Citation
KIGALI
de notre envoyé spécial
Sur près de 10 kilomètres, les convois d'évacuation empruntent une
mauvaise piste, rendue glissante par la saison des pluies, dans les
faubourgs de la capitale, pour atteindre l'aéroport, contrôlé par les
parachutistes belges et français. Il faut contourner la colline de
Remera, où a lieu le plus gros des combats entre les forces régulières
et les combattants du Front patriotique rwandais (FPR).
Le départ des quelque 3 000 étrangers résidant au Rwanda est ponctué de
tirs d'artillerie lourde, dont les obus tombent parfois à proximité de
l'aéroport. A Kigali, l'évacuation touche à sa fin, mais il y a encore
près de 700 Belges à aller chercher dans les collines de l'intérieur.
Les faubourgs traversés portent les traces des violences qui ont
ensanglanté la capitale depuis le 7 avril, au lendemain de la mort du
président Juvénal Habyarimana, tué dans son avion ainsi que le
président burundais. Quelques cadavres dans les fossés, plusieurs
villas dévastées, une petite entreprise dévalisée. Dans un pré, les
villageois ont sacrifié quelques vaches de la ferme laitière de
Rubirizi et se partagent les morceaux, en saluant avec chaleur les
soldats français de l'escorte.
Soudain, une foule de gens paniqués au détour d'un carrefour. Des
familles entières s'échappent à pied, encadrés par des soldats. Tirs
rebelles ? Au retour, la situation sera redevenue calme. Le quartier
est quadrillé par des militaires, auxquels se mêlent des miliciens qui
semblent décidés à en découdre avec les inkontanyi du FPR. Des coups de
canon continuent de retentir sur la ville et les échanges de tirs se
rapprochaient du centre de la capitale, mercredi 12 avril dans la
matinée.
Il semble que la stratégie du FPR est d'infiltrer ses hommes, par
petits groupes très dispersés, dans différents quartiers, à partir de
leur « caserne » de l'ancien Parlement, et d'ouvrir le feu pour donner
l'impression que les renforts sont déjà dans Kigali. Entreprise
risquée, voire suicidaire, car les commandos inkontanyi doivent se
fondre dans la population, qui leur est totalement hostile. S'ils sont
découverts, ils n'échappent pas à la mort. De source gouvernementale,
on indique que « huit éléments FPR ont été tués par la population
dimanche, du côté de la route de Byumba, ainsi que quelques autres qui
s'étaient retranchés dans une usine de plastique à Gikondo ».
Négociations pour un cessez-le-feu
Les nouvelles restent vagues des combats sur les fronts du nord. Le FPR
tenterait de contourner les places fortes de l'armée pour avancer vers
la capitale, mais là aussi les incursions sont très hasardeuses, dans
un milieu hutu (85 % de la population) menaçant. On a dit les 15 000 à
20 000 hommes du FPR plus combatifs et mieux entraînés que les Forces
armées rwandaises (FAR) estimées à 30 000 hommes. Mais ce qui était
vrai au début de la guerre civile, en octobre 1990, ne l'est
apparemment plus aujourd'hui.
Radio Muhabura, la voix du FPR, appelle quotidiennement les militaires
rwandais à se désolidariser de la Garde présidentielle qui tient le
front sur Kigali. Le FPR tente de jouer sur les rivalités entre les
Hutus du nord (qui monopolisent le pouvoir depuis vingt ans) et ceux du
sud. Une tactique qui pourrait réussir chez les opposants sudistes dont
de nombreux dirigeants ont été assassinés ces derniers jours mais aux
résultats improbables auprès de la troupe, peu susceptible de
mutineries devant la « menace extérieure de l'armée tutsie ».
Déterminé à obtenir un cessez-le-feu, l'infatigable général Roméo
Dallaire, commandant de la Mission des Nations unies pour l'assistance
au Rwanda (MINUAR), fait la navette entre l'Hôtel des diplomates à
Kigali, où siège le nouveau gouvernement, et le quartier général du FPR
à Mulindi, 80 kilomètres plus au nord. Selon certaines sources de
l'ONU, les autorités seraient sur le point d'accepter les exigences du
FPR, qui veut limiter le cessez-le-feu à Kigali. Il s'agirait alors
vraisemblablement d'un arrêt temporaire des combats, le temps d'évacuer
le reste des étrangers.
Mais pour les Tutsis, les opposants et les habitants des beaux
quartiers (toutes ethnies confondues)... bref, pour les cibles
privilégiées des miliciens, la situation devient difficile. Même si des
observateurs font état d'une progressive restauration de l'ordre grâce
à la gendarmerie, plus légaliste. Certains n'en peuvent plus de se
terrer chez eux, alors que leurs voisins ont été tués, et négocient
leur départ avec des militaires, dont l'escorte vaut très cher. Il leur
faut ensuite franchir, comme un péage, les barrages des miliciens.
Mais où aller ? Les plus chanceux réussissent à se réfugier dans une
ambassade, en espérant qu'ils ne seront pas oubliés dans l'évacuation.
Dans les hôpitaux aussi, la situation devient critique. Hier encore,
des soldats ont achevé deux adolescents, rescapés d'un massacre, au
Centre hospitalier de Kigali.