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NYAMIRAMBO, quartier de Kigali. Les massacres ont débuté dès la nuit du 6 au 7 avril. Première phase, l'assassinat des adversaires politiques de la dictature. Puis est venu le temps du carnage de la minorité tutsie.
Des miliciens gouvernementaux viennent d'assassiner 170 personnes, principalement des enfants, qui avaient cherché refuge dans une mission religieuse de Nyamirambo. Vendredi, les miliciens font irruption dans la mission en affirmant qu'ils allaient « évacuer » les orphelins. Les « Interahamwe » (expression que l'on pourrait traduire par : « ceux qui tuent ensemble ») sont commandés par un certain Kigingi, dont la réputation de massacreur n'est plus à faire. Le père Henri Blanchard, un Français, et le père Otto Mayer, un Allemand, refusent d'ouvrir la porte du bâtiment. Les miliciens attaquent celle-ci à la hache et lancent des grenades. Puis ils embarquent les otages dans un camion. Le véhicule fera plusieurs allers et retours. Jusqu'à épuisement du « stock ».
Le père Mayer cherche du secours au collège Saint-André, où des soldats de l'armée régulière sont casernés. Il est arrêté à un barrage où on lui ordonne de rebrousser chemin. Lors d'une seconde tentative, un fonctionnaire du gouvernement lui donne l'autorisation de franchir le barrage. Un peu plus loin, il aperçoit le camion qui avait « évacué » les otages : « Il y avait dix cadavres sur le sol et dans le camion. On en a reconnus quelques-uns ». Puis le religieux poursuit : « Les miliciens pensent que s'ils tuent tous les tutsis, ils régleront le problème et mettront fin au conflit. »
L'appel au secours lancé par le père Mayer était condamné à l'avance. Miliciens, gendarmes et soldats gouvernementaux ont maintes fois prouvé leur complicité dans le génocide en cours. Vers la mi-avril, les milices se heurtent à la résistance organisée des familles tutsies réfugiées à Nyamirambo : elles font alors marche arrière et appellent les FAR (Forces armées rwandaises) à la rescousse ; celles-ci prennent le relais et interviennent avec des véhicules blindés.
La résistance des familles tutsies est écrasée au canon et à la mitrailleuse. Jusqu'à ce que place nette soit faite aux tueurs, qui réapparaissent armés de grenades et de machettes. La tuerie durera plusieurs heures.
L'ambiguïté du Quai d'Orsay
En fait, les massacres ne se sont jamais arrêtés au Rwanda, sauf dans les zones libérées par le Front patriotique. A Kigali, l'offensive du FPR s'est intensifiée dimanche à l'aube, ses forces avançant notamment vers Nyamirambo. Quatre obus tombaient dans l'après-midi à proximité de l'hôpital du Comité international de la Croix-Rouge, dans le centre-ville, suscitant la protestation du chef de la délégation du CICR. Selon le major Jean-Guy Plante, porte-parole de la MINUAR (Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda), le FPR a promis d'éviter de nouveaux tirs en cette direction, même si l'hôpital demeure encerclé par les forces gouvernementales qui, elles, ont refusé de répondre aux demandes du CICR de voir les belligérants s'en écarter.
L'annonce d'un nouveau massacre à Kigali, avec une majorité d'enfants parmi les victimes, « suscite l'émotion et l'indignation de la France », affirme un communiqué du Quai d'Orsay. « Il est urgent qu'au sommet de l'OUA à Tunis, les pays de la région exercent toutes les pressions pour obtenir des parties au conflit au Rwanda l'arrêt immédiat des combats. (…) Il faut par ailleurs que la MINUAR renforcée puisse se déployer sans délai pour s'interposer entre les parties. »
Cette déclaration indique-t-elle un changement dans la position du gouvernement français qui, jusqu'à ces derniers temps, s'est conduit en soutien inconditionnel de la dictature rwandaise, y compris en le ravitaillant en armements ? L'ambiguïté demeure néanmoins si l'on en juge par cette seconde partie des propos tenus par le ministère des Affaires étrangères. Lors du début des massacres, la MINUAR disposait de 1.700 soldats sur place : elle les a retirés après avoir évacué les résidents européens et fermé les yeux sur les tueries en cours. Ferait-elle demain ce qu'elle a refusé hier ? Que signifie le terme « s'interposer » ? S'il veut dire geler les positions entre les forces gouvernementales et celles du FPR, on peut craindre que les premières garderont toute latitude pour poursuivre le génocide.
J. C.