Citation
France - Rwanda - intervention à titre humanitaire
Q - S'agissant du Rwanda, depuis des semaines l'indignation est
absolument générale partout dans le monde ; est-ce que vous pensez que
l'intervention que vous prônez depuis hier soir peut servir à quelque
chose ?
Q - Je l'espère de tout cœur ; nous nous sommes beaucoup engagés
depuis quelques semaines, depuis que cette tragédie qui dépasse les
limites de l'horreur s'est déclenchée, d'abord sur le plan
humanitaire, il faut savoir qu'il y a déjà des organisations non
gouvernementales, la Croix Rouge et le Haut Comité aux Réfugiés, avec
l'aide de la France...
Q - Oui, mais visiblement l'humanitaire ne sert pas à grand chose, ne
sert pas en tout cas suffisamment...
R - Attendez, je voudrais quand même expliquer ce qu'on a fait parce
qu'il ne faut pas trop simplifier dans cette affaire. Nous avons agi
sur le plan humanitaire, il faut d'abord le rappeler. Nous le faisons
encore aujourd'hui, il y a aujourd'hui des gens sur le terrain qui
font cela et qui sont en train, aujourd'hui même, d'essayer de faire
sortir de jeunes orphelins de Kigali pour les ramener à l'abri du
risque d'extermination qui les menace. Deuxièmement, nous avons essayé
d'obtenir l'envoi d'une force des Nations unies et il a fallu beaucoup
batailler pour cela, à New-York, elle n'arrive pas ; enfin nous avons
essayé d'obtenir un cessez-le-feu ; il a été signé sur le papier hier
à Tunis...
Q - Mais visiblement pas respecté...
R - Malgré tous les efforts diplomatiques que nous avons faits, il
n'est pas respecté ; c'est pour cela qu'aujourd'hui, devant
l'impossibilité de faire respecter le cessez-le-feu, devant les
retards qui sont pris par les Nations unies, les 5.500 hommes qui
devaient être envoyés sur le terrain, la France a dit, nous sommes
prêts à y aller ; nous sommes prêts à y aller parce qu'il faut faire
cesser l'extermination qui continue jour après jour.
Q - Est-ce la France est prête à y aller toute seule ?
R - Non, nous pensons qu'il faut y aller avec nos partenaires européens...
Q - Alors avec qui ? les Belges aujourd'hui disent, nous ne sommes pas
prêts à y aller, aide logistique peut-être mais certainement pas des
hommes. La Grande-Bretagne aussi. Donc quels pays ?
R - Je voudrais dire que dès que nous avons lancé cette idée, et sans
précipitation bien entendu, sérieusement, nous avons essayé de prendre
des contacts, ils ont été pris cet après- midi avec nos partenaires
européens, les Italiens, les Belges, les Espagnols, d'autres encore et
nous sommes en train de voir quelle peut être la réponse à la demande
lancée par la France.
Il faut aussi qu'il y ait des pays africains qui participent à cette
opération et nous avons déjà des réponses positives de plusieurs pays
que je ne citerai pas parce que vous sentez bien qu'on est en train de
monter quelque chose d'un peu complexe et sans doute de dangereux et
qu'une certaine discrétion est nécessaire.
Q - Pour quelle échéance ?
R - Il faut aller vite je crois, mais je le répète, il faut que cette
opération, qui est dangereuse, soit convenablement montée en liaison
bien sûr avec les responsables de la Défense ; c'est la raison pour
laquelle le Président de la République, le Premier ministre, le
ministre de la Défense, moi-même, en avons délibéré hier dès que
l'idée a été lancée en direction de nos partenaires.
Q - Et dans votre esprit ces soldats iraient au Rwanda ou seraient
basés dans les pays voisins pour des interventions ponctuelles ?
R - C'est une opération humanitaire. Il s'agit d'aller sauver les
populations ; on a vu tout à l'heure les survivants qui sont sur les
routes, il y en a qui sont entourés, encerclés, menacés
d'extermination et c'est ceux-là que nous voulons protéger. Il ne
s'agit pas d'une opération d'intervention politique pour aller
départager les deux camps, c'est une opération humanitaire pour
protéger les populations.
Q - Précisément, pour mesurer la difficulté de la tâche, il faut
savoir que même le Front patriotique du Rwanda dirigé par des Tutsis
et en lutte contre les forces gouvernementales, rejette aujourd'hui
l'initiative de la France qui selon eux ne ferait que protéger les
bourreaux hutus. Je vous propose d'entendre Jacques Bihozagara, qui
est l'un des chefs du FPR, une déclaration faite à Bruxelles cet
après-midi.
R - Jacques Bihozagara -
S'il y a des troupes françaises dans l'esprit qui a été donc hier
décrit et défini par le ministre français des Affaires étrangères,
nous avons considéré ça comme une provocation et nous allons y
répondre.
S'ils viennent pour occuper le terrain et s'ils viennent sans nous
consulter et si comme cela s'annonce, ils viennent en fait pour
attaquer le Rwanda, nous sommes prêts à défendre le Rwanda.
Q - Même les populations tutsies donc ne semblent pas prêtes à vous
accueillir alors que c'est précisément elles que l'on espère pouvoir
aller défendre ?
R - Le Ministre
Je comprends parfaitement cette réaction, les massacres et les
horreurs ont été tels qu'il y a forcément une bonne dose de passion et
d'incompréhension ; il faut lever cette incompréhension. Il y a des
responsables du FPR à Bruxelles, il y en a aussi au Rwanda et nous
sommes en train de leur parler, en ce moment même, pour essayer de
leur expliquer.
J'entendais ce responsable tutsi dire que nous allions occuper le
Rwanda ; je viens de vous expliquer de quoi il s'agissait, c'est tout
le contraire. Il ne s'agit pas pour nous de monter une opération à
caractère politique visant à prendre position pour un clan contre
l'autre, mais au contraire de protéger toutes les populations à
commencer par la population tutsie lorsqu'elle est menacée et j'ai bon
espoir qu'en expliquant cela, nous parviendrons à convaincre.
Q - Et vous pensez que dans ce pays où on a atteint un degré de
barbarie absolument inimaginable, on peut faire de l'humanitaire sans
faire du militaire ?
R - Evidemment. D'abord nous en faisons, et ensuite nous avons lancé...
Q - Apparemment, pour l'instant, malheureusement ça ne sert pas à grand chose.
R - Non mais vous comprenez, il faut savoir ce que l'on veut : il y a
48 heures, trois jours, quatre jours, on reprochait à la France de ne
pas en faire assez ; aujourd'hui nous sommes le premier pays et le
seul à dire, on est prêt à y aller et on nous dit que ce n'est pas
assez.
C'est une proposition, je tiens bien à le souligner, qui doit être
coordonnée avec nos partenaires, avec le feu vert des Nations unies,
pour une durée limitée et sur des objectifs précis.
On ne va pas aller faire la guerre au Rwanda, ce n'est pas de cela
qu'il s'agit. Soyons sérieux, on va faire une opération pour sauver
des vies dans le cadre que je viens de dire et c'est la France qui la
première le dit.
Alors je pense que cela mérite d'être pris en considération. Si tout
le monde nous répond non, eh bien chacun situera les responsabilités.
Q - La France était extrêmement présente sur le plan militaire
notamment au début des années 90, le gouvernement n'était d'ailleurs
pas le même. Est-ce que vous estimez qu'il n'y a pas eu une certaine
forme de lâcheté à se retirer dès la mort du Président assassiné ?
R - Il faudrait refaire le point parce qu'on a dit n'importe quoi sur
ce qui s'est passé au Rwanda depuis des années et des années. Ce
n'était pas notre gouvernement, donc je le dis avec d'autant plus de
liberté...
Q - Peu importe d'ailleurs...
R - Peu importe, vous avez raison, c'était la France. Depuis des
années et des années. Qu'est-ce que nous essayons de faire au Rwanda
? Eviter la confrontation ethnique, permettre aux modérés de se mettre
ensemble pour gouverner ensemble ce pays parce que les Hutus ne
gouverneront pas seuls, et les Tutsis ne gouverneront pas seuls ; et
nous avions réussi.
Je voudrais quand même rappeler qu'au mois d'août dernier, ce n'est
pas si loin, à Arusha, un accord avait été signé qui prévoyait le
partage du pouvoir et le Président Habyarimana avait accepté cela ;
c'est pourquoi nous l'avons soutenu avec un dispositif très léger en
attendant que les forces des Nations unies arrivent.
Q - ...700 hommes environ ?
R - Un peu moins à la fin, et puis la force des Nations unies a pris
notre relais, il n'y avait plus de soldats français au début de cette
année ; c'était des soldats belges, des soldats ghanéens qui
constituaient ce qu'on appelle la MINUAR 1, la force des Nations unies
pour le Rwanda numéro un.
Et là-dessus, vous le savez, est survenu l'assassinat du Président
Habyarimana dans l'avion qui le transportait et la folie qui s'est
déclenchée, le génocide.
A ce moment-là, bien évidemment, la MINUAR a estimé, telle qu'elle
était, qu'elle n'avait pas les moyens de s'interposer, ce n'était pas
son rôle.
Nous avons donc joué la carte que j'ai dite, le cessez-le-feu, la
venue d'une nouvelle force des Nations unies plus nombreuse, 5.500
hommes, avec une nouvelle mission et également pour essayer avec les
pays de la région d'obtenir la reprise du processus politique.
Je constate aujourd'hui, après quelques semaines, que cela n'aboutit
pas et je pense donc qu'il faut faire quelque chose d'autre, quelque
chose de plus, c'est ce que la France propose à ses
partenaires. J'espère et je le dis vraiment avec toute l'émotion que
suscite ce drame horrible, qu'on va nous répondre oui et que nous
allons pouvoir dans les prochains jours le faire.
Q - Gérard Longuet, votre collègue du gouvernement, disait tout à
l'heure qu'il fallait aller au Rwanda mais qu'il fallait également y
rester jusqu'à ce qu'on trouve une solution politique ; cela n'est
apparemment pas ce que vous me disiez, il y a un instant ?
R - Je parle au nom du gouvernement. Le Premier ministre a pris une
décision en accord avec le Président de la République, je suis chargé
ici de l'exposer. Nous avons décidé d'y aller, je le répète, pour
sauver des vies, pas pour faire la guerre. Nous avons décidé d'y aller
avec nos partenaires européens et africains. Nous avons décidé d'y
aller pour une durée limitée et sur des objectifs précis. Voilà ce que
nous proposons. Quand on engage des vies puisqu'il va y avoir
peut-être, si cela marche, des soldats français en cause, eh bien on
cadre bien les opérations ; on n'y va pas à l'aveuglette et pour une
durée indéterminée.
France - ex-Yougoslavie - Bosnie - redéploiement du contingent
français de la FORPRONU
Q - Une dernière question peut-être, Monsieur le Ministre, sur la
Bosnie, est-ce que nos casques bleus vont rentrer bientôt, est-ce
qu'il y a une date butoir qui existe pour leur éventuel retour de
Bosnie ?
R - Tout le monde sait bien que s'il ne se passe rien pendant l'été,
il faudra bien en tirer les conséquences mais vous savez, on ne
souligne en ce moment que les aspects les plus négatifs et ce qui ne
marche pas. Je voudrais quand même insister sur un point, c'est qu'il
y a un cessez-le-feu en Bosnie depuis maintenant plusieurs jours, il a
pris effet le 10 juin et il est respecté.
Il y a ici ou là quelques petites entorses marginales mais globalement
la paix... est revenue ou en tout cas, sinon la paix, du moins le
cessez-le-feu. Sarajevo revit, l'Union européenne est en train
d'organiser dans une ville qui a été martyre, qui s'appelle Mostar,
les conditions de la reconstruction, avec des forces de police sous le
sigle de l'Union de l'Europe occidentale. Donc quand on dit que
l'Europe a échoué en Yougoslavie, je ne prétendrai pas le contraire
mais elle est en train, je crois, et très souvent à l'initiative de la
France, de se racheter et de monter un processus qui peut, si chacun y
met du sien, aboutir à une cessation générale des hostilités.
Q - Et donc pour l'instant nos casques bleus restent ?
R - Nos casques bleus restent. Il y a aujourd'hui même à Londres une
réunion de ce qu'on appelle le groupe de contact, les Américains, les
Russes, les Européens et on est peut- être en train de se mettre
d'accord sur un arrangement territorial et constitutionnel qui sera
ensuite proposé à la partie croato-musulmane et à la partie serbe
d'ici la fin du mois. Nous sommes, donc comme je l'ai dit si souvent,
dans une situation de paix armée, cela peut être la paix tout court,
cela peut être aussi la guerre demain. Eh bien la France fait tout ce
qu'elle peut pour qu'on penche du côté de la paix./.