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Théogène Rudasingwa, un médecin de 33 ans, est le secrétaire général du Front patriotique rwandais (FPR). A Johannesburg, où il était venu rencontrer les responsables de l'ANC, il a répondu aux questions de Laurent Bijard
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Le Nouvel Observateur. - Au moment où l'ONU tente de mettre sur pied une nouvelle mission au Rwanda, quelles sont vos conditions pour accepter le déploiement des Casques bleus ?
Théogène Rudasingwa. - Tout d'abord, nous aimerions que l'ONU opte surtout pour une mission humanitaire avec distribution de nourriture, qu'elle organise des convois de ravitaillement pour les réfugiés et les soins aux blessés. Avec un calendrier précis. Nous ne voulons pas voir s'installer définitivement les Casques bleus chez nous. Au Rwanda, la population a perdu confiance dans l'ONU. Près d'un demi-million de personnes ont été froidement abattues. Les Casques bleus étaient à Kigali avec 2 500 hommes et des blindés quand les massacres ont commencé, et ils n'ont rien fait. Nos 600 hommes qui étaient en poste dans la ville depuis l'accord d'Arusha ont réussi, eux, à sauver des milliers de vies humaines. L'ONU n'a même pas réussi à protéger le Premier ministre Agathe Uwilingiyimana, une Hutu modérée, massacrée sous les yeux des soldats belges. Comment croire après cela que l'ONU pourrait sauver des vies ?
N. O. - Que pensez-vous de l'idée des Américains qui veulent établir des « zones de protection » ?
T. Rudasingwa. - Nous avons créé nous-mêmes une vaste zone de protection qui va de l'Ouganda à la frontière burundaise où nous venons d'arriver. La proposition de Washington est intéressante dans la mesure où elle s'appliquerait dans des régions frontalières avec la Tanzanie où se trouve encore une forte concentration de forces gouvernementales. Boutros Boutros-Ghali, lui, veut tout régenter depuis Kigali. Il n'a rien compris à la leçon somalienne. Il est tellement embarrassé par l'ampleur du massacre qu'il veut nous refaire le coup de la Somalie. Mais le FPR n'est pas un clan. Personne chez nous n'est le général Aïdid. Nous sommes une force politique organisée. Si au début de notre mouvement nous étions essentiellement tutsis, nous accueillons aujourd'hui de plus en plus de Hutus écoeurés par les massacres. Nous avons réussi à sauver 20 000 Hutus modérés.
N. O. - Certains - parmi lesquels un conseiller de l'Elysée - continuent à présenter ce conflit comme un affrontement ethnique entre Hutus et Tutsis...
T. Rudasingwa. - Nous ne comprenons pas la position de certains cercles du pouvoir à Paris. Depuis longtemps, nous demandions à Paris de mettre un terme à son aide financière et militaire au régime dictatorial du général Habyarimana. La France armait et entraînait ceux qui sont aujourd'hui les auteurs des massacres et que nous voudrions voir juger. La France détient par ailleurs la boîte noire de l'avion - français, avec trois membres d'équipage français tués - qui s'est écrasé et dans lequel Habyarimana a trouvé la mort. La France, qui vient de juger Touvier pour crime contre l'humanité, accueille chez elle ceux qui ont du sang sur les mains. Quoi qu'il en soit, nous nous opposerons à ceux qui commencent à parler d'une division du Rwanda en deux Etats. Seuls des excités extrémistes, avec leur propagande pousse-au-crime, sont à l'origine de cette guerre, qui, j'insiste, n'est que la conséquence des massacres perpétrés par les milices d'Habyarimana. Hutus et Tutsis appartiennent au même peuple, ont la même culture. Tous les Hutus ne sont pas des extrémistes, loin de là. Où irions-nous tracer une telle frontière ? Je suis venu en Afrique du Sud rencontrer l'ANC car nous sommes très intéressés par cette idée de partage du pouvoir telle que Mandela et De Klerk l'ont conçue. Je crois que cela peut marcher dans mon pays.
Propos recueillis par Laurent Bijard