu soit disant déplaisant
d’une bande annonce d’une interview du Président Kagame par Jeune Afrique. Ce
fut le premier acte notable de Manuel Valls, nommé Premier ministre le 31 mars
2014. « Il est clair que le juge Bruguière a violé la vérité historique »
Le rappel de la vérité ne doit pas empêcher les peuples de se réconcilier. Le
premier ministre belge est venu demander pardon au peuple rwandais pour les
fautes commises et il s’est grandi, tout en créant les fondations d’une reprise
des relations d’amitié entre les peuples et leurs dirigeants. Est-ce là un
exercice si difficile dans la patrie des droits de l’Homme ?
AFRIKARABIA : – Est-ce la raison du refus obstiné de Kigali de recevoir les
lettres de créance de l’ambassadeur français ?
Bernard MAINGAIN : – Posez la question à Louise Mushikawabo, la ministre des
Affaires étrangères du Rwanda ! Il faut en tous cas s’interroger sur ce délai
d’attente. Ce n’est pas anodin. C’est un signe et en politique étrangère il est
des signes qui ne trompent pas.
AFRIKARABIA : – On comprend que le climat soit devenu exécrable entre Paris et
Kigali après l’élection de François Hollande, qui ne manque pas une occasion de
s’affirmer comme l’héritier politique et le continuateur de François
Mitterrand. Privée d’ambassadeur, de personnel, de moyens financiers, de
feuille de route, la représentation de la France à Kigali semblait ces derniers
mois une ombre d’ambassade. Ce qui n’est pas le cas de l’ambassade du Rwanda à
Paris, très active, qui rayonne sur une partie de l’Europe et à l’UNESCO.
Est-il vraiment de l’intérêt du Rwanda d’aller plus loin, de rompre toute
relation diplomatique avec la France ?
Bernard MAINGAIN : – Pour l’observer depuis longtemps, il me semble que la
diplomatie du Rwanda est dictée par des principes très forts, qui n’ont rien à
voir avec l’opportunisme. Parmi ces principes, la défense de l’Histoire du
Rwanda. Celle d’un vieil Etat-nation, bien antérieur à la colonisation. D’un
Rwanda uni, maître de son destin. Et non d’un Rwanda qui serait « le pays
divisé entre Hutu et Tutsi » comme l’a voulu le colonisateur. Il est clair que
le juge Bruguière a violé la vérité historique dans son ordonnance de
soit-communiqué. l’histoire du Rwanda n’est pas respectée. « Aujourd’hui, nous
avons l’impression d’un remake du scénario Bruguière. »
Et si vous regardez l’histoire judiciaire française quel jugement porter ? La
justice française a acquitté Pierre Péan dont l’ouvrage contient des paroles
injurieuses pour toute la communauté tutsi du Rwanda. La justice française a
permis de créer un sanctuaire pour des dizaines de rwandais dont elle refuse
l’extradition. Non contente de ne pas les extrader, elle ne les juges pas à de
rares exceptions. Deux procès en vingt deux ans, est-ce raisonnable, sans
compter le silence médiatique qui entoure ces procès de la honte. Une justice
qui ne s’est jamais inquiétée de la présence sur son territoire de français
complices du génocide. Et la seule justice qui semble apparemment fonctionner
est celle qui concerne l’enquête sur l’attentat … Au moment où la preuve est
rapportée de l’existence d’une manipulation aussi lourde dans l’histoire
judiciaire que celle qui a emporté le dossier Dreyfus, l’on poursuit les
recherches et interrogations en vue de créer le doute et sans poser le moindre
geste par rapport aux manipulateurs du dossier. Ne pensez-vous pas qu’il y a là
matière à indignation pour un peuple qui a subi le dernier génocide du XXème
siècle. C’est en tous cas le message unanime de tous nos clients aux magistrats
instructeurs.
AFRIKARABIA : – « Pas respectée » ? Expliquez-vous.
Léon-Lef FORSTER : – Aujourd’hui, nous avons l’impression d’un remake du
scénario Bruguière. Un formidable retour en arrière pour mettre entre
parenthèses les avancées du dossier par le juge Trévidic. Les conclusions de
l’expertise balistique sont reléguées au second plan. Voici le retour des «
témoins à charge ». Les juges d’instruction rouvrent le dossier en arguant d’un
nouveau témoin à entendre. Il s’agit du général Kayumba Nyamwasa, réfugié en
Afrique du Sud depuis 2010. Depuis cette date, c’est la chronique d’un
témoignage annoncé, d’une révélation avec des preuves matérielles toujours
annoncées jamais rapportées… « Jusqu’en 2010, Nyamwasa n’a rien à dire, ni aux
magistrats, ni aux journalistes »
Fin juin 2016, il a demandé par avocate interposée, à être entendu « dès que
possible », et il a joint un témoignage écrit, authentifié par un notaire
sud-africain. Il a écrit qu’il souhaitait être entendu à Paris… et a fait dire
qu’il ne se déplacerait pas à Paris. C’est la énième annonce et ce, après
l’expiration du délai de trois mois signifié à toutes les parties civiles à
aucune de mande de nullité de l’information ni à aucune demande d’acte.
AFRIKARABIA : – Vous pourriez être intéressés par un tel témoignage ?
Bernard MAINGAIN : – Nous sommes pour le moins surpris qu’il intervienne si
tard. Le général Kayumba Nyamwasa était cité comme l’un des auteurs de
l’attentat dans l’ordonnance de soit communiqué signée par le juge Bruguière le
17 novembre 2006, voici presque dix ans. Une ordonnance largement diffusée dans
les semaines qui ont suivi. Monsieur Nyamwasa était alors ambassadeur en Inde
et il ne pouvait ignorer que l’ordonnance l’accusant nommément de crime était
truffée d’erreurs et comportait de nombreuses inexactitudes, pour ne pas dire
des énormités. Rappelons que le 6 avril 1994, Monsieur Nyamwasa n’était pas un
planton lambda dans une guérite ou une tranchée. Il était directeur du
Renseignement militaire de l’Armée patriotique rwandaise. Personne n’était
mieux renseigné que lui.
Léon-Lef FORSTER : – Jusqu’en 2010, date où, accusé de fomenter un coup d’Etat,
il s’enfuit du Rwanda, Monsieur Nyamwasa ne prend aucun contact avec les
autorités judiciaires françaises et n’a rien à dire, ni aux magistrats, ni aux
journalistes, à propos de l’affaire. Alors que pendant toutes ces années il a
fait partie des organes dirigeants du Rwanda, et puis être ambassadeur en Inde
au moment du soit-communiqué de monsieur Bruguière. « C’est l’époque où il est
accusé de fomenter un coup d’Etat contre le gouvernement de Kigali. »
Bernard MAINGAIN : – Au début de 2012, le rapport d’expertise balistique situe
le point de départ du tir de missiles au camp de la Garde présidentielle ou à
ses abords immédiats, ce qui disculpe le FPR. L’ex-général Kayumba devrait être
soulagé d’être ainsi innocenté. Mais non : il se contente d’effets d’annonce…
Léon-Lef FORSTER : – A cette date, le général Kayumba Nyamwasa est le seul mis
en cause à n’avoir pas été entendu par le juge Trévidic, et ainsi le seul à
rester la cible d’un mandat d’arrêt international. Il ne dit rien. Alors qu’il
aurait parfaitement pu se présenter au juge à tout moment, volontairement.
Bernard MAINGAIN : – Après le rapport d’expertise, les juges antiterroristes
ont adressé à l’Afrique du Sud une commission rogatoire internationale. Ils
demandaient à entendre l’ex-général sur place. Les autorités judiciaires
sud-africaines ne répondent pas, malgré plusieurs relances. La presse s’en fait
l’écho. M. Nyamwasa en est évidemment informé. Il pourrait agir de lui-même,
par exemple prendre son téléphone et appeler les juges français. Il pourrait
leur adresser un témoignage écrit. Mais rien de tel. C’est l’époque où il est
accusé de fomenter un coup d’Etat contre le gouvernement de Kigali. « Cette «
contribution » se limite à une interview dans un documentaire négationniste »
Cette opération de déstabilisation se révèle chimérique, et tout à coup M.
Nyamwasa trouve urgente l’enquête française. Le 20 octobre 2011, un autre
transfuge, Gérald Gahima, ancien procureur général du Rwanda, se présente aux
juges antiterroristes comme mandaté par Kayumba Nyamwasa pour assurer sa
défense. Il fournit une version floue et pleine de contradictions de l’attentat
et annonce que Monsieur Kayumba veut être entendu rapidement.
C’était il y a cinq ans. Ensuite, silence radio de Monsieur Kayumba.
Léon-Lef FORSTER : – C’est dans ce contexte qu’en juillet 2014 une première
clôture de l’instruction est décidée par Madame Poux et Monsieur Trévidic. Ca
ne fait pas l’affaire de Monsieur Nyamwasa : le 21 août 2014 par
l’intermédiaire d’un avocat sud africain, il déclare être prêt à contribuer à
la manifestation de la vérité. Cette « contribution » se limite à une interview
dans un documentaire négationniste diffusé par la BBC, intitulé « Rwanda. The
untold story ». En fait de « révélations », l’ex-général se plaint d’abord que
les autorités françaises ne le contactent pas, malgré ses demandes, ce qui est
un comble lorsque l’on connait les efforts répétés des magistrats instructeurs
en France ! « C’est le même homme qui nous dit : rien vu, rien
entendu….jusqu’au 6 avril 1994 à 22 heures »
Bernard MAINGAIN : – A cette époque, nous sommes confrontés à de nouvelles
demandes dilatoires, pour empêcher la clôture définitive de l’instruction.
C’est une constante depuis la communication de l’expertise balistique : les
plaignants et leurs amis, s’appuyant sur des témoignages et des « affaires »
montés de toutes pièces – qui ensuite s’effondrent comme des châteaux de cartes
-, tentent par tous les moyens de renvoyer aux calendes grecques la clôture du
dossier.
Nyamwasa déclare ainsi dans ce documentaire : « A l’époque, j’étais responsable
des renseignements militaires. C’est impossible que je ne sois pas au courant
de qui a mené l’attaque [le tir de missiles contre le Falcon présidentiel] et
de ce qui s’est passé ».
Dans le document qu’il vient d’envoyer aux deux juges antiterroristes, il
déclare exactement le contraire. Selon lui, il n’était au courant de rien
jusqu’au 6 avril au soir à 22 heures. Cela a bien fait rire nos clients. Si
cette histoire était vraie, croyez vous vraiment que le patron du renseignement
du FPR ignorerait les mouvements de missiles entre Mulindi et le CND, qu’il ne
saurait pas où un missile sol air sophistiqué aurait été stocké au CND ou
encore comment le commando aurait opéré. Croyez vous vraiment qu’il puisse ne
pas être informé d’une aventure pareille ? C’est le seul personnage cité aussi
souvent par tous les faux témoins du récit fantasque de Masaka. Ce ne fut pas
un hasard. Tous devaient l’impliquer dans leur récit imaginaire compte tenu des
fonctions qu’il occupait s’ils voulaient essayer d’être crédibles. Et c’est le
même homme qui nous dit : rien vu, rien entendu….jusqu’au 6 avril 1994 à 22
heures… Comprenne qui pourra. « Nous aurions compris une réouverture de
dossier sur base d’éléments matériels solides »
Léon-Lef FORSTER : – Tout ceci est un mélange de ruse et d’infantilisme
navrant. En quelque sorte, le responsable du Directorate of Military
Intelligence (DMI), l’un des hommes les plus puissants du Rwanda avant, pendant
et après le génocide, prétend n’apprendre qu’après coup les épisodes militaires
les plus importants. Ce qui lui permet d’accuser ses camarades tout en jouant
les Ponce Pilate. Tout ceci est un mélange de ruse et d’instrumentalisation de
la justice
AFRIKARABIA : – Qu’est-ce qui ressort du document de 16 pages adressé par
Monsieur Nyamwasa aux juges antiterroristes ?
Bernard MAINGAIN : – Un fouillis de déclarations contradictoires, qui ne
s’appuie sur aucune preuve, aucun élément matériel. Nyamwasa a visiblement une
connaissance fine du dossier d’instruction, il démonte les faux témoignages
(que ne les a-t-il dénoncés plus tôt !) pour innocenter tout le monde sauf ses
pires ennemis politiques…. Nos clients ne s’y sont pas trompés et ont refusé
cette tentative de division. Quant à nous, autant nous aurions compris une
réouverture de dossier sur base d’éléments matériels solides, autant nous avons
peine à accepter une réouverture sur base d’un aveu qu’on était simple témoin
indirect. « Nous sommes extrêmement choqués de la perméabilité du dossier aux
manipulations dilatoires »
Depuis 1998, tout le dossier est truffé de témoins indirects, comme par hasard
tous des opposants du gouvernement rwandais.
AFRIKARABIA : – Comment a-t-il eu accès au dossier ?
Léon-Lef FORSTER : – Nous l’ignorons. Mais c’est bien étrange.
AFRIKARABIA : – Il semble que le conseil à Paris de Monsieur Kayumba Nyamwasa
soit Me Véronique Truong, une avocate qui ne s’est pas signalée pour sa
connaissance particulière du Rwanda, à une exception notable : elle est
l’avocate de l’ancien chef d’état major particulier de François Mitterrand, le
général Christian Quesnot. On la voit apparaître dans la plainte pour
diffamation déposée par le général Quesnot contre le ministre de la Justice du
Rwanda Tharcisse Karugarama, en raison des accusations portées par la «
Commission Mucyo » listant des crimes commis par des militaires français au
Rwanda ?
Léon-Lef FORSTER : – Vous êtes bien renseigné.
AFRIKARABIA : – Quelles conclusions en tirez vous ?
Bernard MAINGAIN : – Nous n’avons pas à commenter l’action de nos confrères et
consoeurs. Chacun est libre d’agir à sa guise dans l’intérêt de ses clients,
pour autant qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt entre plusieurs clients.
AFRIKARABIA : – Avocate à la fois du général Quesnot et de Kayumba Nyamwasa,
c’est quand même surprenant ?
Léon-Lef FORSTER : – Pas d’autre commentaire sous la seule réserve de ce que
mon confrère Maingain vous a dit ci-dessus.
AFRIKARABIA : – Revenons-en pourtant à ce dernier avatar du dossier. Quelle
appréciation portez-vous sur la réouverture de l’instruction judiciaire,
motivée par la décision des juges d’entendre Kayumba Nyamwasa ?
Léon-Lef FORSTER : – Nous sommes extrêmement choqués de la perméabilité du
dossier aux manipulations dilatoires. Aucun des faux témoins, aucun des
manipulateurs n’a été poursuivi dans ce dossier qui n’en a pourtant pas manqué,
ce qui a visiblement donné un sentiment d’impunité aux hommes de l’ombre qui
tirent les ficelles. « Les actes posés au nom de l’Etat français engagent la
responsabilité de leurs auteurs pour les crimes de génocide et les crimes
contre l’humanité »
Le prétendu témoignage de monsieur Kayumba Nyamwasa n’a qu’une valeur très
relative du fait que lui-même est sous le coup d’un mandat d’arrêt et
soupçonné, ce qui ne peut guère crédibiliser sa déclaration. Et qu’au surplus
il se présente lui-même comme un témoin indirect n’ayant eu connaissance des
faits qu’après leur perpétration.
Bernard MAINGAIN : – Au début de cette interview, vous nous demandiez
d’expliquer pourquoi la gestion des plaintes pour l’attentat du 6 avril 1994
semble conduire à une nouvelle rupture des relations diplomatiques entre Kigali
et Paris. A Kigali, l’on regarde l’attitude de la France dans sa globalité. Le
comportement politique, les initiatives diplomatiques, la gestion judiciaire
des contentieux rwandais.
Il faut rappeler que les complicités et les actes posés au nom de l’Etat
français engagent la responsabilité de leurs auteurs pour les crimes de
génocide et les crimes contre l’humanité qui ont été commis. Les procédures
judiciaires ont aussi une résonnance politique ce que le continent noir
n’ignore pas lui qui a lourdement payé dans l’histoire judiciaire, l’état de
droit des puissances d’esclavage et des pouvoirs coloniaux.
La signification profonde de l’indignation actuelle est claire : ce ne sont pas
les juges français qui vont porter l’histoire du génocide rwandais dans leurs
récits judiciaires, et ce d’autant moins lorsqu’on regarde la faillite de
l’exercice de la fonction de juger dans ces matières au cours des vingt
dernières années. Le Rwanda est un Etat qui porte une voix de dignité pour
l’Afrique entière et il a décidé de recouvrer cette dignité dont tant de ses
membres, dont les familles de nos clients, ont payé le prix fort il y a un peu
plus de vingt ans. C’est cela la leçon des événements récents.
Propos recueillis par Jean-François DUPAQUIER