Citation
La note est datée du 26 octobre 1990 et elle est intitulée «Le détonateur rwandais». Quatre ans avant le génocide au Rwanda, le chef-adjoint du Centre d'analyse et de prévision (CAP) du Quai d'Orsay recommande clairement que la France se retire le plus rapidement possible de ce qui apparaît déjà comme «un abcès de fixation permanent dans une région instable» : «La présence militaire française ne saurait se prolonger sans apparaître comme une caution de celui-ci (le régime du président Juvénal Habyarimana, ndlr) et des mesures répressives qu'il prendra pour juguler la contestation.»
Dommage qu'il ne soit pas fait mention, dans le volumineux rapport qu'a rendu public le 15 décembre la Mission d'information sur le Rwanda, de ce conseil qui, a posteriori, paraît fort sage. Les notes du Centre d'analyse du ministère des Affaires étrangères ne sont même pas citées dans la liste des notes du Quai d'Orsay versées au dossier qui figure en annexe du rapport. Il était pourtant difficile de ne pas en connaître l'existence. De l'Elysée à Matignon, en passant par les ministères intéressés, tous ceux qui ont eu à prendre des décisions concernant le Rwanda y ont eu accès. Ces notes ont parfois donné lieu à débat. Celle du 26 octobre 1990 que s'est procurée Libération a, par exemple, provoqué une vive réaction de Georges Martres, alors ambassadeur au Rwanda. Dans cette note qui comporte, outre la première page, cinq pages d'analyse signées de Jean-François Bayart, alors consultant au CAP (il est aujourd'hui directeur du Centre d'études et de recherches internationales -- Ceri), l'attitude du président Habyarimana est directement mise en cause, son régime y est décrit comme autoritaire, répressif, ethnique. L'ambassadeur Martres avait répondu par dépêche à la note du CAP que le président Habyarimana était, au contraire, garant de la paix au Rwanda.
C'est un peu ce que dit à la Mission Quilès Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères de l'époque : le régime d'Habyarimana avait l'«avantage de maintenir le pays dans une certaine stabilité». Le chapitre du rapport de la Mission sur la «sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais» montre fort bien que c'est le sentiment général des dirigeants politiques de l'époque : Habyarimana est un «moindre mal», donc Paris le soutient. La note du CAP indique que, dès 1990, la particularité du régime rwandais était pourtant établie. Cet éclairage, s'il avait été mentionné, aurait montré que, dans cette affaire, le gouvernement français n'a pas «sous-estimé», pour reprendre le titre du chapitre, le caractère autoritaire et raciste du régime rwandais, mais qu'il l'a occulté. Il s'agit donc d'un véritable choix politique, avec toutes les conséquences que cela implique. Si Jean-François Bayart, dans sa note, ne parle pas explicitement de génocide -- mais il rappelle les massacres anti-Tutsis de 1959 et 1964 --, il avertit des dangers que fait courir la politique du président Juvénal Habyarimana à l'ensemble de la région, du Burundi au Kenya, en passant par l'Ouganda, et prévoit même que l'onde de choc pourrait atteindre le Kivu. Cette province de l'ex-Zaïre est aujourd'hui en guerre. Hier, le sénateur belge Alain Desthexe, qui pilota la commission d'enquête parlementaire belge sur le Rwanda, a eu des mots durs pour ses collègues français : «Là où le rapport (français) est critique envers la France, les responsabilités ne sont pas dégagées. A aucun moment, on ne dit qui a pris telle ou telle décision et on évite très soigneusement de pointer l'Elysée, Matignon ou le Quai d'Orsay». Paul Quilès a regretté hier cette «réaction épidermique inutile».