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Le Conseil de sécurité de l'ONU a accueilli favorablement le projet de résolution présenté, lundi 20 juin, par la France. Ce texte, qui devrait être adopté mercredi, vise à autoriser les militaires français à intervenir pendant deux mois au Rwanda, en employant tous les moyens nécessaires, pour assurer la protection des civils. Les troupes françaises, qui doivent intervenir à partir du territoire zaïrois, ne pourront agir qu'après le feu vert de l'ONU. Toutefois, quelques détachements sont déjà arrivés au Zaïre pour préparer leur intervention. A Bruxelles, les partenaires européens de la France devaient étudier, mardi, les propositions de Paris.
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Bien que très controversé, le déploiement de près de deux mille soldats
français au Rwanda a toutes les chances d'être approuvé par le Conseil
de sécurité, faute de solution alternative. Le projet de résolution,
présenté aux autres membres du Conseil par l'ambassadeur français, Jean
Bernard Mérimée, a été accueilli favorablement. Mais il n'a trouvé qu'un
seul véritable « allié actif » : le secrétaire général, Boutros
Boutros-Ghali.
Reprenant la formule utilisée au moment de l'intervention des troupes
américaines en Somalie, en décembre 1992, la résolution française,
rédigée dans le cadre du chapitre 7 de la Charte (qui permet le recours
à la force), « autorise » les Etats membres à employer « tous les moyens
nécessaires » pour atteindre les objectifs fixés par les résolutions
précédentes, visant à la protection des civils rwandais.
La France devra tenir le Conseil « régulièrement » informé de ses
actions au Rwanda et faire rapport à la fin de sa mission, qui devrait
être limitée dans le temps et s'achever « au plus tard vers le milieu du
mois d'août ». M. Boutros-Ghali a demandé aux membres du Conseil, dans
une lettre, d'examiner l'offre de Paris pour une opération militaire «
sous commandement français ». Le secrétaire général a rappelé qu'il
existait un précédent : la force d'intervention unifiée, menée par les
Etats-Unis et déployée en Somalie en décembre 1992. M. Boutros-Ghali
estime que la France devrait s'engager à maintenir sa présence au Rwanda
« jusqu'à ce que soient créées des conditions dans lesquelles une force
de maintien de la paix de l'ONU serait en mesure de s'acquitter de son
mandat ».
Selon M. Boutros-Ghali, cela impliquerait que les forces françaises
soient déployées pendant « au minimum trois mois ». La Mission des
Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR), autorisée par le
Conseil il y a deux mois, et forte de 5 500 hommes de neuf pays
africains, n'est toujours pas en mesure d'être déployée : à ce jour, la
MINUAR ne comprend que cinq cent trois hommes. Le secrétaire général
souligne que les troupes ne peuvent pas être déployées, car deux
bataillons d'infanterie, une unité de transmissions et d'autres unités
d'appui logistiques « n'ont toujours pas été reçus par les gouvernements
intéressés ». M. Boutros-Ghali ajoute qu' « entre-temps la situation au
Rwanda continue à se détériorer et le massacre de civils n'a pas cessé
».
C'est avec cet appui du secrétaire général que la France a présenté sa
résolution. Mais le Conseil de sécurité a des états d'âme. « L'ambiance
était grincheuse, a raconté un diplomate occidental. La proposition
française sera sans doute approuvée mais on sentait des jalousies, des
mesquineries, sous un habillage noble. » L'ambassadeur de
Nouvelle-Zélande, Collin Keating s'est demandé si l'intervention de la
France ne risquait pas d'envenimer la situation « tout en voulant
l'améliorer ». Aussi M. Keating a-t-il suggéré que la France puisse
s'intégrer à la MINUAR. Pour l'ambassadeur français « la réponse (à ces
arguments) est double : si les troupes françaises s'intégraient au sein
de la MINUAR, cette force ne serait plus du tout considérée comme neutre
; deuxièmement, pour sauver les vies humaines, et cela est notre seul
but les forces françaises seraient peut-être obligées de s'engager
militairement, or l'expérience somalienne nous a montré qu'un
commandement de l'ONU ne serait pas efficace dans ce genre de situation ».
Les Etats-Unis ont pris une position sans ambiguïté en faveur de la
proposition française : « La perpétuation des massacres nous inquiète et
nous sommes en faveur d'une intervention française en tant qu'opération
qui puisse faire le lien, jusqu'à ce que les forces de l'ONU soient
opérationnelles. »
Les pays non alignés sont également favorables à l'initiative française,
mais ils hésitaient encore lundi à admettre que l'ONU et l'Organisation
de l'unité africaine (OUA) ont échoué dans leur obligation de sauver les
vies au Rwanda. La Chine s'abstiendra sans doute au moment du vote,
comme elle le fait systématiquement lorsqu'une résolution s'inscrit dans
le cadre du chapitre 7. La Russie, qui votera pour la résolution
française, se demande si la France ne devrait pas attendre l'accord des
parties.
Malgré les états d'âme, les commentaires suspicieux et les « jalousies », personne n'a pris la responsabilité de rejeter l'initiative
française. Aussi la résolution devrait-elle être adoptée mercredi, selon
des diplomates. Reste, bien sûr, l'opposition ouverte du Front
patriotique rwandais (FPR). Son représentant, Claude Dusaidi, a dit à la
presse que les soldats français seront considérés « comme une force
d'agression et seront traités en conséquence ».
De passage à New-York, Faustin Twagiramungu, le premier ministre désigné
par les accords d'Arusha, un Hutu considéré comme « modéré », a estimé
que la décision française est « très tardive ». Selon lui, cette
opération « même effectuée sous le prétexte humanitaire » pourrait
mettre les accords de paix en péril : « Je crains que l'intervention
francaise se termine par un conflit entre la France et le FPR. Comment
voulez-vous que les troupes françaises restent calmes si le FPR leur
tire dessus ? »
DOC:AVEC DESSIN DE PLANTU