Fiche du document numéro 12810

Num
12810
Date
Jeudi 28 octobre 1993
Amj
Taille
103302
Titre
Une société brisée par le putsch
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
LE putsch qui a éclaté à Bujumbura dans la nuit du 20 au 21 octobre a précipité le pays dans le chaos. Dès le jeudi 21, les quelques informations filtrant jusqu'à Kigali, capitale du Rwanda voisin, montraient dans quel isolement les auteurs du coup d'Etat maintenaient le pays : fermeture de l'aéroport et des frontières, radio et téléphone muets, couvre-feu… Très vite, circula à Kigali l'annonce de la mort du président Ndadaye et de proches collaborateurs. Se précisa également la participation d'un groupe de militaires tutsi originaires du sud du pays, du 11e bataillon de commandos parachutistes. Cette journée fut agitée de rumeurs et d'informations contradictoires. Le vendredi 22 et le samedi 23, des manifestations de soutien au gouvernement renversé sont organisées dans les rues de Kigali et de Bujumbura, réclamant le rétablissement de l'ancien pouvoir ainsi que la remise des corps des victimes.

Le bilan des deux premiers jours du putsch est terrible. Confirmation du meurtre de Melchior Ndadaye, élu trois mois plus tôt par 64% des voix, du président et du vice-président de l'Assemblée nationale, du ministre de l'Intérieur et du chef de la Sûreté. Ces nouvelles et l'appel à la résistance lancé par le gouvernement légal ont déclenché les premiers soulèvements de la population paysanne dans les régions du nord du pays. Dès lors, on assiste à un glissement du coup d'Etat mené par une frange de l'armée dans la capitale en un affrontement meurtrier des populations rurales. La dimension politique laisse la place à un conflit ethnique.

Actuellement, selon la Constitution, c'est le gouvernement, présidé par Sylvie Kinigi, dont la plus grande partie est réfugiée dans l'ambassade de France à Bujumbura, qui assure la continuité des institutions. Dans le même temps, Jean Minani, ministre de la Santé, se déclare depuis Kigali représentant du gouvernement du Burundi à l'étranger. Ces autorités rejettent toute négociation avec les putschistes et réclament une intervention militaire étrangère. Leur isolement et leur méfiance à l'égard de l'ensemble de l'armée favorisent la prolongation du vide politique, source de confusion et de violences à l'intérieur du pays.

Aujourd'hui, le bilan humain est catastrophique. Selon le Haut Comité aux réfugiés, 400.000 personnes auraient fui le pays, dont plus de 250.000 vers le Rwanda. D'après les observateurs, ce sont essentiellement des Hutu, femmes, enfants, vieillards. Plus grave encore, des témoignages nombreux font état de massacres entre Hutu et Tutsi dans le nord, le centre, l'est du pays. De nombreuses écoles secondaires ont été touchées (le cas le plus connu étant l'incendie criminel où ont péri les élèves tutsi de Kibimba, vers Gitega). Des instituteurs ont été la cible de ces tueries, comme à Ruhororo, vers Ngozi. Des paysans également, par exemple parmi la communauté tutsi de la commune de Matongo (au nord-ouest). Il faut le souligner, il s'agit moins d'affrontements entre voisins que d'actions perpétrées par des bandes organisées, munies de machettes, en particulier contre des Tutsi et des Hutu de l'UPRONA. On peut s'interroger sur la nature de ces bandes : groupes extrémistes répondant à des mots d'ordre, règlements de comptes, interprétations locales de l'appel à la résistance populaire ?

Dans certains cas, l'inertie ou la complicité des autorités locales a favorisé ces débordements. D'autres ont joué leur rôle de protecteurs de la population. L'armée, en l'absence d'autorités affirmées, divisée par le putsch, semble s'être généralement cantonnée dans l'attentisme, contrairement à certaines informations diffusées depuis la capitale rwandaise.

Les forces de la société civile (églises, ligues des droits de l'homme, associations) se sont employées à mettre fin à cette spirale infernale, en l'absence du message de paix attendu par les populations.



ELIZABETH VIGNATI-PAGI

chercheur au Centre de recherches africaines.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024