Fiche du document numéro 14405

Num
14405
Date
Lundi 25 juillet 1994
Amj
Taille
130809
Titre
La France a l'obligation de poursuivre les criminels
Nom cité
Cote
no 15534
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
TROIS avocats, Me Daniel Jacoby, président de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), Me William Bourdon et Me Eric Gillet, ont déposé plainte pour crime contre l'humanité devant les tribunaux français au nom des survivants de quatre familles rwandaises exterminées en avril et mai 1994. Une plainte semblable a été déposée en Belgique. Me Jacoby répond aux questions de « l'Humanité ».

Pourquoi cette démarche ?

Dans le cadre de cette plainte contre X pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, nous donnons les noms d'un certain nombre de responsables et d'instigateurs des massacres et du génocide. Il s'agit notamment de deux personnes qui ont été évacuées par les autorités françaises, Protet Zigiranyirazo (dit M. Z, l'un des beaux-frères de feu M. Habyarimana, président de la République) et Ferdinand Nahimana, ancien directeur de l'office du comité directeur de Radio-Mille-Collines. Nous possédons des listes, une organisation américaine en possède également. Nous les avons confrontées avec celles qui ont été établies par le procureur général de Kigali, M. Alphonse-Marie Nkubito.

Pourquoi avez-vous choisi un tribunal français ?

Dans l'état de délabrement complet où se trouve l'Etat rwandais, il n'y a pas de justice possible au plan national. Si une telle justice se trouvait rétablie, il est à craindre que ce soit une justice de type Nuremberg, une justice de vainqueur, ce qui n'est pas souhaitable non plus. En second lieu, malgré les demandes exprimées par la FIDH et plusieurs organisations internationales depuis le début de cette affaire, un tribunal pénal spécial international pour le Rwanda (à l'instar de celui prévu pour la Bosnie) n'a toujours pas été constitué. Nous ne pouvons pas attendre : il y a des victimes qui veulent simplement que la lumière soit faite et qui ne tolèrent pas que les assassins continuent impunément de bénéficier de l'asile en France, en Belgique ou au Canada, voire au Zaïre.

La France, comme le Rwanda, a signé l'ensemble des conventions de Genève de 1949. Celles-ci ont prévu la « compétence universelle » pour les crimes les plus graves, et notamment pour le génocide. Les conventions du 12 août 1949 préconisent que « chaque partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes prévenues d'avoir commis ou d'avoir ordonné l'une ou l'autre de ces infractions graves et elle devra les déférer à ses propres tribunaux quelle que soit leur nationalité ».

Certains de ces criminels ont transité par la zone rwandaise sous contrôle français. Les militaires affirmaient n'avoir pas de mandat pour les arrêter. Qu'en pensez-vous ?

C'est précisément une des situations contre lesquelles nous protestons. Nous protestons aussi contre la tolérance de la France à l'égard d'une nouvelle radio hutue qui se déplace à l'intérieur de la zone française et qui diffuse à son tour des appels au meurtre parmi les réfugiés hutus. Radio-Rutomorangingo appartient au parti extrémiste hutu du Burundi, le Palipehutu. Les autorités françaises ont convenu qu'il s'agissait d'appels au meurtre mais, nous ont-elles répondu, l'émetteur étant mobile, on n'arrivait pas à le saisir. Cela ne nous paraît pas sérieux.

Ce qui s'est passé au Rwanda est gravissime. Après le génocide où des centaines de milliers de Rwandais ont été massacrés, il y a maintenant cet exode de Hutus et l'épidémie dramatique de choléra. Le danger menace maintenant toute la région des grands lacs, le Burundi et le Zaïre. Bernard Kouchner a bien raison de parler de prévention. Mais encore aurait-il fallu suivre l'avis de la FIDH. Notamment il y a un an, lorsque nous demandions aux autorités françaises de rompre avec le gouvernement rwandais, d'exiger la dissolution des milices interawme, de mettre fin à l'aide militaire et que Paris demande aux autorités rwandaises de traduire en justice les responsables des massacres de 1990. Laisser se poursuivre l'impunité au Rwanda a permis à toute cette clique raciste de mettre finalement ses projets à exécution.

Ce qui nous met actuellement terriblement en colère et nous irrite notamment contre le gouvernement français c'est que, malgré nos appels, la France a continué à soutenir un régime qui avait en germe ce qui s'est passé au mois d'avril. La prévention, je veux bien, mais que l'on commence déjà à tirer les leçons du passé. Ces jours-ci, nous avons publié un rapport sur le Burundi et nous faisons les mêmes mises en garde. Là aussi, cela risque de continuer.



Propos recueillis par

MICHEL MULLER

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024