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Des carcasses de voitures jonchent les rues. La plupart des maisons aux
vitres brisées portent des traces d'impacts de balles. Des murs de sacs
de sable protègent les carrefours et l'entrée des principaux bâtiments.
Dans Kigali, les militaires sont omniprésents, et les véhicules des
Nations unies pratiquement seuls à circuler. L'électricité n'est
disponible que quelques heures par jour l'eau est partout absente.
Malgré tout, la vie reprend peu à peu son cours. Des échoppes et des
bars ont déjà rouvert leurs portes. Le marché fonctionne à nouveau,
mais, sur les étals, on trouve surtout des produits du pillage.
Hétéroclites assemblages où voisinent chaussures et serrures, des
paquets de Kleenex et de somptueuses cafetières électriques. Les
produits frais fruits, légumes, oeufs ou viande sont plutôt rares et
toujours chers.
Ce n'est plus la guerre, mais pas encore la paix. Le long des routes qui
desservent les multiples collines de la ville, des centaines de réfugiés
tentent de remettre leur maison en état. Dans le centre de Kigali, la
paroisse Saint-Paul en accueille quelques dizaines par jour qui rentrent
de Goma. " Nous leur fournissons le gîte et des provisions sous la forme
de sacs de maïs pour qu'ils puissent rejoindre leur village ", dit Jean
Harelinama, qui s'occupe des premiers secours, expliquant que beaucoup
de gens sont toujours terrorisés.
David Karegeya a fui Kigali à la fin du mois d'avril. Il est rentré, ce
week-end, dans la capitale rwandaise après trois jours de marche depuis
un village du centre du pays. Ancien magasinier dans une entreprise de
la zone industrielle aujourd'hui dévastée, il dit " avoir confiance, car
plus personne ne nous menace aujourd'hui ". Son retour s'est fait "
après qu'un des habitants du village est venu à Kigali et nous a rassuré
sur la situation à son retour ". Il est tout " heureux d'avoir rencontré
un ami parce que, le plus souvent, chacun croyait l'autre mort ".
Ciel saturé
Dans ce contexte d'après-guerre, un certain malaise continue de régner à
Kigali. La liquidation d'un ancien dirigeant politique a été suivie de
pressions sur l'une de ses filles, secrétaire d'un officier de l'ONU,
qui a dû être protégée. " Il est significatif à cet égard, confie un
militaire, que la plupart des Hutus qui possédaient une maison dans la
capitale ne soient pas encore revenus. " Même si la peur s'estompe,
l'inquiétude demeure.
Lors d'une conférence de presse, vendredi 29 juillet, le nouveau
président du Rwanda, Pasteur Bizimungu, a insisté sur la nécessité d'une
normalisation politique, tout en souligant que " le concept de
réconciliation ne peut être fondé sur l'impunité ". Il a indiqué à ce
sujet que, lors de sa rencontre les 25 et 26 juillet à l'île Maurice,
avec le président zaïrois Mobutu, ce dernier avait " accepté de désarmer
les extrémistes et d'empêcher toute tentative de déstabilisation du
Rwanda qui pourrait être menée depuis le Zaïre ".
Le chef de l'Etat a encore une fois souhaité le retour des réfugiés, se
félicitant du large appui reçu en la matière de la part de la communauté
internationale. Le Haut-Commissaire de l'ONU pour les réfugiés (HCR),
Sadako Ogata, a indiqué dimanche à Kigali que son agence était disposée
" à mettre à la disposition des réfugiés des moyens de transport pour
rentrer chez eux ". Le délégué du Comité international de la Croix-Rouge
(CICR), Jean-François Sangsue, a souligné qu'il fallait " éviter que la
catastrophe humanitaire qui s'est produite à Goma ne se reproduise dans
l'autre sens ".
Le problème du jugement des criminels reste un point délicat. Le premier
ministre, Faustin Twagiramungu, a beau souligner que " le ministre de la
justice est en place " et souhaiter " disposer d'un tribunal
international ", le nombre de ceux qui pourraient être poursuivis reste
très flou. Le CICR n'a pu recenser que " quelques centaines de
prisonniers ".
La logistique, qui connaît d'inévitables ratés, freine le retour à la
normale. Ainsi, vendredi, le manque de fuel a retardé les rotations
d'avions au départ des aéroports de Nairobi, au Kenya, et d'Entebbé, en
Ouganda. La saturation aérienne est telle à Goma un avion se pose toutes
les trois minutes sur un aéroport qui n'a pas été prévu pour pareil
trafic que les Transall et autres Hercules sont parfois contraints de
tourner en l'air plus de deux heures avant d'atterrir.
Les difficultés d'acheminement font enrager certains responsables de
l'ONU. Ainsi, pour " ce campement de 500 personnes prévu pour Kigali, le
transport par avion a été décidé il y a deux semaines, raconte un
officier, le tout pour un coût de 1,5million de dollars alors qu'un
transport par camion et par bateau aurait été beaucoup moins coûteux et
finalement aussi rapide ". D'autres citent, pêle-mêle, " le coût du
transport pour 6 000 dollars depuis, le Cambodge, d'armoires métalliques
qui ne valent pas le dixième de cette somme ".
Des peccadilles évidemment au regard de la tâche qui incombe aux
différentes organisations internationales et aux militaires, mais
révélatrices des difficultés rencontrées malgré l'importance des moyens
mis en oeuvre. Les premiers contingents américains 200 hommes sur les
500 prévus ont débarqué, ce week-end, à Kigali. Lors d'une brève visite
dans la capitale, le secrétaire d'Etat américain à la défense, William
Perry, s'est félicité de " l'ouverture nuit et jour de l'aéroport ".
Le premier ministre rwandais, qui se trouvait aux côtés de M. Perry, a
de nouveau insisté sur " le nécessaire retour de tous ceux qui ne sont
pas criminels et qui sont les bienvenus ici ". Appel qui, pour l'heure,
a reçu peu d'écho et dont Mme Ogata a souligné en définitive les limites
: « Nous n'avons pas la capacité de ramener deux millions de personnes. »