Fiche du document numéro 14690

Num
14690
Date
Samedi 27 août 1994
Amj
Taille
115997
Titre
Paroles de douleur et d'espoir à Rutongo
Sous titre
Rencontre avec Catherine, un jeune médecin français, qui participe à la réouverture d'un hôpital près de Kigali.
Lieu cité
Cote
no 15563
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyée spéciale au Rwanda.

CATHERINE n'en revient pas. Dieu sait pourtant si elle a « vu du pays » comme elle dit. Rencontrée à Kigali, cette jeune médecin généraliste, au tutoiement facile et à l'enthousiasme communicatif, a déjà effectué nombre de missions à l'étranger dans le cadre d'« Action Nord/Sud », une petite association spécialisée dans les problèmes de santé, de développement rural et de réhabilitation. Catherine a promené sa science et son stéthoscope au Pakistan et en Afghanistan, au Vietnam et au Cambodge. Et pourtant, non, elle n'en revient pas devant « l'extraordinaire volonté qu'ont les Rwandais de reconstruire leur pays ». Elle en veut pour preuve les changements intervenus, à Kigali même, depuis son arrivée au Rwanda début août. « La ville était exsangue. Les rues étaient vides. On ne croisait personne. Aujourd'hui, les gens reviennent, l'électricité petit à petit est remise en état, il y a même deux marchés qui fonctionnent. On voit réapparaître sur les étals du manioc et des patates douces, des avocats, des fruits. »

Reste que, dans l'hôpital que l'association tente de remettre en marche, à Rutongo, à 25 kilomètres au nord de la capitale, les problèmes sont considérables : « Quand nous sommes arrivés, il ne restait que les murs », raconte-t-elle. « A l'exception d'une armoire et de la table d'opération, qui avait mystérieusement résisté, il n'y avait plus rien. L'intérieur avait été saccagé, le matériel pillé. Plus un seul lit, pour un établissement de soins qui en comptait 150. Les trois ambulances envolées. Quant au médecin, aux infirmières, au personnel, ils sont tous morts ou en fuite. » Ajoutez à cela qu'il faut aller chercher de l'eau à une source située à 8 kilomètres, car le groupe électrogène qui faisait fonctionner les pompes est totalement détérioré, et vous aurez une idée des difficultés rencontrées par l'équipe.

Pourtant, pas de quoi décourager Catherine, qui considère que les atouts sont nombreux. Elle évoque d'abord la volonté « très nette » du nouveau gouvernement rwandais de travailler au mieux avec les Organisations non gouvernementales (ONG) : « Au ministère de la Santé, nous avons rencontré des interlocuteurs de qualité, qui vont droit au but, et s'efforcent de régler les problèmes au plus vite. » Elle parle également du dévouement du personnel rwandais qui s'est associé à leur équipe, en particulier un médecin, qui exerçait jusque-là au Zaïre où il était exilé, et une infirmière venue de Kigali : « Comme tant d'autres, elle se retrouve aujourd'hui seule, son mari a été tué. Mais elle déploie une énergie étonnante. »

Pour parer à l'urgence, puisque les conditions matérielles pour assurer l'hospitalisation ne sont pas encore réunies, l'hôpital assure une consultation généraliste : « Nous voyons des gens très abîmés, note le médecin. Abîmés à tous points de vue. Les coups de machette ont causé des blessures épouvantables. Egalement le fait que tous ceux que nous voyons en consultation ont, au moins, un mort à pleurer. »

Devant l'état de dénutrition de la population, « Action Nord/Sud » a dû aussi créer un centre nutritionnel pour les femmes enceintes et les enfants jusqu'à cinq ans. Actuellement, 150 gamins y reçoivent trois repas par jour. Le but, à terme, est de pouvoir donner aux mères des rations qui leur permettent de ne venir à l'hôpital que tous les trois jours : « Eviter de multiplier les déplacements est essentiel, reconnaît le médecin. Sinon, comment les mères pourraient-elles reprendre leurs activités, notamment agricoles ? »

Si Catherine est visiblement confiante dans la capacité du Rwanda à se reconstruire, elle n'en sous-estime pas pour autant les terribles traumatismes qu'il faudra surmonter. Elle évoque, par exemple, cet homme venu à la consultation pour un problème médical bénin et qui a eu une longue conversation en kinyarwanda avec l'infirmière. Après son départ, cette dernière a simplement dit : « Celui-là, il a tué beaucoup de monde. Il a peur. » Puis elle a ajouté : « Je crois qu'il va mourir. » Autre souvenir, qui a visiblement marqué fortement le médecin : cet enfant de quatorze ans, rencontré à l'hôpital de Kigali. « Il a été face à un homme qui, en braquant une arme sur lui, a hurlé : « Tu vas crever. » Le môme a reçu une balle dans le ventre, et en a réchappé par miracle. Aujourd'hui, il ne veut plus parler, il ne veut plus se nourrir, il ne veut plus quitter l'hôpital. »

FLORENCE HAGUENAUER

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