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PRESIDANT la conférence de presse du Comité national France-Rwanda mardi à Paris, René de Schutter, responsable de la CIMADE, avait ce mot : « Une France en première ligne aujourd'hui, ce serait de l'indécence. Notre pays peut et doit être présent par sa solidarité ; ce qui implique aussi que ce soit en poursuivant les responsables des massacres. » Un point de vue aussitôt rejoint par Bernard Husson (Comité français de solidarité international, CISF) : « Il est inacceptable que la France soit en première ligne, cela déclencherait des situations de guérillas et d'explosions dans toute la région », c'est-à-dire y compris dans les pays voisins du Rwanda, à commencer par le Burundi et le Zaïre.
« Notre comité constitue un fait exceptionnel, insistait René de Schutter. Parce qu'il réunit ce qu'il est convenu d'appeler des ONG d'urgence, des ONG de développement et des associations de sensibilisation. Parce qu'il regroupe des organisations parfois fort éloignées les unes des autres et qui, pour la première fois, ont signé un texte commun et escomptent mener une action commune. »
Du 27 juin au 3 juillet, le Comité national de solidarité mènera une campagne en direction de l'opinion et une collecte de dons en faveur du peuple rwandais martyrisé. Un bulletin d'appel sera diffusé le plus largement possible, avec l'aide de partenaires publics ou privés, afin d'oeuvrer à une mobilisation à la mesure du drame rwandais. « Notre comité est né d'une indignation - déclarait le responsable de la CIMADE - Devant ce qui s'est passé et se passe toujours au Rwanda. Devant l'apathie de la communauté internationale. Devant les messages qui ont été diffusés au début des massacres, visant à les présenter comme un ``problème ethnique'', alors que les assassinats perpétrés sur listes par les milices soulignent leur caractère politique. Nous voulons mobiliser les consciences, la société civile française. »
Les différents orateurs se sont exprimés chacun avec sa sensibilité, mais soulignant chaque fois que leurs propos ne sollicitaient pas le fonds d'accord commun entre les diverses organisations constitutives du Comité de solidarité.
Claude Simonot, de Pharmaciens sans frontières, dressait une sorte de carte des réfugiés rwandais dans la région : « En Tanzanie, de grosses opérations sont en route et tout se passe aussi bien que possible. Dans le nord Burundi, la situation est délicate, avec des populations de réfugiés mouvantes et dispersées ainsi que des infiltrations de tueurs des milices. Dans l'ouest du Rwanda, il y a ces énormes masses de population auxquelles ne s'offrent que deux voies de sortie : le nord Burundi, mais ils continueraient d'encourir des risques de massacre ; le Kivu, au Zaïre, mais le dispositif pour leur accueil y est inexistant. »
Jean-Claude Buchet (Aide et Action), qui est revenu mardi matin du Burundi : « La guerre du Rwanda aura des répercussions majeures dans les quatre pays voisins : Ouganda, Zaïre, Tanzanie, Burundi »… Bernard Granjou, de Médecins du monde : « Au Rwanda, nous avons travaillé des deux côtés. Côté gouvernemental, puis également côté FPR. Là, nous avons découverts que les FPR, trop souvent diabolisés, étaient des gens non seulement fréquentables, mais hautement responsables. Ce que certains veulent dépeindre comme un strict conflit ethnique est la conséquence d'un problème véritablement politique. Il n'y a pas eu que les Tutsis de massacrés, mais aussi les Hutus opposants à la dictature. La France soutient depuis toujours le pouvoir d'Habyarimana, dont sont issus les escadrons de la mort. La politique suivie par notre gouvernement envers ce pays est une politique honteuse. Sur les récents événements, tous les témoignages recueillis sont convergents : il y a eu programmation des massacres. Les miliciens avaient leurs listes : ils sont passés de maison en maison pour semer la mort, comme le facteur distribue le courrier. Les massacres entrent dans un cadre politique programmé à l'élaboration duquel la France a malheureusement apporté son concours. »
Première conséquence sur le terrain : les menaces d'intervention brandies par Paris se sont traduites par des déboires pour les ONG, « dans la mesure où nous avons alors parfois été considérées comme des poissons pilotes du gouvernement français ». Bernard Granjou enchaînait : « Une intervention humanitaire est indispensable. Une intervention militaire ? Oui, et la MINUAR serait théoriquement bien placée pour le faire. Il ne faut surtout pas d'intervention française. Avez-vous écouté hier France Info ? Si oui, vous aurez pu entendre un milicien proclamer qu'il attendait les ``renforts'' français. Un engagement armé de la France serait de la folie furieuse. »
Orateur suivant, Bernard Husson s'en prend au vocabulaire utilisé par la plupart des commentateurs français. Pour lui, parler de « rebelles » et d'« armée gouvernementale » est un double abus de langage. Il y a d'un côté le Front patriotique rwandais, et, de l'autre, « non pas une armée gouvernementale, mais des putschistes. Il n'y a plus de gouvernement dans ce pays, il y a une bande de putschistes ».
« Que la France apporte son concours, mais qu'elle ne se mette pas en première ligne - concluait-il. Elle pourrait en revanche animer un dispositif de prévention pour empêcher des développements identiques dans les pays voisins. Au Burundi, mais aussi au Zaïre. Dans ce dernier pays, la France est en train de relégitimer Mobutu. Donner un rôle de ``pacificateur'' à Mobutu, cela revient à réarmer les milices de Mobutu. » Enfin, Bernard Husson évoquait les tueries perpétrées en 1993 au Togo par le régime d'Eyadema (lequel vient de se déclarer prêt à coopérer à l'intervention organisée depuis Paris) pour poser cette question : « Est-ce qu'on ne couvre tout de même pas trop de massacres dans ce continent ? »
JEAN CHATAIN.