Citation
Une deuxième phase de négociations devait débuter, mardi 11 août, à Arusha (Tanzanie), entre le gouvernement du Rwanda et les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR). Des pourparlers avaient déjà eu lieu mi-juillet à Arusha, qui avaient abouti à un cessez-le-feu, entré en vigueur le 31 juillet. La guerre civile, dans le nord du Rwanda, a commencé en octobre.
Assis sous l'auvent d'une maison de Bungwe, un village de l'extrême-nord du Rwanda, le chef de l'Armée patriotique rwandaise (APR), la branche militaire de la rébellion, évoque le cessez-le-feu sans optimisme excessif. « Il n'est pas une fin en soi, et un échec des pourparlers entraînera inévitablement une reprise des combats », dit-il. Pour M. Paul Kagamé, qui est également vice-président du Front patriotique rwandais (FPR), l'offensive a été suspendue parce que les autorités de Kigali paraissent enclines à reprendre les négociations. Mais « le cessez-le-feu permet uniquement de stabiliser la situation pour mieux négocier à Arusha ».
Le silence qui règne dans la région de Byumba depuis le 1er août semble démentir les déclarations du ministre rwandais de la défense, M. James Gasana, qui accuse le FPR d'avoir violé à sept reprises l'accord d'Arusha, signé le 14 juillet. Les maquisards commentent avec sarcasme les propos du ministre, retransmis par Radio-Rwanda : « Il oublie de dire qu'à Gichoro [20 kilomètres plus à l'est], nous avons dû repousser un assaut le premier jour, en évitant de répliquer aux bombardements qui ont suivis... »
Entre avril et juin, l'APR a lancé ses hommes à l'assaut des positions de l'armée régulière, dans la région de Byumba et de Ruhengeri, les principales villes du Nord. « En deux mois, nous avons triplé la superficie du territoire que nous contrôlons, affirme Paul Kagamé ; il longe la frontière ougandaise sur environ 80 kilomètres, sur une profondeur de 20 kilomètres en moyenne. » Une parcelle minuscule, mais « suffisante pour démontrer au président Habyarimana qu'il ne pourra mettre fin au conflit par les armes ».
Exception faite des allées et venues des combattants, rien ne bouge dans les villages de la zone rebelle, vidés de leurs habitants. Sur les murs de la mairie de Kivuyé, des inscriptions à la craie conseillent au président Habyarimana de « s'expatrier en France ». Sur la place de Cyumba, gît la carcasse d'un véhicule blindé léger des Forces armées rwandaises (FAR), coupée en deux par un tir de roquette. Pas un paysan dans les champs, chargés de blés mûrs et de sorgho, qui tapissent à perte de vue les collines d'habitude bourdonnantes d'activité. Deux cent mille personnes ont fui les combats vers la zone gouvernementale.
Ceux qui se sont retrouvés du côté rebelle, par hasard ou par choix, ont été regroupés par le FPR, « pour leur sécurité », dans le village de Gishambashayo. Quelque deux mille villageois y occupent les maisons vacantes et moissonnent les champs alentour. Cette absence quasi totale de vie, dans une région d'ordinaire surpeuplée, incite à croire que la population a fui devant les maquisards. Un responsable de l'information du FPR dément : « Nous avons encouragé les gens à partir pour ne pas avoir la charge de leur sécurité. »
Un combat « national »
« Nous n'avons, pour le moment, aucun problème de ravitaillement », indique le commandant Stanislas Biseruka, chargé de l'intendance et de la logistique. Officier d'origine hutue, jeté en prison à la suite d'une épuration au sein du régime en 1980, il a rejoint le FPR quand les maquisards ont libéré les détenus de la centrale de Ruhengeri, il y a vingt mois. Le cas n'est pas fréquent : les rebelles régulièrement dénoncés à la radio nationale comme des revanchards de la minorité tutsie, avides de revenir au pouvoir semblent avoir du mal à recruter parmi les Hutus. Ces derniers, largement majoritaires au Rwanda, sont arrivés au pouvoir en 1959, à la faveur de sanglants massacres inter-communautaires qui ont provoqué l'exil de milliers de Tutsis.
Le FPR insiste sur le caractère national de son combat, mené « dans l'intérêt de tous les Rwandais, contre une dictature ». Et, pour ce faire, il met en avant les rares responsables d'origine hutue, tel le colonel Alexis Kanyarengwe, victime de l'épuration de 1980 et président du mouvement depuis la mort de Fred Rwigyema, le chef légendaire, tué en octobre 1990, aux premiers jours de la guerre. Ou encore Pasteur Bizimungu, qui mène depuis deux ans toutes les négociations avec Kigali.
C'est avec l'entrée de l'opposition au gouvernement, en avril dernier, que le processus de paix a été relancé. Et depuis la réunion informelle de Bruxelles, fin mai, au cours de laquelle rebelles et opposants ont réclamé, ensemble, le départ du chef de l'Etat, « seul obstacle à la paix », le FPR gagne peu à peu la reconnaissance nationale qui lui manquait. Pour le colonel Kanyarengwe, le gouvernement actuel de M. Dismas Nsengiyaremye, issu de l'opposition, « est disposé au changement mais n'a pas la possibilité de mettre en pratique ses décisions ». « Tant que les hommes du président contrôlent l'appareil sécuritaire du pays, poursuit-il, ses initiatives risquent à tout moment d'être torpillées. »
« Le rôle ambigu de la France »
Le président du FPR, s'interroge sur « le rôle ambigu de la France dans ce conflit ». La médiation de Paris a été appréciée, mais, sur le front, les choses sont loin d'être claires. « Nous avons des témoignages de prisonniers affirmant que les soldats français (1) dirigent l'artillerie lourde des FAR, déclare le major Kagamné, et lors de notre attaque sur Byumba, le 5 juin, les militaires français, venus en principe évacuer les étrangers, ne nous ont pas avertis de leur présence, comme ils l'avaient fait lorsque nous avons investi Ruhengeri, le 23 janvier 1991. Nous avons interprété leurs mouvements comme un geste hostile. »
A Arusha, où la France aura néanmoins un siège d'observateur, les deux parties devaient discuter de la démocratisation au Rwanda, du partage du pouvoir et de l'intégration des rebelles au sein de l'armée nationale. Le pays pourra peut-être faire l'économie d'une « réconciliation nationale » organisée, comme le souhaite ce responsable du FPR, qui raconte la surprise des maquisards, recevant, le 3 août au matin, la visite de soldats réguliers venus fraterniser avec l'ennemi à la barbe de leurs supérieurs.
Le pays n'échappera pas, en revanche, à la « reconstruction nationale ». A commencer par le pont du poste-frontière de Gatuna, détruit par les rebelles pour couper la principale voie d'approvisionnement du Rwanda. Pour le moment, le parking de la douane rwandaise est envahi par les herbes folles. Seuls deux troncs d'arbres, jetés au dessus d'un cours d'eau, permettent de passer la frontière.
(1) Un détachement de trois cents militaires français se trouve actuellement au Rwanda depuis 1990, lorsque des exilés tutsis ont envahi le pays, à partir de bases installées en Ouganda, pour tenter de renverser le régime du président Juvenal Habyarimana.
DOC:AVEC UNE CARTE