Citation
La flambée de violences ethniques qui, depuis une semaine, ensanglante
le département de Gisenyi, dans le nord-ouest du Rwanda (le Monde du 28
janvier), s'est étendue au département voisin de Kibuye, dans l'Ouest.
Selon le nouveau bilan officiel, publié mercredi 27 janvier, à Kigali,
ce sont, au total, quatre-vingts personnes qui ont été tuées et
plusieurs centaines d'autres blessées, depuis le 21 janvier.
Le premier ministre, M. Dismas Nsengiyaremye, avait publiquement accusé,
mardi, les jeunes militants hutus (tribu majoritaire) du Mouvement
républicain national pour la démocratie et le développement (MRNDD,
ex-parti unique, dirigé par le chef de l'Etat) et de la Coalition pour
la défense de la république (CDR) d'attaquer les membres de la minorité
tutsi et des sympathisants des partis de l'opposition. Ces derniers ont,
à leur tour, mercredi, dénoncé les fidèles de la présidence, qu'ils ont
accusés de vouloir saboter les négociations de paix, en provoquant des « massacres » et des « pillages », qui « n'ont pas un caractère de manifestation politique mais de guerre civile ».
L'arme de la haine
Ce n'est pas la première fois que le Rwanda, petit pays enclavé de
l'Afrique des grands lacs, est le théâtre d'affrontements entre Hutus et
Tutsis. Depuis 1959, date de la prise du pouvoir par les Hutus, des
milliers de pasteurs et de commerçants Tutsis ont dû fuir le pays, lors
d'explosions de violences entre ethnies qui s'apparentaient souvent à de
véritables pogroms. La plupart de ces exilés se sont réfugiés au Zaïre,
en Ouganda, en Tanzanie ou au Kenya.
Cet exode massif est, en partie, à l'origine de la création d'un
mouvement de guérilla, le Front patriotique rwandais (FPR), hostile au
régime du président Habyarimana. Basé en Ouganda et recrutant
essentiellement parmi les « réfugiés » rwandais, le FPR avait lancé ses
premières offensives en octobre 1990. Une longue guerre d'escarmouches
commençait, paralysant l'économie déjà fragile du « pays aux mille
collines ».
Vent de démocratisation oblige, le Rwanda et ses quelque sept millions
d'habitants se mettaient, en 1992, à l'heure de la « transition » : le
16 avril, un nouveau gouvernement était formé, et l'opposition notamment
le Mouvement démocratique républicain (MDR), dont est membre l'actuel
premier ministre faisait une entrée remarquée dans l'arène du pouvoir.
Moins de quatre mois plus tard, le 18 août, à Arusha (Tanzanie), un
accord pour la création d'un nouveau gouvernement de « transition
pluraliste » était signé.
Les termes de cet accord, prévoyant la fin de la guerre civile,
l'intégration des maquisards du FPR et leur représentation au
gouvernement, confirmaient le déclin du camp présidentiel : à l'issue
d'une nouvelle session de négociations, début janvier, le MNRD obtenait
péniblement six des vingt-deux portefeuilles ministériels. Ouvertement
contesté et désormais menacé, le « système Habyarimana » garde de
farouches défenseurs. Furieux et inquiets de voir rognées, au fil des
mois, leurs prérogatives d'antan, les nostalgiques de l'ancien régime
semblent préférer saborder le navire plutôt que de céder le gouvernail.
Pour ce faire, l'arme de la haine tribale, patiemment aiguisée, est
d'une efficacité redoutable.
En mars dernier, plus de trois cents personnes (presque toutes d'origine
tutsi) avaient été tuées, dans la région du Bugesera (Sud), lors de
violences à caractère ethnique. Depuis cette date, les incidents,
souvent meurtriers, se sont multipliés dans tout le pays, poussant le
gouvernement à instaurer, le 20 janvier, le couvre-feu à Kigali « pour
une durée indéterminée ».
DOC: Avec une carte.