Fiche du document numéro 16797

Num
16797
Date
Jeudi 7 juillet 2016
Amj
Taille
197573
Titre
Rwanda : l’indifférence, un racisme qui ne dit pas son nom
Sous titre
Pour la seconde fois, une cour d’assises française a jugé des Rwandais accusés de génocide dans leur pays en 1994 (un million de morts entre avril et juillet). Les deux hommes ont été jugés coupables de crimes contre l’humanité et de génocide et viennent d’être condamnés le jeudi 7 juillet à la réclusion criminelle à perpétuité.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le procès de deux génocidaires rwandais vient de s’achever en France. Il a duré plus de 9 semaines. Le dossier représente 30 tomes de procédure. 90 témoins ont été entendus. Ce procès, tout aussi historique que le furent avant lui les procès Barbie, Touvier, Papon, s’est déroulé dans une indifférence quasi générale de l’opinion publique comme des médias, des intellectuels comme des politiques. A l’entrée du palais, ni cohue, ni file d’attente. Il faut se rendre à cette évidence : le génocide rwandais n’intéresse pas, en dehors des victimes et des associations qui militent pour que justice soit rendue.

Pourtant, entre le 7 avril et le 4 juillet 1994, le Rwanda, pays de 7 millions d’habitants, est devenu un enfer sur terre : 1 million de morts en 100 jours. En moyenne, 10 000 hommes, femmes ou enfants sont tués chaque jour. Au début de l’été 1994, le Rwanda était devenu un immense charnier.

A l’égard du drame des Tutsis, pourquoi avons-nous en France et en Europe, détourné le regard ? On peut trouver plusieurs explications qui viennent spontanément : l’éloignement géographique ou historique. Certes, mais ces explications ne sont pas suffisantes et le mal est plus profond. Beaucoup d’exemples démontrent que nous sommes prêts à nous indigner pour bien moins. Dès juin 1994, en plein génocide, lors d’un journal télévisé, Charles Pasqua, alors de Ministre de l’Intérieur, a vendu la mèche. Pour lui, «il ne faut pas croire que le caractère horrible de ce qui s’est passé là-bas a la même valeur pour eux que pour nous». Que des Africains se massacrent par millions, ce ne serait finalement pas si grave car les Africains auraient la machette facile, «l’Homme africain n’est pas encore entré dans l’Histoire», le sens de la vie et de la mort ne serait pas le même que dans le monde occidental. S’entre-tuer, en Afrique, ce serait culturel. Et puis, une vie de plus, une vie de moins, ce ne serait pas un drame : ils sont tellement nombreux. Nous voilà plongés en plein racisme post-colonial, en plein relativisme, en pleine négation de l’universalité des droits humains. Un Tutsi mort n’aurait pas «la même valeur» qu’un Français mort. Voilà ce qui taraude notre inconscient collectif et qui explique, pour une large part, l’indifférence du monde au sort des victimes du génocide commis au Rwanda en 1994.

Les victimes Tutsis ont pourtant droit à la même considération, à la même reconnaissance et à la même justice que les victimes du génocide arménien, de la Shoah ou de la purification ethnique en Ex-Yougoslavie.

Si on leur dénie ce droit, alors on accrédite l’idée qu’il y aurait des explications exclusivement singulières et contextuelles à l’extermination de populations entières alors qu’une seule cause produit à chaque fois les mêmes effets : la haine des autres pour ce qu’ils sont et qui conduit à vouloir les rayer de la carte. A chaque fois, c’est le racisme qui conduit à la mort. Tous les génocides sont des crimes racistes.

Si on leur dénie ce droit, alors on accrédite l’idée qu’il y aurait plusieurs catégories d’êtres humains, on porte un coup supplémentaire à l’unité biologique du genre humain et on racialise le monde. En somme, on justifie la haine raciale.

Elie Wiesel, dont nous pleurons aujourd’hui la perte immense, déclarait en conclusion de son témoignage lors du procès Barbie : «Le tueur tue deux fois. La première fois en donnant la mort, la seconde en essayant d’effacer les traces de cette mort. Nous n’avons pas pu éviter la première mort, il faut à tout prix empêcher la seconde. Cette mort-là serait de notre faute». C’est le sens du combat que la Licra mène depuis bientôt 90 ans. Et au même titre que la Licra est née de la défense de Samuel Schwartzbard, au même titre qu’elle était là au procès de Barbie, de Touvier, de Papon, elle avait le devoir d’être là pour dire l’universalité des Droits de l’Homme et demander que justice soit rendue en leur nom.

Sabrina Goldman avocat , Rachel Lindon Avocat

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